« Quelque chose de nouveau est en train d'arriver dans le Golfe, une sorte de perestroïka arabe, qui touche tout le monde, des Syriens aux Saoudiens. Libérer l'Irak sera un cadeau pour le peuple irakien et probablement pour l'ensemble du monde arabe. » Washington Post. Moh. Il a abrégé son prénom et sa carrière au journal Le Matin, pour aller se faire un nom ailleurs. Cet ailleurs, c'est l'Irak dans toutes ses dimensions dangereuses, que Mohamed Messara, jeune photographe algérien, a rejoint pour exercer son métier, quoi qu'il en coûte. A 28 ans, il comptabilise déjà plus du tiers de sa vie, voué totalement à l'image. Son baptême, il l'a fait au quotidien algérien L'Opinion, il y a dix ans, mais sa passion pour cet art remonte à plus loin. « Je ne suis pas venu au monde de la photo par pur hasard. Dès mon jeune âge, je passais un temps fou à contempler les photos qui me passaient sous la main. Je regardais les moindres détails. Quand il a fallu choisir un métier, je n'ai pas hésité à être photographe de presse. Après avoir exercé ce métier, je l'aime, chaque jour, un peu plus. La photographie est devenue une vraie passion pour moi », fait-il savoir. Aujourd'hui Moh est en Irak où personne n'a vraiment envie d'aller. Il pleut des bombes et l'atmosphère n'est pas bonne à respirer. La mort est au bout de chaque rue. L'autre jour, un reporter de guerre américain, pourtant rompu à ce genre de situation, confiait qu'« ici les journalistes n'ont qu'une envie, partir au plus vite ». Les plus irréductibles d'entre eux ont préféré y rester, à leur corps défendant, juste pour faire leur boulot, même si Baghdad, Felloudja ou « les autres contrées chaudes, c'est la merde », comme le soulignait nerveusement Moh qui a choisi de témoigner, en zoomant sur tout ce qui fait la vie et la mort en Irak. « La réalité, c'est que des gens meurent tous les jours à cause de cette guerre. Ici, la violence se déchaîne un peu partout, chaque jour un peu plus. Ne nous voilons pas la face. Une invasion est par essence injuste et ce que vivent les Irakiens est insoutenable », commente Moh, lui qui brave les dangers presque inconsciemment. Il a choisi l'épreuve du terrain parce qu'il a la chance de le faire pour de multiples raisons, contrairement à certains de ses confrères occidentaux, limités à suivre l'évolution de la situation à partir de leur chambre d'hôtel « bunkerisé ». Moh ne vit pas à l'hôtel Sheraton de Baghdad où sont basés la plupart des envoyés spéciaux. Il a élu domicile dans une villa de banlieue sans protection particulière et compte de nombreux amis irakiens. Il y vit depuis six mois et travaille pour EPA, une agence de presse allemande. Il est de tous les reportages et n'hésite pas à aller à tous les fronts. « S'il n'y a pas d'audace dans ce métier, il vaut mieux ne pas en faire », suggère-t-il. Il a confié au journal canadien La Presse qu'en août dernier, lors de l'offensive américaine sur Najaf, il a passé plusieurs semaines aux côtés des miliciens du Mehdi, les partisans armés du jeune chef radical Moqtada Sadr. Il les a accompagnés jusque dans le mausolée de l'imam Ali, l'un des lieux chiites les plus vénérés, dans lequel ils s'étaient retranchés. « J'ai vécu leur quotidien, senti leurs faiblesses et leurs forces. J'ai sympathisé avec certains qui, par la suite, ont été tués par les Américains », raconte-t-il non sans préciser que sa nationalité l'y a beaucoup aidé. « Ah oui, dès que les Irakiens apprennent qui je suis, ils me serrent la main. Ils se disent heureux de rencontrer un enfant issu du pays d'un million et demi de martyrs. De plus, les Irakiens apprécient beaucoup la position de la diplomatie algérienne, qui n'a jamais agi à l'encontre des intérêts de leur peuple. » Avec les partisans de Moqtada Sadr Mais en Irak, où la situation frise le chaos, on ne sait parfois qui est qui. La violence aveugle n'épargne personne. Il est très risqué de traîner dehors, a fortiori lorsqu'on est photographe reconnaissable à son équipement. Moh précise : « Le danger est permanent et pas seulement dans la rue. Il s'agit bel et bien d'une vraie guerre. Les gens sont en danger même chez eux. Un tir d'obus ou de missile venu de nulle part peut vous emporter. Mais pour nous, il s'agit de contrôler sa peur et d'affronter toutes les situations possibles, c'est-à-dire avoir l'information dans les cinq minutes qui suivent pour pouvoir agir et réagir à temps. » Pris entre le feu des insurgés et celui des forces américaines, le jeune reporter est un habitué des zones de fractures. Il en a vu d'autres, puisqu'il a déjà eu à filmer l'horreur et le drame de ses compatriotes, pris dans le piège du terrorisme. Dans ce triste chapitre, il a eu à témoigner à travers des photos expressives qui ont fait le tour du monde. Mais d'emblée, il refuse de faire le parallèle entre les événements d'Algérie et la guerre en Irak. « En Algérie, il s'agissait bien d'actes terroristes perpétrés par des groupes islamistes armés. Ici, c'est une occupation et une guerre menée par les Américains. En Algérie, lorsque la nouvelle d'un attentat ou d'un massacre tombait dans