Qu'ils semblaient loin les attentats de Londres dimanche et lundi derniers. Le temps d'un carnaval, celui de Notting Hill Gate, qui a lieu à la fin de chaque mois d'août, et voilà que la capitale britannique revit, oublie ses peurs et ses angoisses et redécouvre son flegme légendaire et son slogan en or massif : « Live and let live » (vivre et laisser vivre). Ils étaient en effet un million de personnes à goûter l'« english way of life », en s'habillant de la manière la plus extravagante sans que personne trouve à redire, sinon de vous demander gentiment la permission de prendre une photo en votre compagnie, à se saouler la gueule par terre, juste à côté d'un boby qui s'assurera de votre sécurité, mais aussi que vous ne constituez pas une menace pour les autres, ou encore ces mêmes bobies qui enlèvent leur casquette et se prêtent volontiers aux appels de danses, parfois très érotiques, des jeunes filles, qui les entourent et les embrassent affectueusement sur les deux joues, et pour les plus audacieuses sur la bouche. Ils étaient un million à danser dans les rues de Ladbroke Grove, Portobello Road et dans les rues mitoyennes de ce quartier de l'ouest de Londres, sur des milliards de décibels déversées par des baffles géantes montées sur de gros camions-tracteurs, dans une explosion de sons, de couleurs et de joie. Des processions de milliers de danseuses et de danseurs, aux visages maquillés, aux costumes à thèmes, à plumes et à strings, aux rythmes des Caraïbes et de l'Afrique, des airs de salsa, reggae, Funk et vaudou. Si la publicité des différents produits de consommation est omniprésente, le militantisme n'est jamais loin du carnaval. « Africa : Roots plus Routes », « Make poverty history in Africa » ou « Fight Aids in the world : wear condoms » (luttez contre le sida dans le monde : mettez des préservatifs). Autant de slogans bien en vue qui rappellent qu'à l'origine, en 1966, le premier Carnaval de Notting Hill Gate, lancé par des citoyens originaires de Trinidad and Tobago, se voulait tout d'abord une manifestation contre le racisme, mais aussi une manière de dire aux Britanniques qu'il y avait d'autres richesses culturelles que la leur, d'autres musiques, d'autres sons et lumières, mais surtout un rythme, le vrai. Ce rythme que ces Anglais et Anglaises essayaient de suivre gauchement dimanche et lundi, tentant de copier ces danseuses noires dont les corps souples épousent les tempos et le mouvement, qui d'un coup de hanche, plusieurs pas de danse finissent en harmonie avec la musique qui se joue. « I love it », dit une jeune de Scandinavie, 18 ans à peine, à sa copine, en admirant des enfants noirs exécuter des pas de danse à faire pâlir de jalousie Micheal Jackson en personne. D'autres jeunes de son âge se mêlent aux processions de danseurs et danseuses pour avoir le « feeling » et « repartir avec des rythmes plein la tête », lance une autre demoiselle. Le Carnaval de Notting Hill Gate, c'est aussi le goût de l'aventure : celle de son premier joint, de sa première rencontre avec un Noir ou une Noire, et de la découverte de la liberté pour ces dizaines de milliers d'adolescentes et d'adolescents, dans un climat de sécurité totale. Les cinq mille policiers qui étaient présents pour veiller sur le carnaval n'ont en effet procédé qu'à 81 arrestations, dont la grande majorité pour des délits mineurs. Aucune disposition particulière n'a été prise par Scotland Yard, en dépit des attentats du 7 et 21 juillet dernier et de la menace terroriste qui pèse encore sur la ville. La menace d'attentats contre le carnaval n'a jamais été évoquée ni par la presse ni par la police. Dans un bain de foule de dix minutes, le directeur de Scotland Yard, Ian Blair, a déclaré à cet effet que le carnaval a envoyé un message clair aux terroristes que Londres « finira par avoir le dernier mot et survivra ». Il a ajouté que le plus grand carnaval de rue de l'Europe « s'est très bien déroulé. J'envoie le même message aux terroristes que celui que je n'ai cessé de leur envoyer : Londres ne sera pas vaincue et continuera de vivre ».