Le gouvernement a profité d'une ordonnance législative pour interdire l'importation des véhicules de moins de 3 ans, longtemps défendue par les élus, et l'opinion. Une mesure aux motivations peu claires et à l'incidence encore insoupçonnée sur le marché de l'automobile en Algérie. Enfin un sinistre social pour la filière des importateurs. La formule est de circonstance : « Chaque famille algérienne a été touchée de près ou de loin par la tragédie nationale des années 90. » Brahim, 35 ans, détenteur d'une carte de résidence en France et spécialiste de l'importation de véhicules d'occasion depuis une dizaine d'année ajoute : « Chaque famille algérienne a bénéficié de près ou de loin des effets du business du véhicule d'occasion importé. » C'est un réseau commercial tentaculaire qui s'effondre, de la place forte de Tébessa pour la filière continentale par la Tunisie au port de Ghazaouet pour l'acheminement estival rapide par Alméria en passant par la bourse de change de devises de Sétif où l'on est toujours fier d'exposer sous les arcades du centre-ville, en avant-première nationale, le dernier modèle de chez Peugeot, exploit particulier en date, la Peugeot 607 dans la semaine même où elle était commercialisée en France en 2000. 52 000 véhicules importés par les particuliers en six mois en 2005, même si l'effet d'anticipation a gonflé le chiffre, il s'agit bien d'une activité pleine et entière (50 000 véhicules en moyenne les trois dernières années) qui est démantelée. Un pan d'économie est atteint. Brahim en parle avec une rage contenue : « Tout le monde a mangé du pain avec nous : l'ENTMV, Air Algérie, on était des centaines de passeurs à repartir par avion en France pour gagner du temps, les recettes des Douanes sans parler des agents de douanes, les ports, la SAA, les familles des cambistes qui pouvaient changer plus d'euros chaque jour, les familles des revendeurs de toutes sortes qui louaient le coffre arrière ou le toit d'un véhicule pour qu'on leur amène de la petite marchandise, sans parler bien sûr des familles des enfants de chouhada et de moudjahidine qui se faisaient un peu d'argent, tous les cinq ans, en nous vendant leurs licences d'importation pour acheter les véhicules les plus chers à dédouaner. » C'est d'ailleurs cet argumentaire de la préservation de l'activité qui a contribué à sauver d'année en année l'importation des véhicules d'occasion des assauts répétés des gouvernements successifs (Benflis et Ouyahia) qui proposaient dans chaque projet de loi de finances de le supprimer et qui ne l'obtenaient pas dans le vote des députés. Quelle mouche a donc piqué le Président Bouteflika pour qu'il se mette personnellement de la partie à la fin de l'année dernière en prenant fait et cause pour la fin de l'importation du véhicule d'occasion ? Une étude de marché qui montrait un déséquilibre au profit de l'occasion et au détriment du neuf vendu directement en Algérie ? Une enquête de terrain établissant une responsabilité particulièrement saillante des voitures d'occasion dans le niveau scandaleusement haut de l'insécurité routière ? Un monopole sur l'importation des véhicules d'occasion tenu par un clan de l'armée hostile au second mandat de Bouteflika ? Rien de tout cela. La vente du neuf a poursuivi une croissance supérieure à 20% par an depuis cinq ans et sa part de marché a grossi au détriment de l'occasion, les accidents de la route ont baissé de 14% depuis que l'on applique plus strictement le code de la route et baisseront sans doute encore lorsque le réseau routier sera élargi et réhabilité aux normes, et le véhicule d'occasion est le marché d'importation le plus « démocratique » dans lequel les intervenants, trabendistes du cabas montés en gamme, viennent pour la plupart de milieux populaires. L'obstacle le plus concret à ce commerce étant l'acquisition du visa Schengen. Descendre en gamme ou ne pas acheter Le coup est donc parti, que va-t-il arriver maintenant ? « Les importations par les particuliers représentaient en moyenne entre 30% et 40% des nouvelles immatriculations ces deux dernières