Les conclusions de la commission d'enquête sur l'assassinat de Hariri établissant la responsabilité de la Syrie ne constitue pas à proprement parler une surprise compte tenu de l'influence de Damas au Liban, considéré comme une province syrienne. Pour les enquêteurs de l'Onu et à leur tête le magistrat allemand Detlev Mehlis, le crime ne pouvait ne pas être signé. Le rapport de la commission s'est pourtant bien gardé de mettre en cause ouvertement l'Etat syrien. Le rapport met en avant deux pistes, l'une politique et l'autre maffieuse. « Le motif de l'assassinat était probablement politique (...) ». Toutefois, « il est fort possible que la fraude, la corruption et le blanchiment d'argent aient également constitué des raisons pour certaines personnes de participer à l'opération », précise le rapport qui évite à ce stade de l'enquête de privilégier une piste par rapport à une autre. Cette nuance apportée par les enquêteurs dans la recherche des auteurs et des commanditaires de l'assassinat de Hariri relance le débat à un double niveau. Il s'agit de savoir si le mobile du crime est politique ou cet assassinat obéit à des considérations d'ordre mafieux liées au monde impitoyable des affaires, où l'ancien Premier ministre, devenu un capitaine d'industrie incontournable au Liban, dérangeait sans doute beaucoup d'intérêts. Deux directions de l'enquête qui conduisent vers un même coupable qui rappelle la « mafia politico-financière » dénoncée par feu Mohamed Boudiaf. A qui profite alors le crime ? Le suicide, la semaine dernière, du patron des services de renseignement syrien apporte de l'eau au moulin des milieux qui accusent la Syrie d'être derrière l'assassinat de Hariri. Quel intérêt Damas a-t-elle à s'impliquer dans une aventure aussi suicidaire à un moment où elle est de surcroît sur la sellette au plan international avec l'épée de Damoclès des Américains suspendue sur la tête ? Par ailleurs, en quoi Hariri pouvait-il contrarier la présence et les plans syriens au Liban sachant qu'en vertu de la Constitution libanaise, il n'avait aucune chance, même s'il revenait aux affaires, de présider aux destinées du pays. La Présidence de la République revient constitutionnellement à un candidat de confession chrétienne. Hariri ennemi juré des Syriens ? Rien n'est plus faux. L'ancien Premier ministre assassiné n'a basculé dans le camp de l'opposition syrienne qu'après son départ du gouvernement. Selon certains analystes, Rafic Hariri a commis le péché mortel en faisant campagne contre la prorogation du mandat présidentiel du président sortant prosyrien Emile Lahoud et pour le départ des troupes syriennes du Liban. Le rapport de l'Onu demeure cependant évasif sur le degré d'implication de l'Etat syrien faute de preuves et d'indices palpables. Si la preuve de la culpabilité du régime de Bachar Al Assad venait à être clairement établie - pour l'heure, il ne s'agit que d'insinuations qui ne reposent que sur des lectures et extrapolations politiques - la Syrie doit se préparer à des jours difficiles avec les représailles qui ne manqueront pas de s'abattre sur le pays et ses dirigeants. Les réalités géopolitiques internes à la Syrie et régionales militent pourtant pour inciter les dirigeants syriens à s'engager dans la voie de la realpolitik. L'économie syrienne est au plus mal avec une dette estimée en 2003 à plus de 21 milliards de dollars. La pauvreté gagne du terrain. Le Liban a toujours constitué un immense marché de travail pour les ressortissants syriens. Une forte communauté estimée à environ 50 000 Syriens est établie au Liban. Militairement, Damas n'est plus cette puissance régionale d'il y a quelques années, lorsque le pays était à l'avant-garde du « front du refus » à Israël. Partant de ces postulats, aucun dirigeant un tant soit peu soucieux des intérêts supérieurs de son pays ne pourrait courir le risque d'un tel faux pas. L'homme fort de Damas, qui est déjà dans le collimateur des Américains, est-il à ce point atteint de cécité politique pour tomber dans un tel piège ? Après la chute de Saddam, le régime syrien apparaît comme le dernier verrou à lever pour faciliter et accélérer la mise en œuvre du processus de « paix » d'inspiration israélo-américain au Proche-Orient.