La cité Sidi Bennour, à 5 km de Mahelma et à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest d'Alger, est l'une des principales vitrines de la fameuse nouvelle ville de Sidi Abdallah. Le site est, entre autres, prisé pour son parc naturel et son petit lac qui a donné son nom au parc, La mare aux canards. A notre passage, il était tristement désert. Ainsi, le lotissement Sidi Bennour est l'un des premiers noyaux urbains de la nouvelle ville de Sidi Abdallah. La cité est constituée, pour l'essentiel, de logements sociaux, et c'est à peu près tout. Car en termes de commodités et d'équipements, il n'y a pas grand-chose. Pour y injecter un peu de fantaisie, l'allée principale du quartier est baptisée les Mille et Une Nuits. Les façades sont agrémentées de belles mosaïques censées camper des scènes des fameux contes des Mille et Une Nuits, avec des extraits superbement calligraphiés. L'idée est de Jean-Jacques Deluz, l'immense architecte et urbaniste qui nous a quittés le 30 avril 2009. Un passionné de l'Algérie. Il est surtout connu pour être l'un des principaux concepteurs justement (voir le père) de la nouvelle ville Sidi Abdallah. A ce tire, il a largement contribué à l'écriture architecturale de la cité Sidi Bennour, une gigantesque entreprise qu'il étrenna en compagnie de Liès Hamidi, l'ancien directeur général de l'ANSA (l'entreprise de gestion de la nouvelle ville, restructurée depuis). Malheureusement, les nuits de Sidi Bennour n'ont de contes qui les décorent que la façade, le cadre de vie étant des plus sinistres. C'est même une offense aux généreuses intentions de leur créateur dont l'esprit a été outrageusement dénaturé. La population de Sidi Bennour a vite déchanté, sitôt ayant pris ses quartiers céans. Les habitants de la cité ont d'ailleurs le fort sentiment d'avoir été «largués» sur cette colline enclavée et abandonnés aussitôt à leur sort, ballottés qu'ils sont entre l'APC d'Alger-Centre, dont ils relevaient administrativement avant leur relogement et la commune de Mahelma dont ils sont proches territorialement, mais qui ne veut pas entendre parler d'eux. Un état d'abandon qui se traduit visuellement par l'insalubrité de la cité, les détritus qui poussent partout en même temps que les herbes sauvages et l'absence de toute infrastructure d'accompagnement. Quand on quitte la ville de Mahelma pour nous engager sur le chemin de wilaya 112 menant vers Benchaâbane et Boufarik, qui dessert la cité Sidi Bennour, l'on est d'emblée surpris par l'étroitesse de la voie carrossable pour une agglomération en plein boom censée annoncer l'avenir. En amont, peu avant d'arriver à Mahelma en venant de Zéralda, on est accueillis par un showroom où sont exposées les maquettes du projet de la nouvelle ville de Sidi Abdallah. La prière des taraouih dans la clandestinité La grille est fermée au public et le préposé à l'accueil ne peut pas nous laisser y jeter un œil, s'excuse-t-il. En dépit de son cachet colonial très attrayant, la localité de Mahelma elle-même suinte la désolation, elle qui ne dispose même pas d'un poste de Protection civile, ni d'un lycée. «Regardez cet amoncellement d'ordures. Nous n'avons ni éclairage public, ni école, ni centre de santé digne de ce nom. Pour nous déplacer, c'est toute une expédition. Il y a juste un minibus qui fait la liaison Sidi Bennour-Mahelma, sinon, c'est la galère. Pour ceux qui travaillent loin, ils doivent se lever à 4h du matin pour arriver à leur lieu de travail», énumèrent un groupe d'habitants de Sidi Bennour en sériant leurs ennuis qui n'en finissent pas. En tout, la ville en herbe ne compte qu'un commissariat de police, une salle de soins et quelques épiceries. Il n'y a même pas de pompiers en cas d'incendie, pas de garagiste en cas de panne, pas de pharmacien, rien ! Une cité universitaire