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Le délit de dire
Benchicou, journaliste incarcéré depuis 324 jours
Publié dans El Watan le 03 - 05 - 2005

« Ailleurs, journaliste, c'est une profession » Saïd Mekbel
Né en 1952 à Miliana, Mohamed Boualem Benchicou a fait presque toutes ses études à Alger. Le secondaire au lycée El Idrissi à la place du 1er Mai et les sciences économiques à l'université d'Alger. Etudiant, Mohamed collaborait dans différents journaux, mais c'est à la République d'Oran, dirigé par Bachir Rezzoug, qu'il dévoilera ses talents en tant que correspondant à Alger. Puis, ce sera El Moudjahid où il s'affirmera en tant que journaliste, mais aussi en tant que syndicaliste. A l'avènement de la presse indépendante, il participera à la résurrection d'Alger Rep, avant de fonder son propre journal Le Matin qui prendra une place appréciable dans les kiosques. Après son départ en France, c'est le regretté Saïd Mekbel qui prendra les rênes de la publication. De retour, Benchicou reprendra du service et éditera même un livre Bouteflika, l'imposture algérienne qui est sans doute à l'origine de tous ses malheurs.
Cela fait 324 jours que Mohamed Benchicou est incarcéré à la prison d'El Harrach. Il y a une semaine, Ben Bella, à partir de Bruxelles, Delanoë, le maire de Paris en visite à Alger, Rachid Ksentini et les parlementaires français, auteurs d'une pétition, évoquaient le cas Benchicou en précisant que la place du journaliste n'est pas en prison. Tous ont promis d'intercéder auprès du président de la République pour libérer le désormais célèbre détenu d'El Harrach. En écho, Belkhadem, ministre d'Etat, déclarait à propos de cette incarcération, qu'« il est inexact de dire que celui-ci est emprisonné pour délit d'opinion. Il a bien édité un livre et il a écrit durant des années ce qu'il voulait ». Cette sortie du ministre lui a valu la réplique de l'un des avocats du détenu, en l'occurrence Me Benarbia, qui rappelle que « le 19 avril 2005, M. Benchicou et quatre autres journalistes ont été condamnés à des peines fermes pour délit de presse ». Lundi 14 juin 2004. Il est midi, le juge du tribunal d'El Harrach cite l'affaire Benchicou, directeur du journal Le Matin, accusé pour détention de bons de caisse que la police des frontières avait trouvés sur lui, en août 2003, à l'aéroport Houari Boumediène, alors qu'il rentrait de France. Pour sa défense, le prévenu dira : « Je vais au moins vingt fois par an à l'étranger sans que je sois fouillé. Il se trouve qu'après une semaine que le ministre de l'Intérieur Yazid Zerhouni ait juré publiquement de faire payer Le Matin et son directeur, des policiers qui me guettaient sont venus fouiller mes bagages. Ils me laissent partir pour se raviser en me rattrapant juste avant la sortie pour me demander de les suivre. C'est là qu'ils me confisquent mon porte-documents pour le restituer après, sans que je sois inquiété. » Le verdict tombera quelques heures plus tard, tel un couperet : deux ans de prison ferme, une amende de 20,4 millions de dinars. Benchicou est immédiatement arrêté, menotté et conduit dans une salle du tribunal avant d'être emmené en prison.
Presque une année en prison
Les réactions ne tardent pas. Le RCD voit dans cette condamnation une atteinte grave aux libertés en général et à la liberté de la presse en particulier. Le FFS y voit « une opération de grande envergure contre l'intelligence et les forces démocratiques. Il est hors de question de se taire et d'accepter que les forces démocratiques subissent autant de menaces et d'agressions », lit-on dans le communiqué. Pour Ali Yahia Abdenour, « ce n'est pas un jugement, selon la loi, c'est une vengeance du ministre de l'Intérieur. Les bons de caisse ne relèvent nullement d'une infraction à la législation algérienne ». Presque une année s'est écoulée après ce procès et Benchicou est toujours en prison, malgré toutes les démarches effectuées auprès des instances concernées. Durant cette période, l'état de santé du prisonnier s'est dégradé puisqu'il souffre d'une arthrose cervico-faciale qui peut entraîner la paralysie du bras droit. La mise en liberté provisoire a été refusée... Peinée comme peut l'être une mère mais digne et pas abattue, khalti Atika ne désespère pas de voir son fils parmi les siens, le plus rapidement possible. « Ces jours-ci, il aurait dû fêter son anniversaire au sein de sa famille, mais il est en prison. Chaque jour qui passe est un calvaire pour moi qui suis malade. J'attends des autorités qui prônent les libertés et la démocratie qu'elles aient un peu d'humanité et de reconsidérer le cas de mon fils qui n'a fait que son métier de journaliste. Sa place n'est nullement derrière les barreaux. » La mère, malade, n'a plus la force de rendre visite à son fils qui lui a recommandé d'ailleurs de rester à la maison. Ce sont les autres membres de la famille qui se chargent de lui ramener de ses nouvelles et à elle de lui envoyer les petits plats qu'il préfère depuis sa tendre jeunesse... La mère qui a écrit au président de la République à deux reprises attend toujours un geste de ce dernier. « J'ai peur de mourir alors que mon fils est toujours maintenu en prison... » Malade chronique, Mme Benchicou est prise en charge par son fils Mohamed qui avait, à l'époque, concocté une retraite pour son père. La famille est optimiste quant à une issue favorable « après tout ce qu'on lui a fait subir ». Pour notre confrère Mahmoudi, qui a connu lui aussi la prison, il est permis d'espérer, « comme tous ceux, et ils sont nombreux, qui souhaitent que cette incarcération prenne fin, dans les meilleurs délais et qui n'aiment pas trop savoir un journaliste dans les prisons de leur pays. Pas aussi longtemps en tout cas, même si nous pouvons comprendre la colère qui a justifié ce fort déplaisant épisode. Laisser tourner l'année sur le directeur d'un journal à l'arrêt, dans un dossier où l'infraction à la loi est trop imbriquée dans l'atteinte à l'honneur du président de la République, risque de devenir avec le temps beaucoup plus improductif que nous ne pouvons l'imaginer... » Quant à notre confrère Hamidechi, il fait savoir que « le cas de Benchicou est, à lui seul, la mauvaise conscience de cette presse qui s'est trouvée sans moyens efficaces pour empêcher l'irréparable. Les incertitudes sur le sort d'un prisonnier politique, dont de fallacieuses accusations ont fait un délictueux de droit commun, n'interpellent pas seulement les consciences, mais posent avec gravité le problème de nos libertés ou ce qu'il en reste ».
