Directeur de recherche au CNRS, Fanny Colonna, qui a enseigné en Algérie, où elle est née, jusqu'en 1993, a présenté, jeudi, son ouvrage, Entre insurrections et révolution, à quoi pensaient les Aurasiens d'un siècle à l'autre, XIX et XX siècles aux éditions Azur, lors d'une séance de vente-dédicace à la librairie-galerie Espace Noun, à Alger. Il s'agit de la version algérienne de son ouvrage de recherche Les Versets de l'invincibilité, Permanences et changements religieux dans l'Algérie contemporaine, paru en 1995 en France chez Presses de sciences politiques. Fanny Colonna est également l'auteur de plusieurs articles de recherches et d'un autre ouvrage, Récits de la province égyptienne - Une ethnographie Sud/Sud, chez Actes Sud (France) en 2004 où elle fait intervenir des chercheurs algériens. S'attachant à une démarche liant micro-histoire, sociologie, ethnographie et littérature, autant dans la ruralité égyptienne que dans les Aurès, Fanny Colonna brise le mythe imposé par l'ethnocentrisme triomphant de l'orientalisme, mais aussi par le jacobinisme des Etats qui se contente de réduire les mécanismes et leviers de la pensée et du changement aux seuls centres urbains. La « province », la ruralité, ne serait, selon cette vision, que la périphérie subordonnée à la locomotive urbaine. Pour en revenir aux Aurès, Colonna précise que cette région, réceptacle impressionnant de civilisations et de cultures, a été caractérisée par la fermentation d'un lourd héritage, qui se cristallisa notamment à travers le projet révolutionnaire de 1954. « Le livre est traversé par cette idée de la maturation endogène des idées d'indépendance, de ses valeurs morales », explique Fanny Colonna. Elle invite à revisiter la riche personnalité de Mustapha Ben Boulaïd, tombé au champ d'honneur le 22 mars 1956, suite à l'explosion d'un poste de radio piégé parachuté par les troupes françaises, architecte hors norme de l'insurrection, « homme de religion et universaliste », allant jusqu'à vouloir imposer comme adjoint dans le commandement de la Wilaya I, Maurice Laban, communiste engagé dans la Révolution. Mais les chefs de l'ALN ont refusé cette proposition. Autre brèche battue, le rapport peu connu qu'entretenaient les tribus aurasiennes avec la religion, « un rapport joyeux et sans complexe », dont des relents survivent jusqu'à présent, malgré l'uniformisation dictée par le pouvoir central. En 1973, Fanny Colonna assiste au défilé du 1er Mai à Batna : en tête de la parade figurait un grand portrait de Mustapha Ben Boulaïd, ensuite celui moins impressionnant de Abdelhamid Ben Badis et enfin venait le portrait du président Houari Boumediene en plus petit. Toute une symbolique de la sociologie des idées dans les Aurès.