Hanifa Cherifi, inspectrice générale des Etablissements et vie scolaire, revient sur l'application de la loi sur la laïcité dans les établissements d'enseignement public du 15 mars 2004, une loi qui a fait couler beaucoup d'encre et suscité des débats passionnés en France, mais aussi au niveau international. Comment expliquez-vous que la loi sur la laïcité à l'école publique, après avoir soulevé tant de passion et de controverse, a été appliquée sans susciter de remous ? C'est une loi qui n'est pas orientée contre une religion en particulier, en l'occurrence l'Islam, mais une loi qui impose la même règle à tous, la laïcité. L'école n'est pas un lieu de confrontations religieuses. L'application de la loi sur la laïcité a été accompagnée d'un important travail pédagogique, d'explication, de formation et de préparation du personnel éducatif. Un des 4 articles de la loi stipule que toute mesure disciplinaire doit être précédée d'une procédure de dialogue entre l'élève et sa famille, d'une part, et le milieu scolaire, d'autre part. Le port du voile a reculé, écrivez-vous dans votre rapport. Par quels effets ce recul s'est-il produit ? Dans la mesure où elle a été établie sur un principe d'égalité de traitement des religions, la loi sur la laïcité à l'école publique a eu des résultats tangibles. Ses retombées sont positives. Une dizaine de jeunes filles voilées et de sikhs ont eu besoin d'une procédure de dialogue, contre 639 en 2004. En 2003, 1465 filles portaient le voile, elles étaient plus de 3000 en 1994. Cette loi permet aux jeunes filles de poursuivre leur scolarité et d'assurer leur promotion sociale. Ce qui est important, c'est qu'elles trouvent leur place dans la société, et c'est par l'école qu'elles y parviendront. C'est une erreur que les personnes issues de l'immigration s'autoexcluent et rajoutent des obstacles à des discriminations sociales. Des courants religieux obscurantistes voulaient, en s'appuyant sur des difficultés d'insertion sociale, encourager la création de ghettos, couper les jeunes de leurs pays d'origine, de leurs parents, en leur disant que l'Islam de leurs parents n'est pas l'Islam, et de la société dans laquelle ils sont nés et vivent. Ils voulaient que ces jeunes tournent le dos à l'histoire qui les structure et structure leurs parents. On est passé par dix ans de terrible processus de déculturation, de tentative de démantèlement de filiation avec les parents et les pays d'origine. Aujourd'hui, on est dans une prise de conscience collective. Et c'est cette prise de conscience qui a fait reculer le port du voile à l'école. Les jeunes filles qui le portaient ou étaient susceptibles de le porter ont compris que c'était un obstacle à leur promotion sociale. N'est-ce pas trop tôt pour juger du caractère durable des résultats obtenus en un an ? C'est un travail à poursuivre, pour que ces jeunes retrouvent une certaine sérénité, leur place de citoyen et de citoyenne. Les institutions doivent pouvoir accompagner ceux qui sont dans un processus d'interrogation. Je pense que l'influence de l'idéologie obscurantiste est en train de régresser. Il faut planter dans le terreau du présent, comme disait Mouloud Mammeri, en acceptant que nous soyons le produit d'une histoire, que nous en sommes fiers, que l'Algérie se construit aussi avec nous, que nous sommes Français. La loi sur la laïcité dans les établissements scolaires de l'enseignement privé a permis, contrairement à ce qu'on disait - c'est-à-dire que son application entraînerait l'exclusion de centaines de jeunes filles - de mieux comprendre l'état du rapport de l'immigration maghrébine à la société française, une immigration qui est en phase avec le modèle républicain. Si une minorité cherche à se singulariser, la majorité s'inscrit dans les valeurs de la société française, car ce sont des valeurs universelles. Il est important que la société française en prenne conscience. N'êtes-vous pas trop optimiste, quand vous parlez de régression de l'idéologie obscurantiste ? De la part des jeunes filles concernées par le port du voile, on observe une distance par rapport à un discours idéologique qui les encourageait à se démarquer du reste de la société. Elles étaient dans la confiance de ce discours. Elles ont fini par comprendre que revendiquer le port du voile à l'école était une impasse, voire les desservait. Dans un premier temps, ces jeunes filles étaient prêtes à faire don de leur féminité, si en compensation elles obtiendraient un meilleur être social, un meilleur être intime, une forme de reconnaissance et de valorisation de soi . La loi les a libérées de l'obligation de porter le voile. C'est l'institution publique qui décide de la règle commune de l'école. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus de filles voilées, mais la loi sur la laïcité à l'école a fait reculer le discours des associations et des idéologues qui disaient à l'adresse de ces jeunes filles : « C'est par le voile que vous allez vous retrouver ». Or, que constatons-nous. Les effets de la loi ont permis à ces jeunes filles, écartelées, de trouver leur place entre leur foi et la société en tant que femmes et enfants issus de l'immigration. Leur affirmation et leur promotion sociale ne passent pas par ce qui les sépare des autres. On ne se construit pas uniquement avec la religion.