Dans cet entretien, l'ambassadeur et chef de la délégation de l'Union européenne (UE) à Alger revient sur l'entrée en vigueur de l'accord d'association de l'Algérie avec l'UE en mettant l'accent sur ses retombées positives sur l'économie algérienne. Des entrepreneurs algériens appréhendent l'entrée en vigueur de l'accord d'association par les retombées néfastes sur l'économie algérienne, à l'image du FCE et de bien d'autres encore organisations. Votre commentaire. Je connais bien ces argumentations parce que je les entends depuis quatre ans en Algérie, comme je les ai entendues au Maroc quand j'étais ambassadeur à Rabat. Je les ai aussi entendues de la bouche des entrepreneurs portugais quand ce pays, faiblement développé, se préparait à entrer dans la Communauté européenne (CE) et je les ai même lues dans mes livres de texte à l'université qui rapportaient les réactions des industriels italiens avant l'entrée de mon pays dans le marché commun en 1958. Je respecte et je justifie les craintes individuelles des entrepreneurs et je n'oublie pas que ceux qui parlent défendent légitimement leurs intérêts, mais je refuse l'expression « conséquences néfastes » pour l'économie algérienne dans son ensemble. On aime parfois agiter le spectre du désastre général pour défendre des intérêts spécifiques. On évoque le résultat de certaines études. Mais quelle est la fiabilité de ces études ? Nous en avons fait nous-mêmes et nous avons obtenu effectivement des résultats qui pourraient être interprétés négativement, mais cela est dû à une raison très simple : ils étaient la conséquence d'un prémice qui ne pouvait donner que des résultats négatifs. Le prémice était que lorsque le prix d'un produit importé, à cause de la baisse des droits de douanes, devient moins cher que le produit national, on ferme automatiquement boutique. Ceci équivaut à dire qu'en présence de la concurrence le patron reste immobile et regarde passivement arriver le désastre. Avec un tel prémice, aucune économie au monde ne résisterait non seulement à l'ouverture extérieure, mais aussi à la concurrence interne étant donné que les entrepreneurs tomberaient comme des mouches à l'apparition d'un concurrent plus aguerri. En réalité, les choses ne se passent pas de cette même manière mécanique : tout d'abord, le prix est un facteur de vente, mais pas le seul et l'unique qui joue dans le choix du consommateur. Et surtout, il y a la capacité de réaction de l'entrepreneur, ce qui en fait un véritable patron. Et c'est là où les études s'enlisent : les économistes connaissent assez mal ce qu'on appelle l'élasticité de l'offre ; en termes simples, les réactions que l'ensemble des entrepreneurs peuvent avoir face à un changement des conditions du marché. Les pessimistes disent qu'il n'y a rien à faire et qu'on baissera les bras. Je ne le crois pas du tout et pour deux raisons : tout d'abord, parce que cela ne s'est jamais vérifié dans d'autres pays qui ont pratiqué l'ouverture (et je ne crois pas que les Algériens soient moins réactifs que leurs voisins), et en deuxième lieu, parce que sur la base de l'expérience que nous avons eue avec environ 500 patrons d'entreprises que nous avons contactés dans le cadre de notre programme de mise à niveau, nous avons pu constater qu'il existe aussi en Algérie un patronat dynamique, prêt à l'innovation et à faire face à la concurrence. Quels seront, de votre avis, les effets positifs et négatifs sur l'économie algérienne ? D'abord, le jeu de la concurrence qui va s'installer en Algérie est toujours profitable aux consommateurs, qui devraient voir les prix de certains produits baisser ou au moins disposer de produits d'une meilleure qualité. Mais il est aussi profitable aux entreprises qui, tout d'abord, auront la possibilité d'importer immédiatement des biens d'équipement libres de droits de douanes. A moyen terme, le stimulant du marché les amènera à mieux s'organiser afin de mieux produire ; beaucoup d'entreprises deviendront donc plus solides. A plus long terme, je vois un effet encore plus important : la dynamique de l'accord et les instruments institutionnels qui sont prévus par l'accord d'association visent certainement à rendre le marché plus efficace et transparent, mais surtout à une intégration progressive de l'économie algérienne dans le grand espace économique de l'Union européenne (UE). Ceci est un facteur essentiel de développement économique, surtout si l'on considère qu'une très grande partie des échanges commerciaux se fait aujourd'hui selon le schéma usine-usine. Le produit fini est un ensemble de composantes qui sont produites séparément là où le prix de cette composante est le moins cher. Même un produit aussi simple que votre blue-jeans est coupé dans un pays, cousu dans un autre et les boutons sont attachés dans un troisième. Pour que le schéma fonctionne il faut cependant que les normes et les standards de production soient identiques, que les conditions de payement soient normalisées, que la circulation se fasse sans entraves ni retards excessifs. Voilà ce à quoi vise l'accord d'association dans ses différents volets industriel, financier et douanier. Certains ont évoqué le problème des normes et certains ont déjà soulevé le problème de la méthode dite « Fifo » ; qu'en est-il au juste ? Vous vous referez là à un problème