années, dans un marché en plein boom. Cela va-t-il être comblé et comment ? Ceux qui pensent qu'il va y avoir un transfert automatique vers le neuf font un calcul simpliste », estime Hamid Taleb, ancien cadre commercial dans le groupe Fiat International. « Avec 4200 euros rendue à Alger moi je vous amène une Clio II 1.9 diesel commerciale de 24 mois et moins de 100 000 km avec sa banquette arrière. Moi je gagne 200 à 300 euros et le propriétaire, lui, il roule avec une voiture qui coûte deux fois plus cher à l'état neuf », explique Brahim. L'effet prix était le premier carburant de l'importation de l'occasion combinée à la possibilité d'échapper à des frais de douanes supérieurs à 250 000 DA au-delà de 7 chevaux fiscaux en payant généralement moins de 150 000 DA une licence d'importation. Avec le « moins de 3 ans », on peut devenir acquéreur d'un bon véhicule au gazole pour 550 000 dinars environ. Le diesel d'entrée de gamme neuf commence à 950 000 DA chez Hyundai (Accent CRDI) et chez Citroën (C2 HDI) à 930 000 DA chez Renault (Clio classic) en attendant le Logan diesel de chez Dacia. Passé au neuf signifiera pour le client habituel du « moins de trois ans » descendre fortement en gamme ou alors différer la décision d'achat. Le premier effet de la mesure d'interdiction de l'importation des véhicules de moins de trois ans sera donc le plus probablement de ralentir la progression du parc automobile qui s'est très fortement emballé en Algérie depuis l'année 2001. C'est l'avis de l'observateur avisé qu'est Hamid Taleb : « Peut-être même le but inavoué de la mesure d'interdiction de l'occasion. » Un autre effet s'annonce à moyen terme : la limitation de la diésélisation du parc par le retour à l'achat du véhicule essence, moins cher lorsqu'on se rabat sur le neuf. Un des conseillers de Chakib Khelil, ministre de l'Energie et des Mines, avait annoncé que son département ministériel réfléchissait à la relance du GPL carburant afin de mieux exporter les autres produits raffinés, mieux rémunérés sur le marché extérieur. Or le concurrent redoutable pour le Sirghaz (nom commercial du GPL C) est bien sûr le diesel. En passant de l'occasion au neuf, on passe souvent du diesel à l'essence et donc peut-être au Sirghaz pour retrouver des frais de carburant « amicaux ». Voiture neuve destockée Les autorités ont renoncé depuis longtemps à monnayer l'accès au marché domestique algérien pour pousser les grands constructeurs mondiaux à implanter une activité d'assemblage de véhicules en Algérie. Elles avaient, au milieu des années 90, lié l'interdiction de l'importation de l'occasion au démarrage préalable d'un projet industriel d'assemblage automobile en Algérie. Aujourd'hui, ce sont quelques milliers d'emplois directs et indirects qui sont condamnés dans la filière de l'occasion importée. Brahim ne sait pas encore trop bien ce qu'il va faire. « Je connais des amis qui se sont convertis dans l'importation des voitures neuves mais un peu spéciales, des modèles qui viennent de sortir ou qui ne sont pas distribués par les concessionnaires en Algérie. Il faut immobiliser beaucoup d'argent, plus de 20 000 euros parfois 30 000 euros pour une Mercedes ou une Audi. C'est risqué. Mais la bonne piste ce sont les voitures neuves destockées, au prix étonnant. » La voiture neuve « destockée », voilà peut-être le nouveau filon du business de l'importation de véhicules et le casse-tête des douaniers qui auront à déterminer s'il s'agit vraiment de neuf ou pas : la voiture neuve destockée ? « C'est une voiture qui a servi à des essais, à des expositions ou qui n'a pas été vendue sur le réseau après plusieurs mois et qui est pour cela retirée du stock. Elle est considérée comme neuve par l'administration. Son prix peut être plus bas de 20 à 30% », explique Brahim. Tout le monde l'aura compris, la voiture d'occasion arrivera encore dans les ports d'Algérie, elle sera un peu plus haut de gamme et un peu plus chère. Au moins on ne pourra pas l'accuser de faire vieillir le parc roulant qui entre temps va, comme le reste, entrer dans l'ère du « made in China ».