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Où est la belle Algérie ?
Publié dans El Watan le 18 - 10 - 2005

On nous avait parlé d'aventure avec comme destination finale le développement, on se retrouve dans des mésaventures aux conséquences déjà perceptibles au travers des comportements qui préfigurent des lendemains incertains. Jadis magnifique par sa diversité, on a perdu, me semble-t-il, à tout jamais la beauté de cette terre des contrastes.
Confronté pour la plupart à un état d'errements physique et mental, les Algériens offrent la sinistre impression de privilégier l'instant sur l'avenir, le sentiment sur la raison, le passe-droit sur la loi, et poussent l'outrecuidance jusqu'à encenser ce comportement d'un autre temps. Ailleurs, ces excessives rapines, ces gabegies, cette permissivité poussée à l'extrême, n'auraient eu qu'une destination finale : force est à la loi et non le contraire. Cet air du temps est une insulte aux valeurs morales, une régression, une gifle retentissante à l'histoire de l'humanité, car il véhicule le pire des maux, une paresse de l'esprit vivant en parfaite harmonie avec une ignorance de surcroît drapé du manteau du savoir. Ces propos ne décrivent malheureusement que le comportement d'une population dans un état d'assoupissement qui semble perpétuel, et que seule la parabole vient à point pour nous indiquer que la télévision est devenue une sorte d'opium et qui ne nécessite aucun effort : on appuie sur une touche libératrice, le temps d'oublier qui on est.Cet état d'esprit réfractaire à toute évolution, cette sclérose mentale, cette névrose collective, un observateur non averti ne fera aucun effort pour la déceler. On dit à juste titre que les aéroports sont la vitrine d'un pays, les nôtres en sont le reflet : poussiéreux, étouffant, humiliant car sans pratiquement aucune commodité avec cette particularité.Les partants sont souriants, les arrivants portent dans leur regard une angoisse retrouvée. Ce n'est pas faux d'affirmer que le bien-être social est une vue d'esprit dans une société où les classes moyennes pourvoyeuses de dynamique économique ont été laminées au profit d'individus arrivistes, riches mais sans le comportement qui sied à une bourgeoisie. Du coup, un simple tour de la maison nous confirme qu'il ne reste plus qu'une foultitude vivant d'expédients et croyant tout juste à l'égalité devant la mort. Les prêches d'imam dévoyés sont là pour le leur rappeler. Cette religion a été prise en otage par une sinistre clique de charlatans qui, épaulés par des apprentis sorciers en politique, ont expédié le pays vers des aventures que l'on paye et que l'on payera encore. L'islamisme en Algérie puisque c'est ainsi, semble-t-il qu'il tant le dénommer, n'est en fait qu'un très mauvais brouillon de l'intégrisme des donatistes, ces révoltes de paysans chrétiens de l'Est de ce que fut la Numidie avec en moins le courage et la noblesse de la cause. C'est parce que sevrés de libertés, et pilotés par une église éloignée des conditions des plus humbles qu'étaient nés les circoncelleons. Pour punir les excès de propriétaires, protégés de l'église de Carthage, ils ceinturaient les immenses propriétés de rideau de feu. Quand le religieux fait de la politique ou bien que dans le sens inverse, on politise la religion, l'aboutissement ne peut être qu'une catastrophe, dont malheureusement nous n'en avons tiré aucun enseignement. De toute manière, les religions sont une valeur refuge pour les dépossédés et même les plus nantis. Les premiers face à la déliquescence de la chose politique et surtout quand elle porte en elle croit-on le sceau de l'athéisme, les seconds y trouvent un certificat de virginité qu'il est bon ton d'exhiber à travers tout un attirail les fameux vendredis. L'aventure de l'islamisme aurait pu être évitée si l'Algérie avait disposé de dirigeants avisés, qui ne voient pas ce qui est tout près mais qu'ils eussent eu des visions lointaines. On se surprend à repenser à cette phrase prononcée par le défunt Ferhat Abbas, qui disait dans sa lettre de démission du président de l'assemblée à Ahmed Ben Bella : « Je ne dis pas qu'il n'y a pas eu de développement, mais j'affirme que l'on n'a pas commencé par le commencement et que l'on risque d'assister à un provisoire qui dure. » Et il dure. On se remémore aussi cette vision lointaine qu'avait ce groupe éclairé des ouléma. En 1931, lors de la création de l'association des ouléma au Nadi Taraqi, le cercle du progrès que lisait-on dans le préambule des textes fondateurs. « Notre mouvement s'articule autour des points suivants :
