Le dernier film de Francis Lawrence, Constantine, est à l'affiche à la salle El Mougar (Alger) depuis hier et jusqu'au 23 septembre, à raison de trois séances par jour. Egalement disponible en DVD, ce film est une adaptation de la bande dessinée Hellblazer. John Constantine (Keanu Reeves), extralucide anticonformiste, qui a fait un aller-retour aux enfers, doit aider Katelin (Rachel Weisz), une femme policier méfiant, à lever le voile sur le suicide mystérieux de sa sœur jumelle. Cette enquête leur fera découvrir l'univers d'anges et de démons qui hantent les sous-sols de Los Angeles d'aujourd'hui, mais aussi, la lutte entre Dieu et Satan. A l'origine, le film devait être réalisé par Tarsem Singh, auteur esthète du fascinant The Cell. Francis Lawrence, son remplaçant, se situe exactement dans le même univers visuel : esthétique maniériste et raffinée, élégance des cadres, souplesse de chaque mouvement. C'est la première grosse surprise, puisque le film, hors même son intrigue, séduit immédiatement par sa forme, à mi-chemin entre l'Alan Parker d'Angel Heart ou l'Adrian Lyne de L'Echelle de Jacob. Deuxième surprise : l'enfer ressemble, à peu de choses près, à l'idée qu'on s'en fait : un univers sombre et inquiétant, des flammes menaçantes qui barrent la vision et des esprits malfaiteurs qui poursuivent les nouveaux arrivants ! Troisième surprise : la distance avec laquelle est traité ce scénario. De finesse aussi, tant le film sait prendre un maximum de risques là où il le faut, sans pour autant verser dans le cynisme. Plus de malice que d'ironie, d'ailleurs : L'eternelle lutte des forces du Bien et du Mal, loin des atroces châtiments pour ados psychotiques jouant sur une sorte de théologisme de substitution, prend des airs de western spaghetti, le héros usant de son crucifix mitrailleur. Drôle de polar mystique, donc, qui passe sans prévenir du burlesque à l'inquiétant, de la quasi-farce (l'Ange Gabriel, énorme) à un fond singulièrement désespéré (Keanu Reeves, idéal en ex-suicidé blafard et maladif). Mais le plus impressionnant, sans doute, demeure dans le fonctionnement même du film : sorte d'enfilade de visions toutes plus incongrues les unes que les autres, d'états complètement opposés qui ne cessent de s'entremêler. Une manière de principe de déstabilisation jubilatoire et salvateur où se refuse toute facilité (le finale assez bouleversant entre Reeves et Rachel Weisz). De cette instabilité, Constantine tire une poésie étrange où pleuvent les fulgurances (l'édifiante apparition finale de Lucifer). Un vrai film baroque, que l'on peut à ce titre comparer au fragile Alexandre : une suite vertigineuse de séquences toujours sur le fil du grotesque, mais où s'impose, en fin de compte, l'absolue maîtrise du point de vue qui les distribue.