Après une période de dictature militaire, les pays comme l'Espagne, le Portugal et la Grèce ont connu un passage plus ou moins perturbé vers la démocratie (1975/1980). Mais ils ont réussi, en un temps relativement court, à asseoir les fondements d'une démocratie véritable et à réunir les conditions de développement leur permettant de réduire les retards sur les autres pays de la communauté européenne. Ces pays avaient durant les années 1960/1970, beaucoup de similitudes avec certains pays arabes, notamment l'Egypte et les pays du Maghreb. Ces similitudes sont liées à la zone géographique, à l'histoire, au niveau de vie et aux possibilités de développement. Quels sont donc les facteurs internes et externes qui ont favorisé l'avènement de la démocratie chez les uns et bloquer le processus de démocratisation, depuis plus de 35 ans, chez les autres ? L'un des facteurs fondamentaux qui différencient les pays arabes et ces pays européens réside, en mon sens, dans la nécessité vitale d'adhésion à la communauté européenne. Cette adhésion était perçue en Espagne, au Portugal, en Grèce comme vitale aussi bien par le citoyen que par l'homme politique. Mais l'adhésion était subordonnée, entre autres, à la démocratisation des institutions. Cette exigence a fermé la route aux dictateurs. Et les dictateurs ont compris que la nature de leur régime ne peut survivre à une exclusion du marché européen. L'attachement de ces sociétés à la liberté et le soutien externe apporté par la communauté européenne ont contribué, d'une manière fondamentale, à concrétiser simultanément deux objectifs ; la démocratie et l'adhésion. Bien sûr, cet idéal ne s'est pas réalisé sans difficultés. Mais il a été construit graduellement grâce à l'interaction positive entre les facteurs internes (la société) et les facteurs externes (l'Europe). Peut-on, au vu de cette expérience, combiner une « recette » d'instauration de la démocratie ? Surtout que le schéma décrit plus haut, fonctionne progressivement et positivement avec la Turquie. Mais, pour mettre ce processus en marche, il faut avoir des démocrates. Les pays européens ont payé un prix fort pour que les principes fondamentaux de la démocratie soient admis, respectés et défendus par tous les citoyens, constituant ainsi un point de non-retour. Sur le plan interne, le monde arabe possède une société qui réclame des libertés, mais elle est insuffisamment organisée voire moyennement convaincue que la démocratie est la seule voie possible de gouverner. Les dictateurs et par la suite certains intégristes ont opposé la démocratie à l'Islam, utilisant ainsi une solution de facilité pour convaincre le citoyen illettré ou non politisé à rejeter la démocratie. Ils savent très bien qu'aucune analyse théologique sérieuse ne peut confirmer cette opposition. Et c'est cette raison qui les empêche d'ouvrir un débat approfondi autour de l'Islam et de la démocratie. Comment mettre en pratique la concertation qui est un ordre divin adressé aux musulmans ? Il y a donc des contradictions fondamentales qui empêchent le démarrage d'une dynamique démocratique dans le monde arabe. Une pression externe pour aider les forces internes à réclamer plus de démocratie n'a aucune chance de réussir à enclencher le processus. Le nationalisme arabe est très fort. Cette pression ou suggestion externe rendra un bon service aux dictateurs et leur facilitera le rejet, au nom du nationalisme et du respect des traditions, de tout projet externe porteur de changement. La faiblesse de l'opposition et l'absence d'un compromis historique. L'opposition est fragile, divisée, indécise et égoïste. Elle donne l'impression qu'elle n'est pas convaincue de pouvoir constituer une force d'alternance, elle fait de la figuration pour le plaisir d'exister sans influencer le cours des choses pour ne pas dire le cours de l'histoire. Ses dirigeants se contentant d'un rôle inefficace de chef d'un parti, sans vision stratégique à long terme. L'opposition, constituée ainsi, s'est montrée incapable de réunir toutes ses forces autour d'un compromis historique. Allons-nous conclure qu'il n'y a aucune possibilité pour le monde arabe d'accéder à un système démocratique ? Bien sûr que non. Les premiers signes d'espoir L'avènement de la démocratie est inéluctable, des signes porteurs d'espoir sont là, les uns plus influents que les autres. Ces facteurs peuvent agir positivement sur les aspirations internes et leur servir d'appui et de stimulant. Le facteur le plus important, à mon avis, est issu de la libre circulation de l'information concernant le monde arabe. Les stations de télévision par satellite, implantées en dehors des pays fermés à la liberté de la presse, cassent quotidiennement des tabous et ouvrent des champs d'expression contradictoires. La presse écrite indépendante commence à s'affirmer et à être un moyen formidable d'évaluation de l'action de l'exécutif. De grands ouléma ont appelé à plus de liberté d'expression et de liberté de contestation dans les pays arabes. Sous les pressions, tant, internes qu'externes, certains pays ont donné des chiffres réels des résultats des élections. D'autres se souviennent, enfin, que les femmes existent et qu'elles ont la capacité de choisir et d'élire. Ces indices, bien que positifs, ne peuvent constituer, à eux seuls, les supports d'un long processus de démocratisation. Le chemin est encore rempli d'embûches. La stagnation de la situation est toujours possible, c'est une manière de gérer et qui permet aux régimes non démocratiques de perdurer. L'élément le plus important, à notre avis, réside dans la généralisation de l'éducation. L'éducation de qualité pour tous, pour les deux sexes, pour les pauvres, pour les enfants de la périphérie, pour les enfants de paysans. C'est le facteur fondamental qui peut permettre aux citoyens arabes d'avoir des outils de compréhension, d'assimilation, de réflexion et de pouvoir distinguer entre l'essentiel et l'accessoire. S'ajoute à ces éléments fondamentaux pour enclencher une démarche démocratique, la nécessité de stimulateurs externes. L'espace euro-méditerranéen peut constituer un espace formidable de développement et de soutien à tout processus démocratique au sein des pays arabes de la Méditerranée. Ces pays peuvent devenir par la suite des exemples à suivre pour le reste du monde arabe. Les avantages et les facilités, que peut procurer cet espace, constitueront un attrait économique et un support intéressant pour le développement de ces pays. Ces stimulateurs ne peuvent être imposés, mais choisis comme option d'intégration à un espace économique qui viendrait en complémentarité à l'Europe. L'action combinée entre facteurs internes et facteurs externes permettra aux forces démocratiques de s'affirmer et de créer une dynamique irréversible. L'Europe, quant à elle, aura des avantages certains dans cette démarche. Elle aura à ses frontières des pays démocratiques, placés sur l'orbite d'un développement durable. Elle bénéficiera également des avantages d'un espace qui élargit ses possibilités économiques et commerciales, par rapport aux deux plus gros marchés actuels : la Chine et les USA. A la fin des années 1970, un séminaire regroupant des intellectuels arabes et européens, (parmi eux le grand journaliste et homme politique égyptien El Haykel) s'est tenu, je crois, en Espagne pour tenter d'expliquer les raisons qui bloquaient l'avènement de régimes démocratiques dans le monde arabe. Aujourd'hui, nous nous posons presque les mêmes questions ; nous essayons d'y apporter des explications, espérons que dans les 30 années à venir, la démocratie s'installera définitivement dans le monde arabe et que nos enfants auront la chance de disserter sur la qualité et la spécificité de la jeune et effective démocratie arabe.