Les élections législatives en Allemagne ont donné lieu à de multiples lectures et ouvert le champ à toutes les supputations et conjectures. Qui a gagné ? La question revient avec insistance, mais elle ne fait pas oublier le fait que la classe politique traditionnelle allemande, celle qui occupe le champ politique y compris par alternance depuis des décennies, recule pour ne pas dire qu'elle est rejetée par l'électorat. Mais à l'inverse, ce dernier refuse un autre choix. Pour ainsi dire, le message est fort et il n'y a pour cela qu'à s'interroger sur les scores ou plus simplement sur la montée de formations en voie de disparition, comme l'ancien parti communiste est allemand et l'extrême droite néo-nazie. Sans doute que les électeurs trouvent que ce n'est pas là le refuge idéal, mais c'est le sentiment de colère et de rejet. Est-ce que le message a été entendu ? Il est bien difficile d'y répondre. Sans attendre les résultats définitifs qui ne seront proclamés que le 2 octobre, le chancelier Gerhard Schroeder et sa rivale conservatrice Angela Merkel sont engagés depuis lundi dans un duel sans merci pour gouverner l'Allemagne, aucun camp n'ayant obtenu dimanche la majorité absolue aux élections législatives anticipées, ou encore leur match nul. Au lendemain d'une soirée électorale mouvementée, Angela Merkel, grande perdante du scrutin, a sobrement réaffirmé : « Nous sommes le plus gros groupe parlementaire et avons ainsi une mission gouvernementale claire. » Acclamé par un millier de partisans, le chancelier socio-démocrate, très pugnace, a revendiqué presqu'au même moment, avant une réunion de la direction du Parti socio-démocrate (SPD), le « succès » obtenu par son camp. Gerhard Schroeder, en sollicitant en mai dernier des élections anticipées à la suite d'un échec électoral régional de son parti, et Angela Merkel avaient chacun l'intention d'avoir un nouveau mandat clair pour approfondir la politique de réformes de l'Etat-providence hérité du « miracle économique » de l'après-guerre. Or, la paralysie politique menace désormais le pays en crise économique et sociale, qui a un urgent besoin de ces réformes. Loin de la mise en place rapide d'un gouvernement solide assuré d'une majorité stable, c'est une crise gouvernementale de plusieurs semaines, plusieurs mois peut-être, qui semble s'annoncer dans ce pays-clé de l'Union européenne, souvent qualifié « d'homme malade de l'Europe ». Angela Merkel a affirmé après une réunion de son parti ne pas avoir de « préférence » quant à la coalition qu'elle voudrait former pour gouverner. La dirigeante conservatrice, qui doit se représenter aujourd'hui à la présidence du groupe parlementaire conservateur - ce qui lui permettra de mesurer ses soutiens alors que la presse croit ses jours comptés à la tête de la CDU -, a ajouté que le SPD devait reconnaître que la CDU et sa sœur bavaroise CSU étaient arrivées en tête du scrutin avec 225 députés contre 222 pour le SPD. Ce n'est pas le calcul du SPD qui, comptant séparément la CDU et la CSU, affirme qu'il est arrivé le premier. Le président du SPD, Franz Mùntefering, a annoncé avoir officiellement invité les dirigeants de la CDU-CSU, du FDP et des Verts à des discussions exploratoires. Trois conditions doivent être réunies pour que les négociations aboutissent, selon lui : que le SPD gouverne, que Gerhard Schroeder reste chancelier et que le programme du SPD soit mis en œuvre dans ses points essentiels. Cette rivalité exacerbée entre les deux protagonistes rend plus difficile la formation d'une grande coalition entre leurs partis, qui pourtant semble l'option la plus viable et la plus logique. Quant au nouveau Parti de gauche, rassemblant les néo-communistes à l'Est et les déçus du SPD à l'Ouest, il est avec le FDP un des vainqueurs du scrutin, ayant recueilli 8,7% des suffrages contre seulement 4% en 2002 à l'ancien PDS (néo-communiste). Exclu des prochaines négociations, aussi bien par la CDU que par le SPD, il a confirmé qu'il ne soutiendrait aucun parti au Bundestag. Quoi qu'il se dise, il n'est pas exclu que la gauche de la gauche, comme elle est qualifiée, soit appelée à faire l'appoint. Reste l'hypothèse jamais envisagée en raison de l'euphorie ambiante, mais évoquée depuis lundi, et qui consiste en une grande coalition mais sans ses ténors, c'est à dire sans Schroeder et Merkel. Ce n'est pas, semble-t-il, une idée farfelue, mais une revendication qui prend forme pour signifier aux chefs leur propre échec, et par conséquent leur fin de mission. C'est aussi, estime-t-on dans les milieux politiques allemands, une manière d'éviter une crise politique.