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Dr Brigitta Kauers. Experte et ancien membre de l'Office allemand de la privatisation « Nous avons signé 42.000 contrats de privatisation de 1990 à 1994 »
Rencontré en marge de l'Université d'été de la Confédération des cadres de la finance et de la comptabilité (CCFC) tenue au siège de la fondation allemande Friedrich Ebert à Alger, le docteur Brigitta Kauers, experte chargée du suivi financier de l'unification allemande et ancien membre du Treuhand, l'ancien Office allemand de la privatisation des entreprises de l'ex-RDA, nous livre dans cet entretien l'expérience de son pays en matière de privatisation. Elle revient ainsi sur le contexte général qui a précédé le lancement du processus de privatisation, de création du Treuhand, et sur les résultats de ce processus. Quel était le contexte général de votre pays au moment du lancement de votre processus de privatisation ? Juste après 1989, un grand débat a eu lieu entre les économistes de la République démocratique d'Allemagne (RDA), ex-Allemagne de l'Est, sur la manière de rendre notre économie encore plus efficiente et plus compétitive. Ce n'était un secret pour personne que l'économie de la RDA était dans une phase critique et l'endettement très élevé. La productivité des branches les plus importantes était très en retard par rapport à leurs homologues étrangers. Nos produits étaient de moins en moins concurrentiels et compétitifs sur le marché mondial. Il était clair que si on voulait réduire notre endettement, il fallait encourager les exportations. Le débat qui a eu lieu entre les économistes était très bénéfique. Le Conseil des ministres de la RDA s'est réuni au mois de mars 1989 et a donné instruction à un comité qu'il avait créé auparavant pour réfléchir à quelles conditions il était possible, institutionnellement parlant, de redresser l'économie de la RDA, de la restructurer et de la rendre plus compétitive. C'est comme cela qu'est venue l'idée de la création de l'office Treuhand du temps de la RDA et en RDA. Le Treuhand avait comme mission d'aider les entreprises à devenir concurrentielles et compétitives ainsi que d'assurer le suivi et la liaison entre la commission d'Etat chargée de la planification et les entreprises. Cette commission a été par la suite dissoute pour sortir un petit peu de cette rigueur de la planification et donner plus de libertés aux entreprises pour qu'elles évoluent par rapport au marché. Il n'était pas exclu d'arriver à des fermetures d'entreprises, ce qui était tout simplement impensable du temps du socialisme. C'est là donc toute l'histoire et le contexte général qui a précédé le travail de la Treuhand. Au mois de mars 1990, il y a eu des élections à l'Assemble nationale, détenue à ce moment-là par les communistes, et la majorité a été gagnée par le parti de l'Union chrétienne démocrate (CDU). C'était un signal fort des électeurs qui démontraient ainsi que les deux Etats allemands (RDA et RFA, ndlr) pouvaient encore exister conjointement dans un seul Etat allemand. Les électeurs de la RDA étaient très favorables à un système économique copié sur celui de l'Allemagne de l'Ouest (RFA) qui avait fait ses preuves. L'office Treuhand a été donc créé au mois de mars 1990. L'objectif était de transformer les holdings économiques de la RDA en sociétés de capitaux. Par rapport à la législation économique de l'époque de la RDA, nous avons progressé pas à pas dans cette direction. A chaque étape de cette transformation, il fallait avoir l'accord des travailleurs. Les choses se passaient, à ce moment-là, d'une manière démocratique, ce qui était très intéressant en Allemagne de l'Est. Avec le changement de la législation, les entreprises étaient alors, subitement, mises au pied du mur car elles devaient compter sur elles-mêmes pour se planifier. Juridiquement, elles étaient déjà totalement désarmées. Les directeurs avaient l'habitude de recevoir des instructions, et maintenant c'était à eux de réfléchir et de planifier. C'est un changement total de la manière de penser et d'agir. Certains ont réussi à accomplir cette transformation, d'autres non. Avec les élections législatives et la formation du nouveau gouvernement en mars 1990, il était déjà clair qu'il allait y avoir une réunification des deux pays à la même période. Il était aussi clair que tout ce que le Treuhand allait faire était dans la perspective d'une réunification. Il y a eu une loi spéciale pour le Treuhand qui a été adoptée le 1er juillet 1990. Il est dit, dans cette loi, que le Treuhand était créé pour développer l'économie en direction de la liberté du marché. Il est dit également dans le préambule de cette loi que lorsque tout le processus de la privatisation sera terminé, chaque citoyen de la RDA pourrait avoir une part de cette propriété du peuple qui a été cédée. La privatisation a été lancée à ce moment-là. En juillet 1990 déjà, les premières entreprises ont été vendues. Les recettes issues de la privatisation des entreprises, enregistrées à la fin de la mission du Treuhand, s'élevaient à 60 milliards de Marks, ce qui représentait seulement 10% de ce qui était prévu au départ par le président du Treuhand. La privatisation