Il aura fallu détruire, hier en fin de matinée, une partie du portail du stade Benabdelmalek Ramdane, à Constantine (450 km à l'est d'Alger), pour permettre au camion technique de la télévision d'Etat de pénétrer dans l'enceinte. A l'intérieur, sous l'œil des vitres teintées du Centre territorial de recherche et d'investigation contigu (CTRI, services spéciaux militaires locaux), des techniciens s'affairent à dresser la tribune à partir de laquelle le Président Abdelaziz Bouteflika animera aujourd'hui son meeting en faveur du projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale. En face du stade, qui porte le nom d'un des premiers martyrs de la guerre de Libération, la prison Koudiat veut faire peau neuve. Suspendus aux murailles du vieux pénitencier, des détenus repeignent la façade visible. A trois cents pas de l'entrée principale du stade, les employés de l'Enapem, société publique d'appareillage électroménager, interpellent le Président Bouteflika à intervenir face au non-paiement de leurs salaires depuis 9 mois, à travers des banderoles miraculeusement passées au travers du quadrillage policier. Mais comme les trottoirs ne sont pas badigeonnés, ni la chaussée rénovée, l'on doute fort que l'itinéraire du chef de l'Etat puisse passer par là, fait-on observer. La campagne visuelle en faveur du chef de l'Etat reste assez répandue dans les artères du centre-ville, avec l'apport des acteurs de la « société civile », comme l'Organisation de la société qui affiche en banderole du côté de la salle Mohamed Laïd Al Khalifa son « soutien » au projet présidentiel. Ou les affiches annonçant un tournoi de football interquartiers du 10 au 26 septembre initié par la commune de Constantine sous le slogan « Ma ville est pacifiste et réconciliatrice ». Une plongée dans la vieille ville, la Souika millénaire, renseigne sur la rareté de la communication officielle. Tout au long de l'animée rue Mellah Slimane et en débouchant sur Echatt et le café Nedjma, une seule affiche est débusquée à l'entrée d'un coiffeur et qui fait mention du projet présidentiel. Perchée à 640 m au-dessus du niveau de la mer, assiégée par les glissements de terrain, la sulfureuse médina ne semble pas atteinte du vertige de la « campagne de sensibilisation ». « L'overdose communicationnelle a dévitalisé l'intérêt pour le projet de charte », estime un journaliste natif de la ville des Ponts. Mais peut-être aussi la peur. Le militant du MDS, Mohamed Daoua, a été interpellé la semaine dernière pour « distribution de tracts qui portent atteinte à l'intérêt national » pour avoir diffusé des brochures appelant au boycott du référendum du 29 septembre. Il attend la suite des poursuites. L'équation Betchine-Mezrag C'est la dixième visite du chef de l'Etat à Constantine depuis 1999 et la seconde durant son deuxième mandat. « C'est une ville riche en symboles, c'est la ville d'Ibn Badis, de Malek Haddad, d'Ahmed Bey... », avance un Constantinois qui ajoute en fin de liste le nom de Mohamed Betchine, général à la retraite, ancien conseiller du Président Zeroual et ex-chef des services de renseignement à la fin des années 1980, natif de Constantine et présenté comme un des personnages-clé de la ville. L'homme aurait été l'un des artisans en 1997 des accords avec l'Armée islamique du salut (AIS, autodissoute en 2000). En mars 2004, Abdelaziz Bouteflika avait animé un meeting de la campagne présidentielle en compagnie de Madani Mezrag, ancien émir de l'AIS et de Mohamed Betchine. « Les verra-t-on dans le meeting de jeudi ? », s'interroge-t-on. Il y a une dizaine de jours, Madani Mezrag a assisté à un meeting en faveur du projet de la charte animé à Constantine, il y a une dizaine de jours, par Abdelaziz Belkhadem, ministre d'Etat, représentant personnel du président au gouvernement et patron en second du FLN. Les spéculations vont bon train aux bords du boulevard de l'Abîme.