Un : la foi en Dieu
Deux : la raison
Trois : le savoir
Quatre : la sagesse
Cinq : l'action Formidable programme, qui devait propulser le futur Algérien dans sa contemporanéité, faire de lui un citoyen qui jouirait d'une personnalité rationnelle, éduquée, sage et active. » Malheureusement, cette œuvre qui touchait du doigt la réalité a été compromise par les événements tels que la disparition prématurée de leur chef emblématique en 1940, suivie par celle de ses adjoints les plus valeureux, homme de grande culture et de haut savoir que sont les Larbi Tebessi, mort torturé en 1957, Moubarak El Mili et Bachir El Ibrahimi mort en 1964 après que Ben Bella l'ait envoyé séjourner à Aïn Sefra pour avoir osé dire la vérité sur la réforme agraire que l'on voulait lancer, car conseillé par des aventuriers du type les lambertistes et pablistes, du nom de leur géniteur Pablo et Lambert, venus expérimenter leur théorie sur les nouvelles structures agricoles. Cet état de fait puise ces origines à l'histoire de notre pays, qui de la décuIturation et accuIturation de l'époque coloniale française, la déstructuration de sa société, la disparition de ses élites traditionnelles, a eu des peines à reconstituer son intelligentsia. Et que même si ce fut le cas, sous des prétextes les plus farfelus, une partie fut éliminée dès le congrès de Tripoli de mars 1962 qui signa l'arrêt de mort du complet veston au profit de la tenue kaki, col Mao, seule disait-on à doter l'Algérie d'une véritable ossature d'un Etat. L'idée est logique, voire même séduisante, mais dans le cadre d'une concertation et non de l'apparition de seconds couteaux devenus depuis les maîtres de leur moment. Ce premier coup d'Etat alors que le gouvernement n'était que provisoire, allait donner le top au tout-venant, aux planques, aux opportunistes de tout bord et aux truandeaux de tout acabit l'occasion de prendre une revanche sociale sur le dos de l'Etat naissant. Chaque clan ramenant les siens, on fit mine d'oublier que la société algérienne est avant tout rurale, la loi étant mise de côté, ce fut la loi de la force. Chaque exode était piloté par un bras armé avec le partage d'un patrimoine sans consultation, sous le regard étonné puis atterré de quelques dizaines de milliers de légalistes, dont les descendants sont aujourd'hui appauvris mais enrichis de cette expérience. Bien plus, les politiques en vigueur à l'époque ont dépeuplé de toute force de travail le monde agricole et la cerise sur le gâteau fut la révolution agraire consacrant la fumisterie aux dépens du savoir-faire. Depuis, le pays a affaire à une population de déplacés, sans référents culturels, sans attache dans les lieux où ils vivent maintenant. Des squatters d'un nouveau type, dont le comportement outrancier est anachronique à la fois, s'illustre, si besoin est, autour d'une table de restaurant, comme dans la rue. Une rue où les gens ne savent pas marcher sur un trottoir, ignorent un passage clouté et errent à la quête d'un geste d'en haut, car ici en bas, ils ne crient plus, car déplacés sociologiquement. Ce n'est très certainement pas cette multitude agissante et agaçante, dont l'esprit prévaricateur a été forgé par les hideux exemples venus d'en haut - l'acte quotidien s'inspire de félonie, de fourberie devenue par ces temps ingrats et inconséquents pour ceux qui arrivent des symboles, des exemples de réussites, de mission accomplie qu'il faut démultiplier.
