Le projet de loi de finances pour 2006, qui sera débattu a l'Assemblée nationale entre les 6 et 9 novembre prochain, sera amputé de plus de 1000 milliards de dinars de recettes budgétaires, revenus prévisionnels de l'Etat non déclarés. Les élus vont-ils réagir ?La situation frise le ridicule. Le projet de loi de finances pour 2006 présenté par le gouvernement prévoit un déficit budgétaire de 16,8% du PIB. Le gouvernement envisage tranquillement de dépenser 963 milliards de dinars de plus que ce qu'il annonce engranger comme recettes. 963 milliards de dinars représentent l'équivalent de la fiscalité pétrolière prévisionnelle pour 2006. Mieux encore, ou pire, cette prévision de déficit budgétaire astronomique - la norme de 3% du PIB étant plus ou moins admise depuis le traité européen de Maastricht comme le seuil de déficit qu'il est bon de ne pas dépasser - s'ajoute au déficit prévisionnel de 12% que vient de sanctifier l'ordonnance législative portant loi de finances complémentaire de 2005. Cette production massive de déficits budgétaires annoncés ne suscite aucune réaction chez les partenaires multilatéraux de l'Algérie, le FMI en particulier, gardien zélé du temple de la rigueur budgétaire dans le monde. Et pour cause, le solde budgétaire systématiquement déficitaire d'année en année dans la loi de finances est en réalité toujours excédentaire en fin d'exercice. Il le sera en 2005 probablement d'au moins 500 milliards de dinars (6,7 milliards de dollars) qui ne seront pas affectés dans le budget de l'Etat. A la clé de cette monumentale distorsion entre prévision et solde réel, le choix du prix de référence de 19 dollars le baril, deux fois et demie plus bas que le cours moyen de l'année. Si le problème ne se pose pas pour le FMI, qui ne recommande pas de limitation aux excédents budgétaires rapportés au PIB, qu'en pensent les élus du peuple ? Fait suffisamment rare pour être signalé, 11 sénateurs viennent de voter contre l'ordonnance législative portant loi de finances complémentaire. Il est vrai que c'est aussi la première fois depuis qu'un Parlement élu existe en Algérie (1978-1991 puis 1997 à nos jours) que le débat sur un projet de loi de finances passe par-dessus les parlementaires... par le truchement de l'ordonnance législative à l'initiative du président de la République. Des voix s'étaient élevées à l'Assemblée nationale (francs tireurs FLN, Islah, PT) lors du débat de l'automne dernier sur le projet de loi de finances pour 2004 afin de proposer un prix de référence « un peu plus réaliste ». « caisse noire de la république » 25 dollars le baril a même été déposé dans les amendements en commission mais rejeté par le noyau dur de la coalition gouvernementale. Mais à quoi sert-il donc de réduire délibérément le niveau des recettes de la fiscalité pétrolière (en 50% et 60% des recettes budgétaires selon la variation des cours) ? « La hantise d'un effondrement des prix du pétrole », un thème repris avec beaucoup de complaisance dans la presse nationale, ne trompe plus personne. Le gouvernement lui-même n'y croit pas. Le chef du gouvernement, dans sa candeur, a même donné, en direct à la télévision, une indication sur le point d'équilibre des lois de finances algériennes de 2005 et de 2006 : « Le niveau des dépenses budgétaires est calculé pour un prix de référence du baril à 35 dollars. » Il se voulait ainsi rassurant sur le niveau des recettes non affectées par la loi de finances ; il ne s'agit pas du différentiel béant entre 19 dollars et 45 dollars, le prix de référence le plus conforme à la conjoncture de l'année qui vient, mais seulement de la différence raisonnable entre 35 dollars de référence - réellement projeté dans le calcul des dépenses - et 45 dollars admis généralement. La manœuvre ne perd rien de son mystère. Mais pourquoi toute cette gymnastique ? La première réponse est livrée par la pratique de ces trois dernières années. L'excédent budgétaire va dans le fonds d'ajustement des recettes budgétaires et sert à toutes sortes d'opération du Trésor public sous tutelle combinée de la Présidence de la République, accessoirement du chef du gouvernement. Mais les montants - non transparents - atteint par ce fonds d'ajustement laisse supposer qu'ils ne sont plus proportionnels avec les besoins de prévention d'une année, voire de plusieurs années de « vaches maigres » de la fiscalité pétrolière. L'utilisation de ce fonds pose un problème essentiel du fonctionnement de l'Etat de droit que les députés - hors coalition de gouvernement - évoquent de temps à autre lorsqu'ils ne sont pas enferrés dans la même politique de soutien aux initiatives présidentielles, comme c'était depuis le début de l'année avec le référendum pour la paix et la réconciliation nationale. Au-delà de cet aspect « caisse noire de la République » qu'alimente la sous-évaluation, devenue grossière, du prix de référence du baril de pétrole pour la quatrième année consécutive, il existe sans doute un autre avantage politique à présenter un budget allégé du côté des recettes. Cela entretient une impression d'austérité. Seul le budget d'équipement de l'Etat peut faire de grands bonds en avant, encore 28% de plus en 2006 par rapport à 2005 revu et corrigé par la loi de finances complémentaire. Le rythme de progression des dépenses de fonctionnement demeure contenu sous la barrière des 5% annuellement, de sorte que pour la première fois le budget d'équipement prévisionnel passe devant le budget de fonctionnement (1348 milliards de dinars contre 1283 milliards de dinars). En 2006, le budget de fonctionnement de l'Etat ne progressera que de 28 milliards de dinars en 2006 soit 2,1%. Contenir les revendications salariales de la Fonction publique et des corps assimilés paraît donc de plus en plus être l'autre enjeu de cette pratique désormais installée qui consiste à amputer le budget de l'Etat d'une partie croissante de ses recettes au moment de la présentation de la loi de finances.