Une centaine de conducteurs de train se sont rassemblés pendant plus d'une heure, hier matin, devant le siège de leur direction générale à Alger, après que le premier responsable de l'entreprise eut refusé de recevoir leurs représentants. L'origine de cette colère est le contenu du communiqué de la direction générale des chemins de fer relatif au dernier accident ferroviaire - celle-ci a avancé comme cause « une erreur humaine ». Pour les nombreux mécaniciens rencontrés sur les lieux, « il est impossible que la commission puisse déterminer les causes de l'accident alors que nos trains sont dépourvus de mouchards, une sorte de boîte noire des trains. Comment peuvent-ils décréter l'erreur humaine alors qu'ils n'ont même pas entendu la version du mécanicien en question ? Il a été convoqué à deux reprises mais, à chaque fois, son audition est reportée. S'ils veulent vraiment la vérité, qu'ils donnent l'enquête à des experts indépendants », a lancé Abdelkader Sid, secrétaire général du collectif roulant du port d'Alger, affilié à l'UGTA. Il ajoutera plus loin : « Le directeur régional n'a pas pu établir la vérité et refuser de sanctionner le mécanicien. Nous nous sommes adressés au directeur général, lequel a refusé de nous recevoir... ». Abondant dans le même sens, les travailleurs ont exprimé leur « colère » face à ce qu'ils ont qualifié d'« injustice ». « Il est très facile de mettre tout sur le dos d'un conducteur qui cumule 26 années d'expérience sans aucune faute. Nous avons toujours exercé dans des conditions des plus difficiles. 70% de nos locomotives sont dépourvues de tachymètres, un instrument indispensable pour le contrôle de la vitesse d'un train. Pourtant, les responsables n'ont rien fait pour y remédier. Bien au contraire, ils ont toujours fermé les yeux sur ce constat catastrophique du fait de la situation du pays. Si aujourd'hui il y a encore des trains qui fonctionnent, c'est grâce à la volonté et au sacrifice des travailleurs », a déclaré un mécanicien en exhibant une plaie suturée sur la tête, une blessure qu'il a eue durant la période du terrorisme. Ses camarades ont fait état des conditions « désastreuses » dans lesquelles ils exercent, raison pour laquelle ils ont été unanimes à « rejeter les accusations » portées à l'encontre de leur collègue. Ce sentiment de colère a été également exprimé à l'encontre de la Fédération des transports, dont le mandat a expiré depuis près de ... 6 ans. Les portes de son imposant siège, situé en face de la direction générale, sont tout simplement fermées. « Ils ne sont jamais là. Ils nous disent qu'ils sont occupés à faire la soupe aux démunis du secteur des cheminots, mais nous les avons jamais rencontrés... », a lancé un mécanicien des plus anciens dans les cheminots. Après plus d'une heure de rassemblement, les travailleurs se sont mis d'accord pour poursuivre leur mouvement de protestation « quitte à déclencher une grève illimitée ». Le bureau de la section syndicale a quant à lui préféré se référer à la Centrale syndicale avant d'entamer toute action de protestation. Contacté, le directeur général de la Société nationale des chemins de fer (SNTF), M. Athamnia, a déclaré qu'il ne pouvait recevoir les travailleurs pour des raisons organisationnelles. « Si je m'amusais à recevoir toutes les sections syndicales, je ne terminerais jamais. C'est pour cela qu'ils ont été orientés vers le directeur régional... ». Pour lui, il ne s'agit pas d'un mouvement de protestation. « Ce sont un groupe de travailleurs qui se sont absentés de leur travail pour manifester leur mécontentement à l'égard de la commission qui a enquêté sur le dernier accident ferroviaire. Pour cette affaire, la justice a été saisie et c'est à elle de faire la lumière sur ce qui s'est passé... » M. Athamnia a reconnu que la locomotive en question était dépourvue de tachymètre, ce qui rendait le contrôle de la vitesse impossible. Cet instrument, a-t-il expliqué, a été enlevé le 10 septembre et l'accident a eu lieu quatre jours plus tard, soit le 14 septembre. « Néanmoins, les membres de la commission ont leurs méthodes pour enquêter sur l'origine exacte de l'accident », a-t-il noté. Le premier responsable de la SNTF a reconnu également qu'une bonne partie des trains ne sont pas bien équipés. « Le stock disponible de pièces de rechange n'atteint même pas les 50% à cause de la situation financière de l'entreprise. Mais depuis l'assainissement des dettes auprès de la BNA et de la BAD, à la suite des décisions du gouvernement en mai 2005, nous avons pu faire des commandes de pièces, notamment les mouchards, lesquels seront d'ailleurs bientôt réceptionnés ». Au sujet de la responsabilité ou non du conducteur de la locomotive dans l'accident du 14 octobre dernier, et qui a fait 4 morts et causé des blessures à une dizaine de personnes, M. Athamnia a estimé que sur ce point les travailleurs ont raison de relever l'expérience du mécanicien, son professionnalisme et sa probité. « La commission n'a pas enquêté sur l'homme mais sur les conditions qui ont engendré l'accident. Elle a ses propres techniques pour déceler les anomalies. N'oublions surtout pas qu'il y a eu mort d'hommes dans cet incident dramatique. Alors, laissons la justice faire son travail dans le calme... », a-t-il estimé. Sur les conditions de travail, jugées par les cheminots de catastrophiques, le DG a signalé que « le secteur a traversé une situation très difficile. Il vient à peine de se relever. Avec le temps, tout s'arrangera... ». Entre les propos optimistes de ce responsable et les déclarations pessimistes des travailleurs, rien n'indique que la situation tend vers le règlement. D'autant que l'idée de rejoindre le mouvement de grève générale, lancé par plusieurs syndicats de l'UGTA, a été discutée par les travailleurs.