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Une journaliste irakienne nous parle de son vécu
« Il y a absence totale de confiance »
Publié dans El Watan le 15 - 09 - 2005

La violence en Irak est quotidienne. Pourtant, l'opinion publique ne sait toujours pas ce qui se passe réellement et les parties responsables de cette situation. Qu'en est-il au juste ?
Il faut savoir que plusieurs groupes agissent sur le terrain. D'abord les résistants. Ceux qui luttent contre l'occupation américaine. Leurs cibles se comptent parmi les membres de la coalition, du gouvernement, de leurs alliés et proches. Les groupes islamistes salafistes notamment de Zarkaoui s'y sont joints sans pour autant qu'il y ait une quelconque relation entre les deux. Ce qui les unit, c'est uniquement l'objectif qui consiste à mettre fin à la présence étrangère sur le sol irakien. Les autres groupes, à savoir les partisans du parti Baâth et les anciens collaborateurs du régime de Saddam Hussein, ont une part de responsabilité dans les attentats terroristes. Leur objectif est de faire perdurer la situation de chaos dans le but de montrer à l'opinion publique que les autorités actuelles, installées par les Américains, ne contrôlent absolument rien en Irak. Ce qui est, quelque part, une vérité dans la mesure où la violence règne en maître dans la majorité des provinces irakiennes. Seuls les sites pétroliers restent aujourd'hui plus ou moins sécurisés par l'armée américaine. Le gouvernement actuel sait très bien qu'il ne peut en aucun cas maîtriser la situation et le départ des troupes alliées du pays causera nécessairement sa disparition. Il fait tout pour attiser la haine entre les chiites et les sunnites, les Kurdes et les Arabes, les musulmans et les chrétiens, etc. Autant d'ingrédients qui vont faire éclater l'Irak en petites provinces. Un rêve que les Américains veulent concrétiser pour mieux contrôler le pétrole de la région. Le gouvernement actuel est illégitime pour une bonne partie du peuple. Bon nombre de ses responsables travaillaient directement avec la CIA avant la chute du régime de Saddam. D'autres, ceux qui vivaient en exil, étaient connus comme étant des corrompus, leur retour au pays pour occuper des postes de responsabilité assez importants a été perçu comme une trahison. Comment voulez-vous que les Irakiens puissent leur faire confiance ?
Comment s'organise aujourd'hui la résistance, celle qui lutte pour le départ des troupes étrangères ?
En fait, parce que le gouvernement irakien n'est pas légitime, automatiquement ses forces armées et quels que soient les moyens dont elles disposent ne peuvent bénéficier de la coopération des citoyens. Même s'ils sont neutres, quand ils sont témoins d'actes de violence, ces derniers refusent d'aider à l'identification des auteurs. Il préfèrent se résigner au silence, parce qu'ils ne se sentent pas concernés. Contrairement à chez vous, où l'armée était un rempart uni contre le terrorisme, en Irak les autorités américaines ont commis l'erreur fatale d'avoir dissous l'armée irakienne au lieu de la garder et de lui trouver un statut pour lui permettre d'évoluer selon la situation. Mais je suis convaincue que cela fait partie du plan américain pour l'éclatement de l'Irak. Contrairement aux affirmations du gouvernement irakien, une grande partie de la violence disparaîtra avec le départ des troupes étrangères. Ces dernières constituent une des plus importantes justifications à la terreur. Les violentes offensives des forces de sécurité irakiennes et des troupes américaines dans certaines régions, comme Feloudja ou contre la ville de Tall Afar, où toute une population a été décimée sous le fallacieux prétexte de la lutte antiterroriste, ont abouti à un véritable génocide. Les informations faisant état d'utilisation d'armes à destruction massive ont fait le tour des villes irakiennes. Cela a davantage creusé le fossé existant entre le peuple et le gouvernement. Pour nous, Talabani (le Président irakien, ndlr) a agi sous les ordres des Américains. Il ne peut en aucun cas être du côté de son peuple.
Dans cet environnement chaotique, comment la presse irakienne fait-elle pour rendre compte de ce qui se passe ?
En Irak, il y a une pluralité de la presse, mais pas la liberté. Aucun journal et aucune chaîne de télévision ne peuvent s'exprimer contre la présence américaine ou contre le gouvernement irakien. Les médias lourds sont devenus presque des centres d'aveux d'Irakiens arrêtés par-ci, par-là et présentés parfois comme des agents des régimes syrien ou iranien, ou tout simplement d'Al Qaîda. L'exercice du métier est très difficile. Coupés de la population et loin de la réalité, les présentateurs de JT sont contraints à la clandestinité et les journalistes de la presse écrite vivent l'enfer. Ils sont souvent obligés de changer d'itinéraire et vivent carrément en SDF. Beaucoup préfèrent être des correspondants d'organes de presse étrangers pour ne pas s'impliquer. D'autres écrivent sous des pseudonymes ou évitent les questions politiques. De nombreux journalistes irakiens ont évacué leurs familles vers les pays frontaliers, comme la Jordanie ou la Syrie. Ils font plusieurs voyages par semaine pour ne pas être coupés de l'actualité. En conclusion, c'est la pire des situations pour un journaliste. Des mensonges ont été colportés et rapportés par le chaînes de télévision nous montrant un semblant de normalisation. Ce qui est faux, car la vie, s'il y en a une, s'arrête à dix-sept heures. C'est vous dire la situation d'un peuple à tous les points de vue obligé de raisonner en termes de survie. C'est-à-dire assurer sa subsistance et sa sécurité. La première est précaire et l'autre n'existe tout simplement pas.


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