Un grand mythe du football italien a été éclaboussé par la dernière histoire de conflit d'intérêt qui mine le calcio depuis des années. Pour percevoir la faramineuse somme d'un million d'euros du groupe automobile allemand Opel, en figurant dans l'un de ses spots publicitaires, le symbole de l'arbitrage rigoureux italien a compromis sa longue et médiatique carrière. Pourtant, à 45 ans, il ne lui restait qu'une saison, soit dix mois, à passer sur les terrains, veillant au bon déroulement des matchs du championnat italien et d'autres compétitions internationales, pour couronner son long parcours et quitter les stades la tête haute. En Italie, malgré ses légendaires coups de tête, comme cette fois où après avoir sifflé la fin d'une partie, cinq minutes avant le temps réglementaire, il lança aux dirigeants des deux clubs qui protestaient : « Ma montre est à l'heure, ce sont les vôtres qui retardent », Collina passe pour être une véritable autorité morale du calcio. Malheureusement, courtisé par le constructeur automobile Opel (dirigé par General Motors), qui l'a sollicité pour devenir le testimonial de sa compagne publicitaire qui lancera son nouveau modèle, Opel New Vectra, l'arbitre bolognais n'a pas résisté à la tentation vénale et n'a pas dû peser sérieusement les conséquences de son choix. Car il ne pouvait ignorer qu'Opel était l'un des sponsors principaux du club de l'AC Milan, dont les joueurs, compagnons de Maldini, exhibent sur leur tenue la marque automobile allemande. Et même si Collina jure qu'il avait informé le président de l'Association italienne des arbitres (Aia), Tullio Lanese, et que ce dernier l'avait félicité pour avoir conclu cette affaire, la fédération du calcio italienne a soulevé le problème publiquement et a mis l'arbitre devant un choix douloureux : accepter d'arbitrer des matchs seulement de deuxième division ou renoncer au contrat avec Opel. Blessé dans son amour-propre, Collina a préféré remettre sa démission à ses chefs en attendant de se consoler avec le million d'euros. Et lors d'une conférence de presse, durant laquelle il a refusé de répondre aux questions des journalistes, l'arbitre, visiblement amer, a expliqué : « Je prends cette décision après 28 ans passés dans l'association des arbitres. Je ne peux pas éviter de démissionner, un arbitre a besoin qu'on ait foi en ses paroles. » Cette affaire, considérée, ailleurs, comme un évident conflit d'intérêts, a été traitée autrement, dans le pays où le chef du gouvernement est propriétaire du plus grand club de football, le Milan, dont le président, Adriano Galliani, n'est autre que le président de la ligue du calcio. L'affaire Collina n'a pas fini de faire la une des journaux sportifs et pas seulement. Le grand quotidien La Gazzetta dello sport a titré en première page, sur un grand portrait de Collina : « Basta, je démissionne. » Il Corriere dello sport, l'autre quotidien sportif, a fait de même, alors que Tuttosport a publié un éditorial au vitriol dans lequel il attaque tous les dirigeants du calcio italien, y compris ceux à la tête de la fédération. « Il est extraordinaire que cela advienne dans un système où le président de la fédération est aussi le président d'un grand institut de crédit qui a eu des liens avec plusieurs clubs. C'est extraordinaire que cela arrive dans un pays où le commissaire technique est le père d'un procureur qui gère plusieurs joueurs. C'est extraordinaire que cela advienne au sein d'un calcio où le président du plus grand club est le père du président de la plus grande écurie des entraîneurs et des joueurs. » Cela explique, sans doute, que les entraîneurs dans leur majorité aient défendu l'arbitre déchu, comme le sélectionneur de la Juventus, Fabio Capello, qui a affirmé : « Je ne crois pas que le sérieux d'un arbitre dépende d'un sponsor. » Mais celui qui a eu la boutade la plus acerbe, c'est l'ancien président du Conseil italien et sénateur à vie, Giulio Andreotti, qui, répondant à Collina, s'était défendu en rappelant que l'homme politique avait été lui aussi, aux côtés de Collina, testimonial d'un fromage. « Oui, mais moi je n'arbitre pas des matchs entre des produits fromagers, et donc je n'avais pas le devoir de démissionner comme lui est contraint de le faire à présent. » Le football italien est malade de ses affaires douteuses, où népotisme, corruption, cupidité... se mélangent à des intérêts financiers énormes ternissant le sport le plus populaire de la péninsule. Quant à Pier Luigi Collina, qui avait publié en 2002 son livre, Mes règles du jeu, il ne peut désormais que se soumettre aux règles de la fédération italienne du calcio. Les téléspectateurs pourront toujours voir son crâne chauve sur les écrans de la télévision dans le spot d'Opel qui sera diffusé dans plusieurs pays européens, dans les prochaines semaines.