a concerné toutes les entreprises ou seulement un certain nombre d'entre elles ? Il n'y avait pas de listes d'entreprises préétablie. L'idée au départ était de privatiser le plus vite possible. Nous n'avons pas traîné, il y avait des investisseurs qui étaient intéressés par certaines entreprises et à partir du moment où leurs conditions étaient acceptables, nous n'avons pas hésité à les vendre. Quel a été le cahier des charges exigé pour la reprise des entreprises ? Nous exigions des repreneurs un plan d'action. Pourquoi ils voulaient racheter ? Nous voulions avoir la confirmation, à partir de leurs plans d'action, qu'ils allaient maintenir en existence les entreprises et les développer et non pas en faire autre chose. Nous voulions savoir aussi la politique des repreneurs en matière d'emploi. L'autre aspect exigé des repreneurs est celui des montants financiers qu'ils comptaient investir et selon quel échéancier. Nous insistions par ailleurs dans les négociations avec les repreneurs sur la protection de l'environnement. Les engagements pris par les repreneurs dans les contrats de cessions était contrôlés et vérifiés. Dans le cas où les garanties données par l'investisseur n'étaient pas respectées, des pénalités sont prises à son encontre. Bien que le Treuhand ait terminé sa mission depuis très longtemps, le contrôle persiste aussi longtemps que les contrats le prévoient. Combien de travailleurs ont été licenciés au terme du processus de privatisation ? Je peux vous citer deux chiffres. Il y avait au départ dans les entreprises concernées par la privatisation 4 millions d'employés. Sur la base des contrats de privatisation que nous avons signés jusqu'à 1994, l'année de la dissolution de la Treuhand, nous avons pu obtenir la garantie du maintien à l'emploi de 1,5 million de personnes. C'est le chiffre que nous devions contrôler. Il y avait d'autres postes d'emploi qui étaient dans les contrats mais qui n'étaient pas garantis. Autrement dit, les 2,5 millions postes de travail restants n'ont pas été tous perdus, même si beaucoup d'anciens emplois l'ont été. Quelle est la nationalité des repreneurs retenus ? Nous étions ouverts à toutes les nationalités. Les repreneurs qui se présentaient doivent prouver leurs capacités. Nous voulions quand même remettre ces entreprises entre des bonnes mains. Cela dit, la plupart des repreneurs étaient allemands aussi bien de l'Ouest que de l'Est. Les étrangers ont représenté 6% des repreneurs. Ils ont garanti 10% des emplois. Les repreneurs étrangers retenus sont issus de la Grande-Bretagne, la Hollande, la Suisse, l'Autriche, la France et les Etats-Unis pour ce qui est des accords d'investissements. Nous avons signé en tout 42.000 contrats de privatisations dont environ 3000 avec des anciens cadres dirigeants d'entreprises à privatiser. Est-ce qu'il y a eu des reprises d'entreprises par les anciens salariés ? Il y en a eu très peu. Quel est le nombre total des entreprises privatisées ? Au début, il y en avait 8400 mais qui étaient divisées en plusieurs autres succursales. On est arrivé à quelque chose comme 23.500 unités économique à privatiser. Le Treuhand est-il le seul organe décisionnel dans les opérations de privatisation ? Non. Quand il s'agissait d'objets économiques assez importants, comme c'est le cas pour les sociétés des produits chimiques, il a fallu à ce niveau d'investissement et de rachat monter jusqu'au ministère des Finances pour avoir l'accord définitif. A un niveau au-dessous, il y a le comité de surveillance du Treuhand. Beaucoup de décisions de privatisation ne sont même pas arrivées à ce niveau décisionnel du comité du Treuhand. Justement quels sont, de façon verticale, les niveaux de décisions ? Tout à fait en bas, nous avons les équipes de privatisation qui sont composées au minimum de deux personnes pour la prise de décision. A un niveau supérieur, nous avons les responsables de direction au sein de l'office Treuhand. Ensuite, il y a le comité directeur de Treuhand présidé par le président de Treuhand. Après, c'est le niveau décisionnel du conseil d'administration du Treuhand. A partir de là, on sort du Treuhand pour aller vers la tutelle ministérielle, en l'occurrence le ministère des Finances. Parfois, sur un certain nombre de questions, des décisions sont prises en accord avec le ministère de l'Economie. Ce sont là les différents niveaux de prise décision dans les opérations de privatisation. S'agissant du contrôle, il est assuré par le Parlement. Chaque député a le droit de poser des questions au président du Treuhand sur une quelconque opération de privatisation. Le Treuhand est donc en soi une entreprise à part entière… C'est un organisme d'Etat qui agit comme une entreprise avec une autonomie financière. La mission du Treuhand a été terminée en 1994. Qui a pris le relais ? Le Treuhand a terminé sa mission le 31 décembre 1994. Le 1er janvier 1995, on a mis en place le successeur du Treuhand, à savoir l'Office fédéral chargé des questions liées à la réunification. L'accent était mis, pour ce qui du Treuhand, sur la privatisation, tandis que pour l'organisme qui lui a succédé, il devait assurer surtout le suivi et le contrôle des contrats qui ont été signés.