El Hadi Chalabi et Khaled Satour ont sévèrement critiqué le sens politique et médiatique donné à « la mobilisation autour de Mohamed Benchicou considérée comme ayant pour objectif le recyclage des criminels ». Certains peuvent déplorer le style de leur intervention, mais une sonnette d'alarme est toujours stridente, c'est sa fonction, sans cela elle serait inutile. Le plaisir de faire mouche ne va pas sans une certaine injustice. Il est normal et sain qu'il y ait un débat franc, ouvert, constructif, ce qui est signe de vitalité et de force. Mais il faut éviter de porter sur le plan des personnes, un débat qui se situe et doit demeurer sur le plan des principes des droits de l'homme. Il ne faut pas affaiblir ni affadir la bataille des idées. Il ne faut pas revenir sur les fautes commises par les uns et par les autres, par les autres de préférence, quand il s'agit des droits de l'homme. Chacun de nous ferait mieux de se critiquer soi-même, et de chercher en quoi il a été manquant. Ce serait sans doute moins agréable, mais plus efficace. L'autocritique est un trait des hommes libres et cultivés. La synthèse la plus difficile est celle des tempéraments. Le débat est cause d'enrichissement et de progrès, mais quand il s'abaisse au niveau de la polémique, de la surenchère et des excès, de la hargne, de la rogne et de la grogne, il relève plus d'un état pathologique et de l'obsession que de la raison. Il est des hommes comme des oiseaux, ils ne volent pas tous à la même hauteur. Tous les Algériens sont pour les droits de l'homme, particulièrement ceux qui les violent le plus. Hommage du vice à la vertu. Les Algériens, en général, se détestent entre eux, se détestent d'un camp à l'autre, et se méprisent à l'intérieur de chaque camp. Les arguments de Chalabi et de Satour, s'ils les ont convaincus, ne sont pas convaincants. Les militants algériens des droits de l'homme, tels les grands fauves, chassent souvent en solitaires, mais ne se dévorent pas entre eux, et se rapprochent devant le danger. Les principes intangibles des droits de l'homme ne peuvent être ni perturbés ni détournés de leur mission principale qui est la défense de toute personne humaine privée de sa liberté et de ses droits. Les arguments développés par Chalabi et Satour ne relèvent pas de la logique des droits de l'homme, dont la règle d'or est de ne pas accuser ou persécuter un détenu, mais de le défendre. Toute violation des droits de la personne humaine est une perversion et conduit au dépérissement du droit. Défendre « l'homme, tout homme et tout l'homme », selon l'expression de Jean-Paul Sartre, seulement parce qu'il est homme et qu'à ce titre il a des droits, est un impératif. Quand les droits de l'homme sont bafoués, on ne cherche pas à savoir si la victime est un démocrate, un éradicateur ou un islamique. Il n'y a pas deux vitesses dans le traitement de la répression, et le poids des victimes ne peut varier selon leur origine sociale ou leur engagement politique. Il ne faut pas choisir les victimes de l'arbitraire et de l'injustice à défendre, mais les défendre toutes. Il existe chez les militants de la LADDH une tendance naturelle qui les porte à être avec les faibles contre les puissants, avec les opprimés contre les oppresseurs, du côté des victimes, de toutes les victimes contre les bourreaux, ainsi qu'une dimension de générosité qui les pousse à lutter pour plus de liberté pour chaque homme, plus de solidarité entre les hommes. Même s'il s'agit du destin d'un seul homme, a-t-on le droit de ne pas crier à l'injustice ? La LADDH n'a pas cédé au penchant de l'indignation sélective. Elle a défendu les prisonniers de toutes les couleurs politiques de l'arc-en-ciel, en se basant sur trois principes universels des droits de l'homme : pas de tortures, une instruction à charge et à défendre, un tribunal indépendant. Il n'est pas inutile de rappeler le manifeste de la Ligue française des droits de l'homme lors de sa création en 1898 : « A dater de ce jour, toute personne, dont la liberté sera menacée ou dont le droit sera violé, est assurée de trouver près de nous aide et assistance. » Benchicou est jugé non pas sur ce qu'il a dit et fait durant un récent passé, mais sur son attitude durant la décennie écoulée. Il n'a pas considéré les injustices frappant les islamistes comme une violation grave des droits de l'homme. S'il faut comprendre et suivre le combat qui a lieu au sein du pouvoir, en revanche, il ne faut rien espérer d'aucune des coteries qui s'entre-déchirent. Le combat pour la liberté et la justice est engagé Notre action en faveur des prisonniers, particulièrement les trois journalistes, El Ghoul Hafnaoui, Mohamed Benchicou et Ahmed Benaoum, est inspirée par les deux thèmes, de liberté et de justice. Il ne faut pas se prêter au jeu des petites phrases, car en fixant l'attention sur la personne de Benchicou, on oblitère gravement le débat. Ce n'est ni par l'évocation stérile de querelles personnelles, ni par les procès d'intention que nous défendrons la liberté qui est une exigence humaine fondamentale, l'essence même de l'homme. Quand deux fractions de l'opinion sont sur des rails à voie unique, elles risquent de se télescoper si elles vont en sens contraire. Il est toujours émouvant le moment où un homme, Benchicou pour le nommer, dit non au confort intellectuel et matériel pour affronter l'ordre établi par souci de justice et de liberté. Un homme est en prison parce qu'il a voulu être cohérent avec sa conscience qui lui dictait de s'engager dans la voie de la vérité et de la justice, en dénonçant la répression et la corruption. (A suivre)