De longues processions d'hommes, jeunes et vieux, chômeurs et détenteurs de petits métiers, habitant les vieilles maisons, les immeubles, les villas, partageant une pièce avec des frères et des sœurs, personnes aisées, fonctionnaires, agents, cadres, habitants de quartiers, de houmate, de cités, tous affluaient le soir venu vers une - ou la - lumière que diffusait, celui qui se consumait à petit feu, le poète et artiste homme simple, Rachid Nouni. Plus de six années après son décès, sa mémoire continue de hanter l'espace des jardins et cours de maisons, les échoppes et magasins de nombre de nostalgiques d'un temps où les salles des fêtes n'étaient pas encore à la mode. Ses saluts discrets aux arrivants, son sourire protecteur, ses invitations à prendre place aux différents rangs avant l'entame de la première touche semblent d'un autre temps et d'un autre siècle. Et c'est vrai que Rachid Nouni, décédé le 2 mars 1999, dégageait un rayonnement envoûtant. « Il me faisait oublier mes craintes », « il nous apportait le réconfort moral introuvable ailleurs », « il me droguait jusqu'à tout accepter de la vie », « sa voix me poursuit et me protège toujours », « c'est mon guigoz de toujours », des passages recueillis chez des proches. Que d'histoires furent relatées, chantées, narrées donnant « rihet el bled » à nombre d'émigrés à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Voix du natif de la cité blidéenne, de Bab El Khouikha - toute une poétique - où il était né en pleine Seconde Guerre mondiale. Rachid Nouni a su apporter sa touche personnelle à un genre urbain qui réconforte ceux qui éprouvent des difficultés quotidiennes, ceux à qui colle la malvie, ceux des quartiers populaires nostalgiques de temps révolus ou rêvant à des lendemains meilleurs. Le regretté Nouni déclarait quelque temps avant sa mort que le chaâbi lui avait appris à connaître la nature des hommes, fait sentir la misère humaine dans toute son étendue : misère sentimentale, matérielle, culturelle. Tous ces hommes dont il a animé leur soirée de mariage, tous ces désormais pères dont il a fêté la circoncision, toutes ces maisons qu'il avait embaumé avec sa voix chaude, envoûtante, toutes ces rues et ruelles où arrivaient les airs qu'il fredonnait, toutes ces salles de spectacle qui l'avaient accueilli demeurent un témoignage de sa forte personnalité artistique. Blida, sa ville, n'a pas su lui rendre l'hommage qu'il mérite. Non point à travers une assistance matérielle aux enfants laissés orphelins des deux parents, mais à travers la nomination de son nom d'un espace afin de perpétuer son souvenir, en suscitant des travaux de recherche et/ou l'édition d'un livre. Patrimoine commun à toute une ville, les générations futures en voudront aux décideurs actuels de n'avoir pas su et pu perpétuer toute l'étendue de la personnalité de notre « hanouni » disparu au printemps et revenant avec persistance - au moins - à chaque Ramadhan.