Au nombre des nouveaux films récemment sortis en France figure Nuit noire du réalisateur Alain Tasma. Ce film s'attache, 46 ans après les faits, à la tragique journée du 17 octobre 1961 durant laquelle des dizaines d'Algériens furent froidement assassinés sur ordre de Maurice Papon. Alain Tasma est l'un des rares cinéastes français en exercice - pour ne pas dire le seul - à s'attaquer à un thème que l'histoire officielle française a longuement occulté. La journée sanglante du 17 octobre 1961 n'a pas réellement constitué un temps fort pour les écrivains et cinéastes français qui ont voulu décliner l'histoire récente de leur pays. Et c'est en fait une manière de continuité dans la logique du refoulement, car auparavant, les massacres abominables du 8 Mai 1945 et même la guerre d'Algérie étaient censurés. Sur la guerre d'Algérie, le cinéma a été durablement frappé d'amnésie, et ce n'est que dans les années 1970 que René Vautier, qui s'était engagé pour l'Algérie, avait pu tourner Avoir vingt ans dans les Aurès, et Yves Boisset R.A.S. Alors que la guerre du Vietnam avait suscité un profusion de livres et de films américains qui étaient autant d'étapes critiques, ce qui a touché à la guerre d'Algérie a été mal vécu en France où s'est fait un consensus du silence. Sur la tragédie du 17 octobre, il y a eu très peu d'ouvrages français, celui de Jean Luc Einaudi étant sur la question, le plus en vue, même si l'événement a pu être évoqué de façon latérale dans certaines fictions qui ont tenté, allusivement et sans le nommer, de remonter le passé de collabo de Maurice Papon. Un passé criminel dont il sera dédouané après la libération pour être remis en circuit dans les institutions de l'Etat français. Armand Panigel, avec son film Octobre à Paris, avait su rappeler quelques années après l'indépendance de l'Algérie ce drame qui pèse alors sur la bonne conscience des Français. Maurice Papon avait donné l'ordre de réprimer avec la plus extrême violence les Algériens qui s'étaient insurgés cotre le couvre-feu qu'il cherchait à leur imposer. Cette violence extrême, dans l'esprit de Papon, n'excluait pas la mise à mort. Il fût entendu par les services de répression français enchantés de casser du fellagha au cœur de la métropole. Papon sortira indemne de cette tragédie, dont il est responsable sans en être reconnu coupable. Nuit noire d'Alain Tasma est tout à fait au centre de cette problématique, car le film s'articule autour de cette journée du 17 octobre 1961 qui allait de toutes manières représenter un tournant dans la guerre d'indépendance du peuple algérien. Alain Tasma ouvre ainsi une brèche dans le mur épais de l'oubli le plus indicible. Le devoir de mémoire impose des responsabilités intellectuelles et la quasi obligation de dire la vérité aux jeunes, de part et d'autre de la Méditerranée, qui ont aujourd'hui vingt ans et ont le droit de comprendre ce qui s'est passé. Nuit noire a le mérite d'avoir fait un grand pas dans cette direction, mais à l'évidence, il reste d'autres films à faire et d'autres livres à écrire sur une journée particulière à tous les égards. Mais comme dans tous les tumultes de l'histoire, une tragédie en cache une autre et même plusieurs, comme le démontre le terrible système colonial français en Algérie qui des enfumades du Dahra aux massacres de Sétif, Guelma et Kherratta en passant par les crimes commis lors de cette sombre journée du 17 octobre 1961 a été une violence permanente imposée à des générations d'Algériens. Nuit noire ne vient pas trop tard pourtant dans le sens où il participe à cette manifestation de la vérité historique sans laquelle il n'est pas de réelle sérénité dans les relations entre les peuples, et dans ce cas de figure, entre les Français. C'est le privilège de la littérature et du cinéma, aux côtés des autres arts, que de dissiper la brume de l'oubli de cette rétention de la vérité qui est en elle-même une part du crime. Le film d'Alain Tasma montre aussi que la posture la plus inconfortable est de s'installer dans le déni. Ce n'est plus possible pour la torture, cela ne peut pas l'être non plus pour des crimes commis même au nom de la patrie.