nos rédactions, la première chose à laquelle je pensais, c'était ma famille. Il fallait que je m'assure que tout le monde était sain et sauf. Je ne pouvais être détaché des événements. C'est mon pays et cela me touche toujours profondément. Ici, c'est différent. Les attentats sont légion et les bombardements quotidiens. Une véritable guerre qui ne dit pas son nom... » « Dans un pays où les groupes armés se forment chaque jour, pas forcément pour les mêmes raisons et les mêmes objectifs, exercer son métier de photographe est devenu presque impossible », raconte une journaliste française, qu'on ne peut soupçonner d'être inexpérimentée, puisqu'elle a à son actif plusieurs années dans les zones à risques. « Je porte en permanence un voile et “abaya” noire, à la manière des chiites, pour éviter d'être repérée. J'emprunte tous les jours des itinéraires différents... » Kidnappings et assassinats sont monnaie courante Dans ce bourbier où les kidnappings et les assassinats sont courants, des entreprises de presse ont opté pour le recrutement de gardes du corps, généralement d'anciens militaires sud-africains ou latino-américains mercenaires déclarés, ayant fait le sale boulot dans plusieurs contrées du monde. « D'abord ces recrutements ne se font que par les grosses boîtes nanties financièrement. Ensuite, même si cela tend à un peu sécuriser, avoir un garde du corps à ses basques, pour faire son métier, j'avoue que c'est contraignant pour ne pas dire absurde », estime notre photographe qui concède qu'il n'est pas là pour faire le jeu de quiconque. « Mon regard n'est pas partisan. Je ne montre que des faits. Un photographe ne peut mentir. Nous, les photographes, sommes des cibles faciles et repérables. » Passionné par le reportage de guerre, Moh évolue désormais dans la cour des grands. La photographie lui colle désormais à la peau. Il ne peut s'en séparer car, dit-il, « je l'aime chaque jour, un peu plus ». Les différents reportages qu'il a réalisés en Algérie et à l'étranger, non seulement lui ont permis d'apprendre davantage mais l'ont aguerri et malgré son jeune âge, il passe pour l'un des reporters les plus chevronnés. « Mon expérience irakienne me permet une amélioration quotidienne. Approcher de grands photographes, les côtoyer, observer leur manière de faire et apprendre avec eux est une grande opportunité pour moi », reconnaît-il modestement. Et puis être photographe, n'est-ce pas être le témoin de son époque ? Lui arrive-t-il d'avoir peur ? « Sûrement. C'est un sentiment humain et celui qui dira le contraire est un menteur. Il m'arrive parfois, devant la bêtise humaine, de désespérer de tout, de tout plaquer... Mais le bon sens et la raison sont les plus forts, alors je me remets à rêver... » « Dans mon métier, ajoute-t-il, il y a la joie, la haine, la douleur et le soulagement. L'Irak, c'est un brassage de cultures, de politiques et de religions, qui m'attire... Chaque jour, des centaines de journalistes et photographes risquent leur vie pour fixer leur objectif sur le drame irakien. Plus de 50 d'entre eux ne sont plus de ce monde, depuis le début de la guerre en mars 2003. » C'est très stressant, même terré dans sa chambre d'hôtel « Quand vous vous réveillez le matin, vous ne savez pas si vous finirez la journée au bord de la piscine ou entre les mains d'un groupe de ravisseurs. C'est très stressant, même si vous restez terré dans votre chambre d'hôtel », a reconnu l'accompagnateur libéré de deux journalistes français, encore emprisonnés. Près de 20 mois après la chute de Baghdad, le pays s'embrase, des bastions sunnites de Falloudjah aux positions chiites de Najaf... L'unité voulue par les Américains se construit contre les Américains eux-mêmes et les rapports entre « libérateurs » et population « libérée » deviennent de plus en plus tendus. La prochaine échéance électorale annoncée ? Les photographes s'y préparent sans y croire réellement. Ce sera une autre épreuve, autrement plus complexe que les « épreuves » que les photographes développent chaque jour, dans la solitude de leur chambre noire... Parcours A débuté au quotidien algérien l'opinion (aujourd'hui disparu) en 1995. A rejoint l'équipe du Matin en 1997 jusqu'à sa suspension en juillet 2004. Signe ses photos Moh. A collaboré pendant deux ans avec l'agence Corbis Sygma et le journal égyptien Al Ahram. En 2003 il rejoint l'agence allemande EPA (Europea Press Photo Agency). Sur le plan international, il a couvert un grand nombre d'événements, notamment l'élection présidentielle de Saddam Hussein en novembre 2003, la libération des otages allemands au Mali en août 2003, la finale de la Coupe d'Afrique des nations en Tunisie en 2004, le séisme qui a touché le nord du Maroc, notamment à El Hoceina en février 2004 et couvre, pour l'agence EPA, la guerre en Irak depuis plus de six mois. A participé à l'exposition photo à Paris en 2003, organisée par la FNAC, intitulée « Algérie, un autre regard ». Ses photos sont publiées dans les plus grands journaux du monde. Les plus récents supports : Herald Tribune, Paris Match, The Times, Time Magazine, El Mundo, Al Ahram...