jouxte le siège de la sûreté urbaine. Car la cité, elle-même érigée sur un terrain recelant quelques vestiges antiques, abrite le nouvel institut d'archéologie. «A l'origine, ce site universitaire était un lycée qui a été transformé en fac», nous explique-t-on. Paradoxalement, pour les paliers inférieurs, la jeune localité ne dispose d'aucun établissement scolaire : ni école primaire, ni CEM, ni lycée ! Pour le reste, un local encore en chantier, niché en bas d'un immeuble, sert de «mouçalla» (lieu de prière) et abrite les prières des taraouih dans l'inconfort le plus total et dans un climat de semi-clandestinité. «Nous n'avons même pas de mosquée, vous rendez-vous compte !», s'indigne Mokhtar Mohamed, ancien président d'un comité de quartier étouffé dans l'œuf. «Pour la prière du vendredi, nous devons nous déplacer jusqu'à Mahelma ou Benchaâbane, et c'est une épreuve en soi, puisque nous n'avons pas de transport public», ajoute Mokhtar Mohamed, avant de lancer : «La mosquée aurait dû être prévue dès l'entame du chantier.»Et de faire remarquer : «Nous sommes coincés entre la commune d'Alger-Centre et celle de Mahelma et les maires se rejettent la responsabilité.» Des citoyens sans maire Le fait est qu'un lot de 412 logements sociaux a été construit à Sidi Bennour à l'initiative de la commune d'Alger-Centre pour y loger quelques-uns parmi ses administrés éligibles à un logement social. «A ce jour, nos loyers sont versés à l'APC d'Alger-Centre», indiquent les locataires. Sauf que, pour la gestion au quotidien de la cité, la commune mère semble s'être déchargée de ses anciennes ouailles. Et l'APC de Mahelma s'en lave les mains, estimant que la proximité de la nouvelle cité ne fait pas forcément de ses locataires des citoyens de Mahelma. «Pourtant, nous votons à Mahelma, ce qui prouve bien que nous sommes désormais des citoyens de cette circonscription», relève un habitant du quartier. Résultat des courses : les hôtes de la cité Sidi Bennour sont devenus des «apatrides». Des parias sans maire ni repère. Une situation qui dure depuis 2005. D'ailleurs, l'on notera, entre autres carences, que Sidi Bennour, malgré son extrême enclavement, ne jouit pas d'une annexe administrative d'état civil. Une dame d'un certain âge, originaire d'Alger-Centre, après des années de nomadisme, victime d'une expulsion, croyait avoir trouvé son bonheur en bénéficiant d'un logement social dans cette cité. «Quand je suis arrivée ici, je pensais en avoir fini avec la misère. Il n'en est rien, puisque nous manquons de tout. On nous dit : ‘‘ça ne fait rien, c'est un joli coin pour les retraités.'' Que ces gens-là sachent une fois pour toutes qu'on n'est pas venus ici pour mourir, mais pour revivre. Or, nous sommes en train de mourir à petit feu dans l'indifférence de nos responsables», déplore-t-elle. «Même l'électricité nous est rationnée, puisque nous subissons plusieurs coupures de courant par jour. Je suis souvent obligée de jeter des denrées stockées en prévision du Ramadhan, le frigo n'étant plus opérationnel des suites de ces coupures. Pour le gaz de ville, n'en parlons même pas. Et c'est 230 DA la bouteille de gaz butane.» Même pour faire les courses, surtout en cette période de forte consommation, c'est la croix et la bannière. La cité ne dispose que de quelques magasins d'alimentation générale.Des commerces sont pourtant prévus au bas des immeubles, mais ils ne sont toujours pas distribués. «Que sont devenus les locaux du président, on peut nous le dire ?», s'interrogent les riverains. «Il faut trimer pour aller faire le marché à Mahelma. Sinon, nous sommes obligés de payer au prix fort les produits qu'on achète ici», ajoute la bonne ménagère, avant de s'écrier : «Je suis dégoûtée ! Ce ne sont pas des logements qu'on nous a donnés, mais un dortoir !»