Le décor n'a pas changé depuis deux décennies. Coincée entre un semblant de square investi par les terrasses des cafés et un jardin public voué à l'abandon, la station de bus Boumezzou, jouxtant le palais de justice et le secteur urbain de Sidi Rached, la plus ancienne de la ville des Ponts, commence bien à porter les rides du temps. Son emplacement stratégique en plein centre-ville, faisant d'elle la station la plus fréquentée par les Constantinois car se trouvant à quelques enjambées des principaux services administratifs, ne lui a pas bénéficié, car elle demeure toujours à son état primitif, celui que ses usagers ont toujours connu. Le lieu, qui fut de tout temps un passage obligé pour les citoyens de toutes les cités et banlieues qui prennent la destination de la place des martyrs pour diverses raisons, n'a pas connu le moindre aménagement depuis des lustres. L'avènement des transporteurs privés, loué durant les premiers mois de leur mise en circulation vers la fin des années 1980, finira par apporter son lot de dégradations. La station ne supportera plus le flot des bus qui viennent saturer au fil des ans un lieu au bord de l'agonie. La distribution des autorisations d'exploitation des lignes, sans aucune étude rigoureuse des besoins réels, fera gonfler certaines destinations aux dépens des autres. La proximité de la station avec un marché couvert et un parking exploité à outrance ne lui laissera aucun espace de « respiration ». Le quotidien est fait désormais avec tous les ingrédients d'un espace tiré d'un film tourné à Calcutta. Pollution, chaussée bossue, décharges, murs noircis par la fumée, nuisances sonores, odeurs d'ammoniac qui piquent les narines, vendeurs ambulants guettant l'arrivée des policiers et chaînes interminables de bus qui se prolongent jusqu'à l'avenue du 20 Août 1955. La situation qui échappera finalement à tout contrôle a rendu infernal l'accès à la place des martyrs et les allées Benboulaïd. En fait, rien ne différencie les stations de bus dans la ville de Constantine, mais bien de choses semblent les réunir. Les besoins urgents en matière de transport dans une ville à la topographie bien particulière et en proie à une démographie galopante et un flux de voyageurs qui se multiple quotidiennement à une vitesse exponentielle, ne laissera pas libre choix pour des autorités dépassées par les événements. L'improvisation qui finira par l'emporter donnera naissance à des lieux de regroupement érigés en station de bus, comme ce fut le cas de l'espace attenant à la prison du Coudiat, faisant face au stade Benabdelmalek. D'ailleurs, le lieu même s'est avéré inadapté puisqu'il montrera les signes d'épuisement après quelques années d'exploitation. Chose qui nécessitera des travaux d'aménagement entamés au début de l'année 2002 pour accuser un retard « Odysséen ». Le cas de la station Kerkeri qui a vu le jour dans les mêmes circonstances demeure le plus révélateur. Le choix de la rue des frères Kerkri se trouvant derrière l'hôtel Cirta sur un terrain « miné » ne fera que dégrader un lieu déjà menacé par les glissements de terrain. Les habitants des immeubles environnants feront le constat des dégâts à leurs dépens lorsqu'ils ont eu à découvrir les fuites d'eau au dessous de leur bâtisse et les conduites d'évacuation des eaux pluviales irrémédiablement endommagées sous le poids des centaines d'engins passant par la station chaque jour. Après moult tergiversations entre les transporteurs privés et les autorités de la wilaya, où les débats ont pris les allures d'un véritable bras de force, il a fallu l'intervention courageuse du nouveau wali pour rappeler les protagonistes à l'ordre et décider la fermeture de la station. En attendant une meilleure prise en charge du secteur du transport par une commune qui fait souvent dans la politique de l'autruche, certaines stations seront appelées bientôt à disparaître avec l'avènement du fameux projet du tramway.