Et si la sociologie était aussi l'individu. Et si l'universel commençait chez le voisin ? Fanny Colonna n'arrête pas de chercher dans nos mémoires, de questionner un passé qui a le don d'être toujours vivant, voire vivace. Et nous retransmet ces savoirs ignorés. Cela commence comme une fable. Il était une fois un meunier et un hors-la-loi. L'un était européen, l'autre arabe (respectons la terminologie). Cela se passait dans les Aurès, ce pays aride, hostile et accueillant. Le lieu n'est pas neutre, la terre n'est pas foulée à la légère. Le sol sûrement, la terre non. La terre et le sang, versé ou non. Une terre désirée, labourée. C'est une histoire à plusieurs niveaux. Fanny Colonna s'est rendue sur place pour enquêter sur cette relation. A travers l'histoire d'un meunier, Jean-Baptiste Capeletti, et d'un hors-la-loi, Ben Zelmat, le livre (Actes Sud) tente de souligner la puissance des liens tissés entre ceux qui ont vécu ensemble en Algérie à l'époque coloniale, le plus souvent sous des statuts très inégaux. Deux univers qui évoluent en parallèle dans une même zone géographique. Le livre se propose de montrer la proximité entre des lieux, des gens, des manières de vivre, profondément ancrés dans des relations personnelles comme dans des objets matériels et immatériels. «L'attachement du meunier à son moulin, du bandit d'honneur à sa tribu, des moines fermiers à leur projet de conversion qui passait forcément par une incorporation de la culture locale, offre une entrée privilégiée pour parler de cette relation charnelle que des personnes venues d'horizons divers ont nouée avec un morceau d'Algérie dans laquelle ils avaient été propulsés par des hasards multiples.» Après avoir rapporté cette surprenante histoire dont presque tous les personnages et les témoins ont disparu, Fanny Colonna a mené, à partir de juin 2006, une enquête de terrain à la recherche notamment de son héros, l'énigmatique meunier. Née en Algérie, Fanny Colonna est sociologue et directrice de recherche au CNRS. L'Agérie et la Méditerranée sont ses lieux privilégiés. Entre 2006 et 2009 elle a dirigé un programme de recherche international sur les traces du passé colonial au Maghreb. Elle est l'auteure de nombreux ouvrages de référence dont Instituteurs algériens, 1883-1939, Etre marginal au Maghreb, Les Versets de l'invincibilité, Permanence et changements religieux dans l'Algérie contemporaine et Récits de la province égyptienne (2004). Fine connaisseuse de l'Algérie, elle s'est souvent penchée sur la période coloniale. Son récit sur les Aurès est truffé d'observations subtiles. Elle a aussi dirigé un ouvrage collectif fort instructif, fruit d'une collaboration entre chercheurs italiens, algériens, tunisiens, marocains et français, appartenant à des générations différentes, coloniales et postcoloniales. L'ouvrage aborde la question de «l'après-colonie» au Maghreb en contournant les débats idéologiques et les polémiques épistémiologiques actuelles sur les sciences sociales occidentales souvent accusées de pérenniser une nouvelle forme de domination. Un ouvrage à lire des deux côtés de la Méditerranée.