Me Tayeb Belloula, avocat à la cour et ancien bâtonnier, a donné des explications sur des passages du projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale. Il a préféré débattre uniquement des aspects juridiques. Le premier chapitre de la charte est consacré à l'extinction des poursuites judiciaires à l'encontre des individus qui ne sont pas impliqués dans les massacres collectifs, les viols et les attentats à l'explosif dans les lieux publics. Le code de procédure pénale fait-il référence à l'extinction des poursuites judiciaires ? L'extinction des poursuites est prévue par le code de procédure pénale en cas d'amnistie. En principe, l'amnistie relève d'une loi votée par le Parlement (Assemblée populaire nationale et Conseil de la nation). Dans le cas qui nous préoccupe, le président de la République, au lieu de s'adresser au Parlement, a préféré consulter, au préalable, le peuple. Il pouvait aussi agir par voie d'ordonnance qui est soumise par la suite à validation par le Parlement. Le chef de l'Etat peut parfaitement, si le oui du référendum l'emporte, soumettre un projet de loi à l'Assemblée populaire nationale pour préciser le déroulement des procédures de l'amnistie. Si le oui ne l'emporte pas, l'amnistie est définitivement rejetée par le peuple, il sera difficile donc par la suite de présenter un projet d'amnistie au Parlement. La charte est légale. La Constitution autorise le Président à s'adresser au peuple pour lui demander de se prononcer sur une question d'importance nationale. Ce procédé n'est pas propre à la Constitution algérienne, d'autres pays y ont recours. Dans la charte, il est fait référence aux individus qui ne sont impliqués que dans les massacres et on évoque la grâce pour les individus condamnés et détenus pour des activités de soutien au terrorisme. Comment va-t-on identifier les personnes qui ont été impliquées dans les actes de terrorisme et celles qui ont soutenu le terrorisme ? C'est une opération qui n'est pas facile et qui ne peut se réaliser sans faille. Pour tenter de comprendre l'enjeu, il faut distinguer entre l'amnistie et la grâce. L'amnistie, qui éteint l'action publique (les poursuites), vise, à travers la charte pour la paix et la réconciliation, « les individus qui ne sont pas impliqués dans les massacres collectifs, les viols et les attentats à l'explosif dans les lieux publics ». La question qui se pose est : qui peut affirmer que tel ou tel individu n'est pas impliqué dans les massacres collectifs, les viols et les attentats à l'explosif dans les lieux publics ? Une telle mission revient aux services de la police judiciaire habilités par la loi à enquêter sous le contrôle de la justice. Je suppose que les services de sécurité possèdent ou détiennent des renseignements sur les individus montés au maquis. L'identification se fera probablement sur la base de dossiers constitués par les services de sécurité. Ces services ont sans doute obtenu des renseignements fournis par les repentis. L'identification de tels individus reste difficile, voire complexe, puisque par définition la justice ne s'est pas prononcée, ce qui peut engendrer des contestations. Quant à la grâce, elle vise les personnes condamnées et qui n'ont pas encore exécuté totalement leur peine. Dans la pratique, c'est le ministère de la Justice qui prépare les dossiers des personnes condamnées susceptibles d'être graciées. Il appartient à ce ministère donc de vérifier les dossiers avant de les soumettre au Président qui décidera en dernier lieu. Pour ce qui est de la grâce des personnes qui ont soutenu le terrorisme, la question est complexe, car il est très difficile de distinguer entre ceux qui ont soutenu politiquement le terrorisme et ceux qui ont pris part à l'action terroriste. A titre d'exemple, prenons le cas d'un individu qui a aidé un terroriste à commettre un crime en lui communiquant les renseignements pour lui permettre d'accomplir son forfait. La loi le punit comme celui qui a commis l'infraction. Il en est de même de ceux qui ont préparé un guet-apens pour permettre à des individus de commettre des actes de terrorisme. Cette question mérite davantage d'éclaircissements et fera, peut-être, l'objet d'un texte qui délimitera la frontière entre le soutien politique et le soutien à l'action terroriste. C'est une affaire éminemment politique. Il n'en reste pas moins que cette démarche est ambiguë tant que le mot soutien n'est pas clairement défini. Surtout que le code pénal punit ceux qui font l'apologie des actes terroristes et ils sont nombreux. La charte dans son ensemble vise les personnes impliquées dans les massacres collectifs. Qu'en est-il alors des personnes qui ont commis des massacres individuels ? La lecture appliquée de la charte ne permet pas d'inclure de tels individus parmi ceux qui sont impliqués dans les massacres collectifs. La charte passe sous silence de telles personnes qui ont commis des assassinats individuels et qui sont peut-être aussi nombreux que les massacres collectifs. Après cinq ans ou plus au maquis, les terroristes selon la charte ont le droit de réintégrer leur poste de travail. Concrètement et selon la loi, est-ce faisable ? On peut déduire des prévisions de la charte que les personnes amnistiées ou graciées peuvent être réintégrées par leur employeur. La gestion de tels cas me paraît relever de simples promesses pour la simple raison que l'employeur peut, en vertu de la législation actuelle, refuser de réintégrer un salarié licencié moyennant indemnisation. De plus, les employeurs peuvent refuser la réintégration de telles personnes tout simplement parce que leur poste de travail est occupé par d'autres personnes, souvent recrutées depuis plusieurs années. Par ailleurs, on ne peut exiger des entreprises une compétitivité tout en augmentant leurs charges par l'obligation de réintégrer des salariés amnistiés ou graciés. Enfin au sein de certaines institutions de l'Etat, il sera également difficile de réintégrer des personnes, par exemple au sein de l'éducation nationale, après que celles-ci eurent été graciées pour avoir soutenu le terrorisme. Qu'en penseront les élèves et les parents dans ce cas ? Selon la charte, il est interdit aux terroristes d'exercer une activité politique ou de créer un parti. Cependant, M. Belkhadem a déclaré, dans une de ses sorties, que les repentis peuvent adhérer à un parti. Ces déclarations ne sont-elles pas en contradiction avec les propos du Président ? Actuellement, les repentis font de la politique et ils font même de belles affaires. La question qui se pose est : pourquoi le Pouvoir ne contrôle-t-il pas l'activité de ces individus ? Par ailleurs, si on interdit à un terroriste de créer un parti politique, il n'a pas aussi le droit d'activer dans un parti politique. La question pertinente qui se pose et de savoir qui contrôlera l'application de la charte une fois votée par le peuple, y aura-t-il une commission ou un groupe de travail qui se chargera de cette mission ?