particulier qui s'est manifesté lors de la manière de gérer le contingent sucre. Il faut savoir que l'Algérie a octroyé à l'UE un contingent de 150 000 tonnes de sucre qui devront rentrer en Algérie sans droits de douanes. Ce contingent représente à peu près la différence entre la consommation annuelle de l'Algérie et sa production nationale. Les producteurs nationaux ont manifesté à juste titre la crainte que l'entrée immédiate d'une telle masse de sucre sur le marché algérien ne puisse provoquer des perturbations sur le marché. Ceci pourrait arriver si la méthode Fifo (premier arrivé, premier servi) était appliquée sans restriction temporelle. La solution du problème me semble relativement facile : le contingent est global, mais il peut être échelonné au cours de l'année. Je crois en tout cas que les autorités algériennes saisies du problème sont en train d'étudier une solution. L'accord d'association comprend plusieurs volets, qu'en est-il de l'avancée des différents dialogues : politique, économique, culturel, etc. Et qu'en est-il de la libre circulation des personnes ? Les différents « dialogues » que vous venez de mentionner prennent leur départ au moment où l'accord d'association entre en vigueur. Nous avons eu des entretiens préparatoires, notamment en matière économique. Il faudra d'abord installer les deux organes prévus dans l'accord, le conseil d'association et le comité d'association, établir un ordre du jour, fixer des dates. Cela prendra un peu de temps, mais pas trop. Pour ce qui est de la question de la libre circulation des personnes, l'accord d'association prévoit la possibilité d'octroyer des facilités pour certaines catégories de citoyens. Cette matière est délicate, complexe et par conséquent en évolution : je rappelle, par exemple, que jusqu'à 2003 on avait parlé essentiellement de liberté de circulation des marchandises et capitaux, mais à partir de cette date, dans les résolutions de la commission en matière de politique de voisinage, on évoque expressément la libre circulation des personnes comme une des finalités de la politique méditerranéenne. Mais je dois rappeler que la mise en œuvre de cette disposition dépend évidemment de la législation des Etats membres. Des analystes n'ont pas manqué de souligner que les pays du Maghreb auraient mieux négocié ces accords d'association s'ils étaient unis. Qu'en pensez-vous ? Je vous répondrais : « Très probablement non. » Les éléments essentiels des accords seraient restés les même sauf quelques détails. La négociation a été bien menée par l'Algérie qui a pu faire valoir pleinement ses intérêts dans certains secteurs, et je cite notamment les questions couvertes par le titre VIII de l'accord (justice et affaires intérieures). Dans une négociation à plusieurs, il faut toujours modérer les intérêts nationaux pour tenir compte de ceux des partenaires, qui ne sont pas nécessairement les mêmes. On s'allie aux autres seulement quand on ne peut pas obtenir tout seul ce qu'on veut, ce qui n'était pas manifestement le cas ici... D'autres soutiennent que le Maghreb aura beaucoup à perdre face à ce qu'ils appellent une Europe tournée vers l'Est, allusion à l'élargissement de l'UE. Votre commentaire. Ceux qui affirment cela, et il y en a encore beaucoup, sont comme certains généraux, en retard d'une guerre. Ce raisonnement pouvait encore se justifier lorsqu'on croyait que pour avoir du développement il ne fallait rien faire d'autre qu'un transfert de ressources économiques du Nord au Sud ; en effet, plus il y avait de monde pour partager la tarte de l'aide moins la portion était grande ! Mais on a bien désenchanté de ces théories depuis alors. En particulier, la coopération économique avec des pays « en transition économique », comme c'est le cas de l'Algérie, est bien autre chose que quelques millions d'euros d'aide en plus ou en moins (dont, plus particulièrement l'Algérie, grâce à Dieu, n'a pas aujourd'hui particulièrement besoin). La coopération économique avec ces pays vise, par un ensemble de mécanismes que j'ai mentionné ailleurs, à mieux intégrer l'économie d'un pays dans un système mondialisé. Il s'agit là d'accompagner le pays dans les transformations profondes que cela implique. Mais on ne peut pas remplacer les pays dans cette action et encore moins avec uniquement des moyens financiers. Certes, l'instrument financier est utile lorsque la mise en œuvre d'une politique implique provisoirement des charges financières supplémentaires pour le budget de l'Etat, et nous assistons certains pays dans leur effort de réformes par le biais de l'appui aux politiques sectorielles. Mais cette aide ne peut pas remplacer l'action primordiale de l'Etat. Cependant, une certaine critique se justifie si l'on dit que pendant le processus d'élargissement, l'UE a montré un peu moins d'attention à ses voisins du Sud. Je n'ai pas de peine à l'admettre. Il faut cependant comprendre que l'UE, pendant quelques années, a été fortement engagée dans deux grands dossiers, l'élargissement et la réforme de ses institutions. Mais c'est désormais du passé et le fait que le lancement de la politique de voisinage qui vise un approfondissement des relations avec les partenaires du Sud ait coïncidé exactement avec la fin du processus d'élargissement démontre clairement que nous avons dépassé ce stade.