Les suites des premières conclusions de l'enquête sur l'assassinat le 4 février dernier de l'ancien Premier ministre libanais Hariri n'apparaissent pas encore très clairement, hormis la prochaine réunion du Conseil de sécurité au demeurant prévue depuis la semaine dernière, puisque dans l'ordre des choses, ou encore les appels à la démission du chef de l'Etat libanais qui se sont multipliés depuis vendredi. Mais entre ce qui est attendu des instances internationales, ou de ce que décidera le gouvernement libanais réuni hier en session spéciale, il y a la réaction de la famille du défunt. Son fils, le député Saâd, a salué ce rapport et demandé la formation d'un tribunal international pour juger les coupables. « Nous voulons que les coupables soient jugés devant un tribunal international », a-t-il déclaré. La réunion du gouvernement portait évidemment sur l'« examen du rapport » du chef de la commission d'enquête Detlev Mehlis, selon une source gouvernementale. Selon elle, « la réunion a été décidée après des contacts intensifs avec toutes les parties concernées entrepris par le Premier ministre Fouad Siniora », notamment avec le Hezbollah et M. Lahoud. Selon le quotidien à grand tirage An Nahar, le Hezbollah « se trouve dans une position délicate avec les soupçons qui pèsent sur son allié (la Syrie) qui a longtemps constitué un soutien à la résistance » libanaise contre Israël. Le Hezbollah et l'autre parti chiite Amal, du président du Parlement Nabih Berri, deux piliers de la coalition gouvernementale, n'ont pas encore réagi au rapport de l'ONU. Le rapport de la commission indépendante d'enquête des Nations unies a conclu à une implication syrienne et libanaise dans l'assassinat de Hariri. A la suite de ces révélations, les appels se sont fait pressants pour le départ de M. Lahoud, dont le mandat a été prorogé en septembre 2004 sous la pression de Damas. Un des candidats potentiels à la présidence, l'ex-député Nassib Lahoud, a estimé que le rapport « devrait renforcer la détermination des Libanais à obtenir la démission du président Lahoud ». « Le rapport met en cause les proches collaborateurs du président », a-t-il déclaré. Par contre, le leader chrétien Michel Aoun (opposition), candidat affiché à la présidence de la République, a refusé le départ du chef de l'Etat sous la pression de la majorité parlementaire et de la rue, en estimant qu'il devait faire l'objet d'un « consensus national ». Au plan international, les Etats-Unis ont saisi cette occasion pour demander vendredi de manière solennelle une réunion d'urgence du Conseil de sécurité. Une réunion ordinaire car découlant du mécanisme même de création de la commission d'enquête. C'est le président américain George W. Bush qui a demandé cette réunion. « C'est un rapport très sérieux, devant être examiné très soigneusement. A New York, l'ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU, John Bolton, a appelé à une réaction vigoureuse du Conseil de sécurité », et indiqué avoir pris contact avec les ambassadeurs des autres pays membres permanents du Conseil de sécurité (Chine, France, Grande-Bretagne et Russie) « pour discuter des prochaines étapes ». « Nous envisageons toute une série d'options », a-t-il ajouté, sans plus de précision. La secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, qui a jugé le rapport Mehlis « profondément inquiétant », se trouvait justement vendredi en Alabama avec son homologue britannique Jack Straw. « Sur ce que nous allons faire ensuite, nous devons en discuter », a-t-elle dit. « Le Conseil de sécurité devra être le point central » de toute action, ce qui relève-t-on, n'a pas été le cas avec la guerre en Irak. Pour sa part, M. Straw a souligné que « la communauté internationale devrait prendre très au sérieux » le rapport de l'ONU. Mme Rice a indiqué que des consultations avec la France, très impliquée dans le dossier libanais, se poursuivaient « pour déterminer la suite de l'action » à engager. Dès mercredi, rappelle-t-on, la presse américaine indiquait que les Etats-Unis et la France avaient déjà sous la main, une voire deux résolutions condamnant la Syrie. Ces textes seraient les plus sévères jamais proposés à l'encontre de la Syrie. Un porte-parole du département d'Etat s'est montré optimiste sur le soutien de la Russie aux efforts américains sur la Syrie, alliée de Moscou. « Je pense que la Russie a jusque-là apporté un grand soutien et je ne vois rien qui permette de dire que ce soutien a fléchi », a déclaré Adam Ereli. Le Conseil de sécurité de l'ONU ne devrait prendre aucune décision sur la Syrie avant la publication la semaine prochaine du rapport à l'ONU du Norvégien Terje Roed-Larsen sur les progrès dans la mise en œuvre de la résolution 1559. Ces deux rapports sont « distincts, mais liés », a indiqué un responsable du département d'Etat ayant requis l'anonymat. « C'est pourquoi nous devons y répondre de façon globale », a-t-il ajouté. La Syrie rejette toutes ces accusations et crie au complot (voir ci- contre). Une version du rapport, citant un témoin non identifié, met en cause le frère du président Assad, Maher, chef de la garde présidentielle et son beau-frère Assef Chawkat, chef du renseignement militaire syrien. Ils sont présentés comme faisant partie d'un groupe de responsables syriens et libanais qui avaient comploté pour assassiner Rafic Hariri. Même si Detlev Mehlis a évoqué la « présomption d'innocence » pour ces proches de Bachar Al Assad pour justifier la suppression de ce témoignage dans la version officielle du rapport, ces révélations ont fait l'effet d'une bombe. Et la conséquence pourrait être l'adoption d'une résolution condamnant vigoureusement la Syrie avec l'imposition de sanctions ciblées contre ce pays, selon des diplomates. Le rapport de l'ONU invite la Syrie à coopérer avec la commission d'ici le 15 décembre prochain, date de la fin de la mission de M. Mehlis. Mais la Syrie, qui est déjà très isolée sur le plan international, semble hésiter sur l'attitude officielle à adopter vis-à-vis de l'ONU. Le rapport va marquer le « début d'une négociation ou d'une confrontation » de Damas avec la communauté internationale, selon le politologue libanais Joseph Bahout. La confrontation étant d'ores et déjà exclue, qu'y aurait-il alors à négocier ? Toute la question est là justement. Sauf à croire que la Syrie n'est pas en position de négocier quoi que ce soit. Elle fait déjà l'objet de sanctions économiques de la part de Washington depuis mai 2004, et elle est boudée par l'Union européenne qui n'a toujours pas signé un accord d'association avec elle, bien que celui-ci ait été paraphé il y a un an. Elle compte sur les membres du Conseil de sécurité pour qu'ils fassent preuve de réalisme et de lucidité, en leur demandant de lire attentivement ce rapport.