Les accusations étaient contradictoires, mais l'ONU donnait tout de même l'impression que la deuxième phase de son examen de la crise du Darfour évacuerait l'idée même de sanction. Tout juste un ton plus vigoureux. Même les Etats-Unis qui avaient revu au moins trois fois leur texte initial ont dû se résoudre à rechercher un compromis. Mais en fin de compte, Washington a pu réunir une majorité de onze voix et a fait approuver un texte qui évacue ce qui aurait constitué des atteintes à la souveraineté du Soudan. De nouvelles pressions sont donc exercées sur le Soudan, mais les autorités de ce pays ont qualifié d'« inéquitable » la résolution du Conseil de sécurité de l'Onu sur le Darfour, tout en s'engageant toutefois à l'appliquer. L'ambassade du Soudan à Washington relève dans un communiqué que l'envoyé spécial du secrétaire général de l'Onu au Soudan, Jan Pronk, n'a pas accusé le gouvernement d'avoir failli à remplir les demandes contenues dans la précédente résolution du Conseil de sécurité, la 1556, le 30 juillet. Khartoum fait un autre commentaire en affirmant que la résolution a été votée sous la pression « pour satisfaire les désirs du Congrès américain qui se prend lui-même pour l'unique conscience vivante du monde ». Quelques heures auparavant, c'est à dire dans la nuit de samedi, le Conseil de sécurité des Nations unies réussissait non sans peine à surmonter les réticences de plusieurs de ses membres pour passer une résolution maintenant la pression sur le Soudan afin qu'il restaure la sécurité au Darfour. La résolution 1564, qui menace Khartoum de sanctions pétrolières s'il ne remplit pas cet engagement et ne coopère pas dans ce but avec l'Union africaine (UA), a été adoptée par 11 voix sur 15, avec quatre abstentions : Algérie, Chine, Pakistan et Russie. Pour être adoptée, une résolution doit recueillir au moins neuf voix sur 15 au conseil, sans susciter le veto d'un des cinq membres permanents (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie). Le conseil montre un visage un peu moins uni que lors du passage sur le même sujet le 30 juillet dernier de la résolution 1556, adoptée par 13 voix, avec les seules abstentions de la Chine et du Pakistan. Plusieurs membres, dont la France, travaillaient depuis plusieurs jours à l'édification d'une majorité la plus large possible, afin d'éviter d'envoyer à Khartoum un signal confus. L'ambassadeur de France à l'Onu, Jean-Marc de La Sablière, a déclaré après le vote que cet effritement de la majorité par rapport à fin juillet était son « seul regret », qualifiant le texte adopté samedi de « bon », se gardant bien entendu d'en évoquer les raisons liées évidemment à la nature des accusations, lesquelles sont loin de faire l'unanimité. Entre autres, celle de génocide qui n'est partagée ni par l'envoyé spécial de l'ONU ni les observateurs de l'Union africaine, les seuls présents sur le terrain. La résolution, proposée initialement par les Etats-Unis et finalement coparrainée par l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Espagne et la Roumanie, a fait l'objet pendant dix jours de longues tractations et est restée longtemps sous la menace d'un veto chinois. Les opposants trouvaient le texte déséquilibré, ne donnant pas assez crédit au gouvernement soudanais pour ses efforts, et estimaient les menaces de sanction contreproductives. Cette division du conseil a fait sortir de ses gonds le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, qui lui a lancé jeudi un appel vigoureux à l'action immédiate et à l'unité, en rappelant que « les civils sont toujours l'objet d'attaques et continuent de fuir leurs villages » au Darfour. M. Annan a assisté au vote de samedi, sans toutefois prendre la parole. L'élément fondamental de la résolution 1564 est qu'elle consacre le rôle central de l'Union africaine dans les efforts pour résoudre la crise du Darfour, un point souligné par la plupart des pays membres. « La clé de tout cela est la participation de l'Union africaine. Nous devons maintenant nous concentrer sur le positionnement de ces observateurs et nous tenir prêts à fournir toute aide logistique dont l'UA aurait besoin », a déclaré l'ambassadeur américain, John Danforth. Le Soudan a accepté l'augmentation des observateurs de l'UA au Darfour, actuellement au nombre de 120, protégés par 300 soldats. La 1564 exige de Khartoum qu'il désarme les milices progouvernementales djandjawids qui terrorisent la population du Darfour et qu'il traduise en justice les responsables d'atrocités. Elle invite M. Annan à mettre sur pied une commission internationale chargée d'enquêter sur « les informations faisant état de violations » du droit international humanitaire au Darfour. Cette commission devra aussi établir si « des actes de génocide » ont été commis au Darfour. Le Darfour, province occidentale du Soudan, est le théâtre d'une guerre civile depuis 19 mois et d'une grave crise humanitaire. Selon l'ONU, entre 30 000 et 50 000 personnes ont été tuées et 1,4 million ont été déplacées dont environ 200 000 ont fui au Tchad voisin. Conformément à la résolution 1556, M. Annan remettra fin septembre un nouveau rapport au Conseil sur la situation au Darfour. Il reste maintenant à savoir si les critiques soudanaises sont fondées, ou si, au contraire, ce soudain intérêt de la communauté internationale pour une région et des populations totalement oubliées n'est pas dénué d'arrière pensées. Le Soudan concentre, il est vrai, de fortes convoitises, avec une multitude d'acteurs, même les plus inattendus.