Dans sa contribution à El Watan, intitulée « Ne pas affaiblir la bataille des idées », Me Abdennour Ali Yahia a raison de soutenir Mohamed Benchicou victime d'un règlement de compte politique post-avril 2004. Mais il fait fausse route en critiquant la célèbre formule de Saint-Just : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » mise en avant par El Hadi Chalabi et Khaled Sator qui refusent, eux, de réclamer la libération du directeur du quotidien Le Matin auquel ils reprochent ses positions durant la décennie précédente. Le président de la LADDH écrit : « Cette idée, ‘‘pas de liberté pour les ennemis de la liberté'', (...) interdit la liberté pour ceux qui pensent autrement (...). » Mais la formule du révolutionnaire français ne visait pas ceux qui pensaient autrement, mais ceux qui s'opposaient à la liberté. Saint-Just visait les partisans du pouvoir absolu, de la monarchie, qui étaient les ennemis de la liberté, de la démocratie et de la République. Nuance de taille. Certes, Ali Yahia pourra nous rétorquer que la formule a dérapé et que le refus de la liberté s'est par la suite étendu à tous ceux qui pensent autrement. Mais c'est là un autre débat. En écrivant par ailleurs : « Saint-Just a choisi la terreur. La démocratie a choisi la liberté », le président de LADDH oppose de façon absolue deux éléments, la terreur et la liberté, qui ne sont pas en toutes circonstances exclusifs l'un de l'autre mais qui entretiennent au contraire une relation complexe. Il confond en premier lieu les conditions d'exercice de la démocratie et les conditions de son avènement. En effet, si le régime démocratique ne peut fonctionner que dans un cadre pacifique où règnent les libertés démocratiques, il n'advient partout et toujours que par la force. La démocratie est un régime qui ne peut voir le jour que si ses partisans viennent à bout des partisans d'autres régimes, antidémocratiques ceux-là : monarchie, fascisme, dictature militaire ou policière, théocratie... Ils y arrivent par la force et, quand c'est nécessaire, par la violence, voire la terreur. C'est ce que fit, en 1789 et durant les années qui suivirent, Saint-Just et ses compagnons qui avaient, dans l'urgence d'une révolution, entourée de toutes les monarchies ennemies d'Europe et menacée de l'intérieur par les monarchistes, un monde nouveau à instaurer. C'est dans la douleur et dans le sang que la démocratie a été enfantée car le régime féodal et la monarchie absolue qui lui préexistaient opprimaient et exploitaient le peuple depuis des siècles. La classe dominante (la noblesse) n'avait pas l'intention de laisser la place à la République démocratique et à la liberté. Elle défendit ses privilèges par la force, le sang et la terreur. Aussi n'est-ce pas avec des mots mais avec des fusils et avec la guillotine que les partisans de la démocratie instaurèrent cette dernière. Les révolutions démocratiques, comme toutes les révolutions, relèvent de la force pure et non de la controverse intellectuelle. Même un régime démocratique déjà installé et consolidé se doit, s'il n'entend pas périr, utiliser la force contre ses ennemis. La démocratie est un régime qui mérite que l'on se batte et que l'on meurt pour lui. Pour cela, il convient de soigneusement distinguer ceux qui pensent autrement que nous, mais avec qui l'on partage l'idéal démocratique de ceux qui veulent assassiner la démocratie car ils y sont foncièrement et irrémédiablement opposés. Une démocratie digne de ce nom ne saurait tolérer que les idées racistes, fascistes, sexistes, ethnicistes... soient considérées comme de simples idées différentes. Exprimer ces idées liberticides et former des organisations politiques pour les porter constituent, sous un régime démocratique, un délit, voire un crime qui doit être puni.