Lorsqu'on dépasse les bornes, il n'y a plus de limites
Son jeune frère Lyès qui va souvent le voir en prison aura relevé que Mohamed a bon moral, mais ce sont les souffrances physiques qui le handicapent. « Les comparutions devant le tribunal sont une éprouvante épreuve. Le prévenu est là de longues heures durant sans broncher, sans manger. La dernière fois, un agent lui a donné une bouteille d'eau trop fraîche. Cela lui a occasionné une forte angine et une toux aiguë...Sinon, Mohamed va bien et pense beaucoup à tous ceux qui sont à ses côtés dans ce dur coup du sort. » Lyès nous dira que son frère peut accéder à la lecture des journaux, sauf ceux qui évoquent son cas. A ce propos, il regrettera la baisse de mobilisation des « médias qui ne sont pas aussi offensifs que lors des premiers jours de détention ». Mohamed est né le 1er mai 1952 à Miliana. Il y a vécu jusqu'en 1962. Il est l'aîné de six garçons et d'une fille. Miliana, suspendue au flanc du Zaccar, a été fondée au Xe siècle en même temps qu'Alger et Médéa par Bologhine Ibn Ziri. L'Emir Abdelkader y installa en 1834 un khalifa. C'est Sidi Ahmed Benyoussef, le patron de Miliana, qui veille sur la ville. De Miliana, la famille se déplace à Alger au lendemain de l'indépendance où elle s'installe à Belcourt, où son père, Mohamed, sourd-muet, tient un modeste salon de coiffure à la rue Rigodit. Chouchou de sa grand-mère, Mohamed est resté auprès d'elle dès son enfance. Sa scolarité est normale au lycée El Idrissi.
Issu d'une famille modeste
Son oncle dira : « Jeune, Mohamed avait pris conscience des difficultés de la vie. Peut-être que le handicap de son père l'a marqué. » Mais avec les sentiments qui le caractérisent, Mohamed ne se résout pas à vivre loin des siens. « Très jeune, il avait cet esprit de responsabilité. Il ne voulait dépendre de personne. Ainsi à la veille des grandes vacances, il me sollicitait pour un boulot de saisonnier, pour son argent de poche », témoigne son oncle qui reconnaît lui avoir fait aimer le MCA, alors qu'il habitait Belcourt et qu'à l'époque, le CRB tenait le haut du pavé. A Sonatrach où il exerçait à mi-temps, il a eu la vocation de journaliste en se chargeant du bulletin sportif de l'entreprise. Puis ce fut La République d'Oran dont il était le correspondant à Alger. « Il lui arrivait de rester au-delà de minuit pour balancer ses papiers et le lendemain il était d'attaque, de bonne heure, pour les études », concède un de ses frères. Et puis il y a eu El Moudjahid en 1976, dont il fut, d'entrée, l'un des éléments les plus remarqués. Cette période fut entrecoupée du service national qu'il effectua à Chlef ébranlé, cette année-là par un fort séisme (1980). A l'avènement de la presse indépendante, Mohamed compte parmi les précurseurs qui redonneront à Alger républicain son lustre d'antan. Ce sont de jeunes journalistes qui ont fait leurs premières armes en politique au sein du PAGS clandestin ou à ses côtés. Ils écrivaient déjà dans Saout Chaâb, dirigé alors par Nourredine Zenine. Sous la conduite de Benchicou, Alger rep conquiert rapidement sa place et ses lecteurs, grâce à une équipe talentueuse prête à s'éclater avec Saïd Mekbel, le fameux El Ghoul, et un jeune caricaturiste débutant, du nom de Dilem, qui allait s'affirmer par la suite comme l'un des plus doués de sa génération. Cette euphorie n'allait hélas pas durer trop longtemps, puisque le 22 mai 1993 Alger rep, fidèle à sa ligne, dénonçait l'existence d'un conflit entre le collectif et la direction. Car les propriétaires du journal voulaient, contre l'avis du collectif, désigner une nouvelle direction. La rupture est consommée. Benchicou et quelques amis créeront Le Matin en septembre 1991. Dans le numéro zéro distribué le jour même, Mohamed Benchicou, directeur du journal, annonce le devoir de vérité. Mais toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Mohamed l'apprendra à ses dépens. En juillet 1992 déjà, il fera connaissance avec les tracasseries sécuritaires en publiant une information démentie par les services de sécurité. Il fut interpellé et maintenu en garde à vue durant 48 heures. Puis au fil des ans, ce sera une succession de suspensions, qui affaibliront le journal, jusqu'à sa fermeture durant l'été 2004.


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