Et ça se démultiplie !
Toute cette frange de la population à ses hérauts : un ramassis d'individus, geignant, se plaignant, frôlant fréquemment la paranoïa aiguë sur fonds de synthétiseur criant à tue-tête. Ces rebuts, ces malappris frayent vertigineusement et ont assassiné dans le dos la musique entraînant vers les abysses, une jeunesse qui curieusement se reconnaît dans ce babillage, au meilleur des cas des logorrhées pour lesquels les psychiatres de demain présenteront certainement des thèses sur le thème : comment suicide-t-on cinq siècles de musique en une génération ? A défaut d'avoir durant ces quarante dernières années un esprit pétri par des élites traditionnelles et organiques, c'est cette absence de référent, de modèle à suivre qui nous ont amenés dans ce curieux marché ou le credo principal, et ils le disent avec fierté : « Positionne-toi toujours à côté du puissant du moment ». Affligeant ! Que sont devenus nos beaux villages et hameaux de Kabylie, des Aurès, nos beaux sites sahariens, nos cités, leur raffinement l'andalou de Constantine, de Béjaïa, d'Alger, de Koléa et de Tlemcen. Pis que cela, le chaâbi, pourtant musique populaire, est devenu orphelin par absence de maîtres. On est pris par le tournis quand dans des moments de réflexion, on songe à ce pays. Le rêve des romantiques révolutionnaires, les vrais combattants désintéressés par la matérialité des choses ne rêvaient certainement pas de ce que l'on voit quotidiennement. Le premier constat à l'œil nu concerne cette multitude, qui, soit par désœuvrement ou par nécessité bat le pavé, saute de bus en bus, ces taxis « galères » où le conducteur est sans cesse assailli, dans lequel tout règne sauf la correction. Ces nuées de femmes drapées dans leur tchador, étranger à notre mode d'habillement (haïk, djellaba, mlaya et fota de Kabylie), la tête emmitouflée qui battent campagne dans ce qui reste de nos cités devenues aujourd'hui des dépotoirs où l'honnête homme rase le mur sous le regard condescendant d'une majorité qui gratte ce pays méconnaissable, reconnaissable uniquement par son ciel bleu parce qu'ils n'ont pas pu y toucher. Pleure Algérien jaloux de ton pays, car le reste crache dans la soupe qui l'a nourri ; j'évoquais précédemment l'absence de maîtres de chaâbi. Du coup, je me surprends à penser que quand le maître est absent, la plus belle des écoles ne sert à rien.Nous défions l'ordre naturel des choses, ce n'est pas le cheval qui tire le carrosse mais le contraire, l'homme fait la voiture ; ici c'est la voiture qui fait l'homme, comme ce vêtement importé d'Orient qu'est le kamis fait le musulman. Au rythme où vont les choses, avec une école qui fabrique des êtres vivants et par ricochet, une université où le savoir a déserté les bancs de la recherche, avec une population qui n'a ni savoir être, ni savoir professionnel, et qui pousse la stupidité jusqu'à revendiquer des barils de pétrole à titre individuel, il y a fort à parier que dans moins d'un siècle on nous citera, du moins l'Algérie post-1962, comme l'exemple que l'humanité ne doit jamais suivre. C'est très peinant à le noter mais même les symboles de l'Etat ont été dévoyés, dénaturés, profanés quotidiennement par les meurtrissures du temps et la culpabilité inavouée de ceux-là même qui sont chargés de les préserver. Je ne citerai que ces drapeaux flétris par le temps devant les édifices publics, cette multitude de petits emblèmes déposés tout au long des rues et que des mains indignes ont oublié de décrocher. Et puis, cette monnaie où l'histoire du pays se résume aux effigies d'animaux. Dernière question, pourquoi l'équipe de football d'Algérie a été baptisée les Fennecs, ce renard du désert réputé pour sa saleté, sa fragilité physique et ses grandes frayeurs. Méritons-nous cela ? Ou plutôt ceux-là ?


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