La demande du procureur de la Cour pénale internationale (CPI), institution permanente basée à La Haye (Pays-Bas), de lancer un mandat d'arrêt contre un chef d'Etat en exercice, le président soudanais Omar Hassan El Bachir, va créer un précédent. Même si la décision n'est pas définitive, la voie est désormais ouverte pour des poursuites pénales contre tout dirigeant coupable de « crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide ». Mais pourquoi la CPI poursuit le président du Soudan ? « Trois ans après que le Conseil de sécurité lui a demandé de mener une enquête au Darfour et en s'appuyant sur les éléments de preuves recueillis, le procureur a conclu qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu' Omar Hassan Al Bachir doit répondre pénalement de 10 chefs d'accusation pour génocide, crime contre l'humanité et crimes de guerre », précise-t-on à la CPI. Le procureur, Luis Moreno-Ocampo, accuse le président du Soudan d'avoir échafaudé et exécuté un plan visant « à détruire une grande partie des groupes Four, Masalit et Zaghawa, en raison de leur appartenance ethnique. Il a encouragé l'idée d'une polarisation entre les tribus favorables au gouvernement, qu'il a qualifiées “d'arabes”, et les trois groupes qu'il estimait être les principales menaces, qu'il a qualifiées de “Zourgas” ou “Africains”. Cette image n'est que l'un des nombreux subterfuges dont s'est servi M. Al Bachir pour masquer ses crimes. En effet, tant les victimes que les auteurs sont “Africains” et parlent l'arabe », a observé le procureur dans sa requête. Au Darfour, un conflit armé a débuté en 2003 en raison d'un vieux différend entre les agriculteurs et les éleveurs. Le conflit a été alimenté de l'extérieur, selon Khartoum qui, entre autres, a accusé le Tchad voisin d'avoir armé les rebelles. D'après l'opposition soudanaise, le soulèvement a éclaté en raison de la marginalisaton de la région par le pouvoir central. « M.Al Bachir n'est pas parvenu à vaincre les mouvements armés, de sorte qu'il s'en est pris à la population. Ses motivations étaient, avant tout, politiques. Il prenait le prétexte de la “lutte contre l'insurrection ». En fait, il visait le génocide », a déclaré le procureur de la CPI. Selon lui, les forces armées et les milices Janjawid aux ordres de M. Al Bachir, ont attaqué et détruit les villages pendant cinq ans. « Leurs éléments poursuivaient les survivants dans le désert. Quand ils arrivaient dans les camps pour personnes déplacées, ces derniers étaient soumis intentionnellement à des conditions d'existence qui devaient entraîner leur destruction », a-t-il expliqué. « Des millions de civils ont été déracinés des terres que leur peuple occupait depuis des siècles. Ils ont assisté à la destruction de tous leurs moyens de subsistance, à la spoliation de leur terre. Dans les camps, les forces de M. Al Bachir tuent les hommes et violent les femmes (...) Je n'ai pas le luxe de pouvoir me voiler la face. J'ai des preuves », a appuyé Luis Moreno-Ocampo. Dans sa requête, le procureur n'accuse pas le président soudanais, commandant en chef des forces armées également, d'avoir « commis physiquement ou directement » les crimes. « Il a commis ces crimes par l'intermédiaire de membres de l'appareil d'Etat », a-t-il noté. En juin 2007, la CPI avait lancé deux mandats d'arrêt internationaux à l'encontre d'Ahmed Haroun, ministre en charge des Questions humanitaires, et Ali Kouchib, chef de la Défense populaire, soupçonnés d'avoir commis des violations de droits humains. Accusations immédiatement rejetées par Khartoum qui a noté que la CPI n'avait aucune compétence pour le faire. Le Soudan a signé le traité de Rome portant création de la CPI mais ne l'a pas ratifié, ce qui rend le texte inapplicable sur le territoire de ce pays. Le procureur de la CPI a été saisi par le Conseil de sécurité de l'ONU en 2005 par la résolution 1593 qui relevait qu'il était fondamental de « garantir la justice et le respect du principe de responsabilité pour obtenir une paix et une sécurité durables au Darfour ». Le procureur, qui a mené 105 missions dans 18 pays pour « recueillir des preuves », a écouté des témoins oculaires, des victimes, des agents du gouvernement soudanais. Il s'est appuyé aussi sur le rapport de la commission d'enquête de l'ONU (qui s'est déplacée au Darfour en 2004) et de la commission d'enquête soudanaise. « L'accusation a, en permanence, cherché à déterminer si des procédures nationales étaient engagées au Soudan à propos des crimes visés. Il s'avère cependant que le gouvernement du Soudan n'a engagé aucune enquête ni aucune poursuite à propos de cette affaire », a souligné le procureur dans sa requête. A Khartoum, les autorités soutiennent que les personnes reconnues d'exactions au Darfour, ont été sanctionnées et traduites en justice. Hier, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) et son organisation membre, l'Organisation soudanaise contre la torture se sont félicitées de la démarche de la CPI et ont demandé la divulgation des preuves retenues contre Omar Al Bachir. « Les Etats doivent veiller à protéger les populations civiles du Darfour et les forces militaires conjointes déployées dans ce territoire. Ils doivent aussi intensifier leurs efforts pour aboutir à une solution juridique et politique », a déclaré Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH. Appel peu entendu : hier, l'ONU a commencé l'évacuation d'une partie de son personnel du Darfour de crainte de représailles après les accusations contre le président Omar El Bachir. Des experts doutent déjà de la capacité de la CPI à faire réellement justice. Ils citent les exemples des Tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et pour le génocide rwandais (TPIR), qui n'ont pas donné les résultats attendus d'eux puisque la plupart des criminels de guerre ont échappé aux poursuites. D'autres lient l'évolution de ce dossier à des considérations géostratégiques relatives, entre autres, à la forte présence chinoise au Soudan. D'autres encore craignent un retour en force de la violence au Darfour où existe déjà une profonde crise humanitaire (plus de deux millions de personnes déplacées). Les avis restent partagés. Toujours est-il que si le mandat d'arrêt est confirmé par la chambre préliminaire de la CPI, le président soudanais ne pourra plus se déplacer dans les 106 pays qui ont ratifié le Traité de Rome portant création de la Cour, l'Algérie n'en fait pas partie. Les Etats-Unis et Israël non plus. Pour protéger les chefs militaires et les soldats engagés en Irak et en Afghanistan, Washington a refusé de signer le traité.