L'Egypte a découvert une opposition en tous points différente que ce qu'elle a connu : plus combative et moins conventionnelle. Les derniers jours de la campagne électorale en Egypte étaient certainement les plus durs, mais en tout état de cause, dénués de toute passion. Et pour cause, si l'opposition entendait donner encore de la voix, et c'est tout ce qu'elle pouvait faire, elle a également constaté à quel point l'écart était encore grand entre l'intention d'ouverture, et la réalité. C'est cet écart qui assure le président sortant d'un nouveau mandat. Mais rien ne sera semble-t-il comme avant. L'Egypte a découvert une opposition en tous points différente de ce qu'elle a connu, c'est-à-dire plus combative et surtout moins conventionnelle, même si elle s'est montrée elle aussi soucieuse des formes mais sans jamais abandonner le fond. Restait à quelques heures de l'ouverture du scrutin, à connaître le détail de cette élection. Autrement dit, le taux de participation qui permettra de mesurer l'audience de l'opposition, et du score qu'obtiendra Moubarek avec cette première élection au scrutin universel. Après avoir enduré les plus dures critiques de son long règne, le président Hosni Moubarak peut espérer obtenir aujourd'hui à 77 ans et pour la première fois, un sacre des urnes. 32 millions d'électeurs sont appelés à désigner leur « raïs » lors de cette présidentielle multipartite sans précédent, mais à l'égalité des chances entre les dix candidats et à la transparence controversées. Sûr de l'emporter sur ses neufs rivaux, dont deux seuls ont une certaine notoriété, Ayman Nour et Noamane Gomaâ, le président Moubarak avait été élu, puis réélu trois fois depuis un quart de siècle par référendum. Seuls des chefs de partis ont pu se présenter, mais ni la gauche qui a boycotté le scrutin, l'estimant non-démocratique, ni le mouvement islamiste des Frères musulmans, les opposants les plus structurés, ne sont entrés en lice. « On ne pourra revenir en arrière, mais rien ne dit qu'on pourra aller plus vite en avant », a estimé un analyste réputé, Mustapha Kamal Al Sayyed, professeur de sciences politiques à l'université américaine du Caire. A 24 heures du scrutin, la présence autorisée d'observateurs d'ONG locales dans les bureaux de vote restait une inconnue, la commission électorale l'ayant encore refusé mardi, alors qu'un juge l'avait accepté dimanche. Dans un communiqué, la commission affirme avoir une « juridiction exclusive » sur toutes les procédures du scrutin, et que seuls les juges égyptiens seront habilités à en contrôler le bon déroulement dans les bureaux de vote. Après une campagne de trois semaines, au cours de laquelle un vent de liberté d'expression a soufflé comme jamais, une pause était observée à travers le pays, les candidats et leurs partis n'ayant plus le droit de s'exprimer. Ce qui n'empêchait pas la presse de publier hier des encarts publicitaires payés par des particuliers ou des entreprises en très grande majorité en faveur du président Moubarek en des termes souvent dithyrambiques. On pouvait ainsi décompter dans les 40 pages du grand quotidien gouvernemental Al Ahram, 31 publicités vantant les mérites de M. Moubarek, dont 5 sur une page entière, mais aucun encart pour ses neuf rivaux. Le président Moubarak a promis, pour son nouveau mandat de six ans, 4 millions d'emplois, ainsi que 2000 usines, 50 000 logements, 500 ponts, 3500 écoles, et un relèvement de 100% des salaires les plus bas des fonctionnaires. Sur sa route de campagne, il a croisé un rival très pugnace, Ayman Nour, 40 ans, le chef du petit parti libéral qui n'a cessé de lancer des attaques au vitriol contre M. Moubarek, dénonçant ses « 24 ans d'oppression ». Plus respectueux, Noamane Gomaâ, 70 ans, chef du néo-Wafd, parti héritier des grands combats nationalistes anti-britanniques, est crédité de la 2e place. Lui aussi a réclamé la fin de l'état d'urgence en vigueur depuis 1981. Si l'issue du scrutin n'a jamais fait de doute, l'opposition, des journalistes ou commentateurs se sont mis à critiquer comme jamais M. Moubarak, allant jusqu'à égratigner sa figure de « dernier pharaon ». Il y a quelques mois seulement, toutes piques contre le raïs ou toute tendance à la dissidence risquaient de mener leur auteur à fréquenter pour un temps indéterminé la prison ou à acquitter une solide amende. C'est peut-être l'un des changements qui a accompagné la révision constitutionnelle de mai dernier, mais il n'est pas déterminant, et il peut être de courte durée, comme l'ont prouvé certaines expériences. Et le risque est encore plus grand pour l'Egypte, dont les soutiens extérieurs semblent s'accommoder et même fortement du statu quo actuel. Ce sont aussi des risques de dérapage que s'autorise le parti au pouvoir qui a sorti ses militants afin d'affronter ses adversaires comme ultime recours pour étouffer toute voix contraire.