Le débat qui s'ouvre aujourd'hui au sein du Conseil de sécurité des Nations unies revêt un caractère préliminaire, mais il reste néanmoins important au regard des accusations ou des simples conclusions du rapport de la commission chargée d'enquêter sur l'assassinat le 4 février dernier de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France ayant déjà commenté ce texte, que diront alors les autres membres destinataires de lettres des autorités syriennes ? Celles-ci démentent toute implication, et le principal témoin, dont le nom n'apparaît pas dans le rapport officiel, est frappé quant à lui de suspicion (voir encadré). Ce qui n'a pas empêché les Etats-Unis et la Grande-Bretagne d'appeler à une « action internationale ». L'expression est de Mme Condoleezza Rice. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est à la Syrie de prouver son innocence, et non pas l'inverse. Ce pays s'est dit prêt à coopérer à l'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri, mais sa marge de manœuvre est étroite. Mise en cause dans le rapport de la Commission d'enquête de l'ONU dans la conspiration pour assassiner l'ancien Premier ministre libanais, la Syrie a entrouvert la voie samedi à la coopération avec M. Mehlis l'enquêteur de l'ONU. « Nous allons coopérer, mais nous allons voir dans quel cadre et dans quelles limites », a affirmé le conseiller juridique du ministre syrien des Affaires étrangères, Riad Daoudi. Dimanche, le président syrien, Bachar Al Assad, a adressé des lettres aux membres du Conseil de sécurité de l'ONU sur le rapport de la Commission d'enquête. « Le président Assad a adressé des lettres aux pays membres du Conseil de sécurité portant sur la rapport de la Commission d'enquête », a indiqué la télévision, sans dévoiler la teneur des missives. Selon elle, le ministre des Affaires étrangères a convoqué les ambassadeurs de ces pays à Damas pour leur remettre la lettre. Mais dans le même temps, la Syrie a rejeté le rapport du juge allemand. Le Front national progressiste (FNP), plus haute instance politique du régime, a affirmé dimanche que le texte a « déformé la vérité ». Selon lui, « les parties qui tentent de porter atteinte à la Syrie utiliseront les questions politiques contenues dans le rapport », estimant que « le texte est basé sur des témoignages de personnes manquant totalement de crédibilité (...) et connues pour leur hostilité envers la Syrie ». En outre, le vice-ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Mouallem, a nié avoir menacé Rafic Hariri, comme l'affirme le rapport de l'enquête. « Je n'étais pas parti voir Hariri pour le menacer. Je m'étais rendu (à Beyrouth) pour l'informer de ma mission et pour lui demander de coopérer avec moi afin de la faire réussir », a-t-il dit. M. Mouallem avait effectué début 2005 plusieurs visites à Beyrouth. Selon le rapport, il a dit à Hariri lors d'un entretien le 1er février : « Nous et les services (de sécurité) ici (au Liban) t'avons coincé ». Le rapport reste toutefois accablant pour la Syrie, alors que le président Bachar Al Assad n'a cessé d'affirmer que son pays était à « 100% innocent ». Dans son texte, M. Mehlis a estimé qu'il existait des « preuves convergentes » montrant l'implication libanaise et syrienne dans cet « acte terroriste ». « La Syrie fait face à des choix dont le plus doux a un goût amer », a indiqué Bahjat Chatta, un homme d'affaires, citant un proverbe arabe. « Pour Damas, la nécessité de coopérer est impérative, mais la voie est étroite » étant donné l'ampleur des charges qui pèsent sur elle, a pour sa part affirmé une source diplomatique, sous couvert de l'anonymat. La question est de savoir comment la Syrie va collaborer alors que s'engage dès la semaine prochaine une semaine décisive aux Nations unies. Par exemple, la Syrie autorisera-t-elle l'audition, aux conditions de la commission, et hors de son territoire, des responsables incriminés ? A cette question M. Daoudi s'est montré prudent. « Si cela est nécessaire, nous étudierons cette possibilité », a-t-il dit visiblement embarrassé. Alors que les pressions, notamment américaines, se font de plus en plus grandes sur la Syrie, ce pays n'a d'autres choix que d'éviter d'aggraver son cas au Conseil de sécurité. « Il est certain que la Syrie doit coopérer » pour faire toute la lumière sur ce « crime aux motivations politiques » qui « n'aurait pu être mené à bien sans une participation de structures étatiques et para-étatiques », a indiqué le ministère français des Affaires étrangères, dont le premier responsable reste étrangement muet contrairement à ses homologues britannique et américain. Le fait a été très largement relevé, et il pourrait traduire une prudence française par rapport à une situation à laquelle Paris avait largement contribué, aux conséquences sans rapport avec ce qui était attendu. La rencontre d'aujourd'hui entre membres du Conseil de sécurité ne répond à aucune demande, puisqu'elle était prévue par les mécanismes d'application du processus d'investigation, mais aussi de la mise œuvre de la résolution 1559 adoptée en septembre 2004, soit cinq mois avant l'assassinat de Rafic Hariri. L'affrontement n'aura pas lieu, mais les pressions sur Damas se font de plus en plus grandes.