Toute famille mostaganémoise ne peut, en aucune manière, ignorer durant le Ramadhan la fameuse «kalentika». S'il y a un plat que toute famille mostaganémoise ne peut, en aucune manière, ignorer durant le Ramadhan c'est bien la fameuse «kalentika». Ici, on lui préfère le diminutif de «Karen». Le plat se prépare avec de la farine de pois chiche que l'on mélange, selon les disponibilités, avec de l'eau, du lait, de l'huile et, pour les familles les plus nanties, avec quelques œufs et même du fromage. Le tout est cuit au four traditionnel ou moderne. Le plat est un véritable concentré d'énergie que l'on consomme toute l'année. Sa préparation s'est même industrialisée puisque de très nombreuses boutiques ont fait leur fortune en vendant de la Karen. Il n'y a pas un seul quartier qui ne possède ses marchands de «Karentika». Certains, fort astucieusement, en feront un commerce ambulant. Le plateau tout chaud est fixé sur le porte-bagage d'une mobylette ou dans une simple caisse à deux roues que l'on balade à travers les quartiers de la ville. Il n'y a pas un seul chantier de construction situé à l'intérieur du périmètre urbain de Mostaganem qui ne possède son marchand attitré. Durant tous les mois de l'année, ce sont les maçons, les peintres et les manœuvres qui en font leur repas privilégié. Les familles n'hésitent pas à déléguer un enfant afin de rapporter un morceau dans une assiette ou en sandwich. Le carré de «Karentika» peut être servi seul - le must consiste à le saupoudrer de cumin -, ou glissé dans une tranche de pain dont l'intérieur est badigeonné à la demande d'une mixture piquante confectionnée à base de h'rissa. Lycéens, étudiants, fonctionnaires, voyageurs, marins pêcheurs et simples badauds constituent la grosse et fidèle clientèle. Mais le plus étonnant est à venir : en effet, dès l'entame du mois de Ramadhan, rares sont les familles qui peuvent se passer du carré de «karen» pour la rupture du jeûne. Pour de nombreux mostaganémois, de toutes conditions, du plus simple chômeur au cadre, au chercheur, au médecin, au pharmacien, au gendarme, au directeur d'entreprise ou au simple chauffeur de taxi, au moment du retour à la maison, on peut tout oublier sauf le détour par le marchand de «Kalentita». Ce passage est si précieux qu'il en devient un sacerdoce. Le temps aidant, on se fidélise chez un marchand durant des décennies. Si bien que, lorsqu'on change de logement et de quartier, s'il y a un endroit que l'on n'oublie jamais c'est la minuscule boutique du marchand de «karen». Au moins une fois par semaine, on y fait une halte, façon de ne pas perdre les bonnes habitudes. On est client chez un marchand de père en fils. Et gare à celui qui ose changer de fournisseur, toute la famille s'en rend vite compte ! et le malheureux qui a failli peut parfois le payer très cher en remontrances. Car, en bon dégustateur de «karen», on ne va pas plus loin dans l'embrouille. Mais c'est durant le Ramadhan que le reflexe quasi pavlovien reprend le dessus. Un patrimoine culinaire et séculaire Ce qui parfois provoque de véritables cohortes de clients, dont certains auront effectué un très long et éreintant déplacement, tout juste pour pouvoir, au moment de la délivrance, déguster en accompagnement de la chorba ou de la h'rira, le délicieux mets de pois chiches moulus. Mais tout bon consommateur de «kalentika» ne peut se suffire de ce seul met. Il doit obligatoirement l'accompagner de la très classique citronnade que des marchands de «karentika» proposent en accompagnement et, ce, depuis la nuit des temps. Ici, pour faire court et utile, la citronnade est appelée «cherbette». Si, au début des temps bénis, ce breuvage se confectionnait normalement à base de sucre, d'eau et de jus de citron, il y a déjà très longtemps que l'acide citrique a remplacé le citron, devenu très rare et surtout trop cher. Le plus curieux dans ce breuvage c'est l'extrême diversité des recettes et des aromes. Plus curieux encore est cette capacité de certains artisans à perpétuer le même goût pendant des dizaines d'années, voire pendant toute une vie. Avec la rareté et parfois aussi l'extrême cherté des rougets et crevettes, les Mostaganémois qui rendent visite à leur famille à l'étranger commettent une grave erreur de savoir vivre s'ils ne ramenaient dans leurs bagages le carré de karen et le jus de citronnade du bled. Pour ceux qui sont loin du pays, le cadeau le plus prisé et le plus demandé est paradoxalement le moins cher et le moins rare. Il est incontestable, qu'avec le chant chaâbi et l'andalous, la «cherbette» et la «karantita» constituent le patrimoine le plus partagé et le plus apprécié du Mostaganémois. Très curieusement, alors que les ingrédients ont fortement augmenté durant ces dernières années, pauvres et très pauvres peuvent encore accéder au carré de karen pour 5 Da. Même minuscule, le carré de «karentita» apporte une réelle sensation de satiété. Car, dans le subconscient de tout un chacun, il est un véritable coupe-faim. C'est aussi le seul plat que riches et pauvres peuvent partager en tout convivialité. Pour le reste, chacun fait avec les moyens que lui confère son statut dans la société. Mais, au moment de rompre le jeûne, tous commencent par le fameux mets à base de pois chiche dont l'origine serait andalouse. Mais là, personne n'en a encore apporté la preuve. Ce qui est certain, c'est qu'à Mostaganem, on adore ! D'ailleurs, chacun est libre de l'appeler à sa convenance, car du côté de Tigditt le mets est à peu de chose près le même, mais on l'appelle «karentita», «karene», «kalentika», «grantéta», «garentéta», «karentéta» mais jamais pois chiche. Pourtant c'est bien l'ingrédient principal et le plat le plus populaire. Associé au subtil jus de citron, il fait partie du décor ramadhanesque que tout habitant de Mostaganem et de Mazagran se fait un plaisir d'honorer.