C'est la psychose. Les ménagères algériennes, branchées ou pas, ont fait baisser le prix du poulet par crainte d'une contamination par le virus de la grippe aviaire. Les médias, notamment la télé, montrent tous les jours en prime des tonnes de volaille qu'on incinère et des oiseaux sauvages en plein vol porteurs du virus dans des contrées plus très loin de chez nous. De là à faire la relation entre les deux, il n'y a pas grand-chose. Mais qu'en est-il vraiment ? Les oiseaux migrateurs, notamment les oiseaux d'eau, plus spécialement les canards sauvages, constituent le réservoir naturel des virus de la grippe aviaire. Ils sont bien entendu immunisés contre la maladie. Ce sont des porteurs sains, pourrions-nous dire, alors que les volailles domestiques non immunisées, particulièrement les poulets et les dindes, ne résistent pas à l'infection qui peut leur être fatale. « La grippe aviaire provoque rarement la mort d'oiseaux migrateurs », note un rapport de l'OMS et Michel Gauthier-Clerc, vétérinaire de la station de recherche de la tour du Valat (Camargue, France), centre de renommée mondiale pour ses travaux sur les oiseaux d'eau, confirme en déclarant : « Jusqu'à preuve du contraire, le virus de la grippe aviaire est une souche domestique. Les oiseaux sauvages en sont les victimes, pas les coupables. » En effet, rapporte encore l'OMS, tous les cas d'oiseaux sauvages morts identifiés jusqu'ici concernaient des animaux morts. Sur les oiseaux sauvages vivants, on n'a isolé que la forme pathogène au demeurant toujours présente. La plupart des chercheurs et scientifiques se sont ralliés aujourd'hui à l'idée que la propagation de la grippe aviaire est plus le fait des oiseaux domestiques et des humains. Récemment, le ministre de la Santé, Amar Tou, a déclaré que les oiseaux migrateurs contournaient l'Algérie dans leur périple. Bien entendu, c'est faux. La patrie des oiseaux, tous ceux qui transitent par chez nous et dont on estime le nombre total en millions d'individus toutes espèces confondues, s'étend des confins de la Sibérie occidentale à l'Afrique australe. Ils vont et viennent ainsi sans cesse entre leurs aires de nidification et de nourrissage qui se sont éloignées l'une de l'autre au cours des temps géologiques par le fait de la dérive des continents. Les oiseaux d'eau, par exemple, sont obligés de quitter les plans d'eau du nord de la planète qui gèlent en hiver. Ils entreprennent alors au rythme des saisons le voyage qui les mènera vers les plans d'eau du Sud, moins nombreux, sur lesquels ils se retrouvent en masse. A la fin de l'hiver, ils font l'inverse. La voie du Nord-Est C'est notamment le cas qui nous concerne, du delta intérieur du fleuve Niger au Mali et des plans d'eau côtiers de l'Afrique de l'Ouest. Dans le lot, il y a des centaines de milliers d'oiseaux qui s'arrêtent chez nous après l'harassante traversée de la Méditerranée pour hiverner dans la douceur de nos zones humides. En fait, on cerne mal le phénomène de la migration des oiseaux. On sait toutefois de manière assez précise que les migrateurs qui nous rendent visite empruntent plusieurs itinéraires. Deux de ces voies de migration sont plus commodes, car elles évitent une longue traversée de la mer. Elles sont surtout empruntées par les grands oiseaux qui pratiquent le vol plané. La première passe par le détroit de Gibraltar, c'est la voie de l'Ouest, et la seconde par le canal de Sicile et le détroit de Messine, c'est la voie de l'Est. Il y en a trois autres au moins où les migrateurs, et c'est plutôt la règle générale, s'aventurent hardiment au-dessus de la mer et de nuit, ce qui complique les observations. La première se lance au-dessus de la mer d'Alboran entre le sud de l'Espagne et les zones humides autour d'Oran, la deuxième relie le littoral du sud de la France aux côtes algériennes du centre du pays avec escale aux Baléares et la troisième la rive nord de la Méditerranée occidentale avec un passage par la Corse et la Sardaigne. Il y en a certainement d'autres, car bien souvent on a rapporté l'observation d'oiseaux filant droit vers nos côtes loin des itinéraires qui passent par les îles. C'est par l'Est qu'arrivent dans notre pays les plus contingents d'oiseaux d'eau migrateurs. Cela est lié à la présence dans la région El Kala-Annaba d'un vaste ensemble complexe de zones humides côtières qui se trouvent également sur l'itinéraire des oiseaux venant par le sud de l'Italie après une halte sur le lac Ichkeul (9000 ha) au sud de Bizerte (Tunisie). Une fois sur nos côtes, les migrateurs, après avoir repris des forces, choisiront de rester sur place, d'aller plus au sud sur les Hauts-Plateaux du Sud constantinois, dans les chotts et les sebkhas de la steppe ou de traverser le désert pour rejoindre l'Afrique subsaharienne et de l'Ouest. Un inventaire exhaustif des zones humides algériennes a fixé leur nombre à 450. Mais toutes ne sont pas exploitées par les oiseaux d'eau de la même manière et avec la même intensité. Il y en a qui sont complètement vides ou malheureusement totalement polluées parce qu'elles sont le réceptacle des rejets industriels et domestiques. Les canards qui nous rendent visite doivent être particulièrement solides pour entreprendre de franchir vol battu et d'une seule traite plus de 200 km sans halte. Sans chercher à écarter le risque d'une propagation de la grippe par les oiseaux sauvages, ce qui serait une situation exceptionnelle comme il en existe de temps à autre dans la nature, l'épreuve de la Méditerranée va contribuer à nous protéger pour la migration d'automne qui a commencé et celle du Sahara, contre la remontée au printemps des migrateurs censés s'être frottés en Afrique centrale aux oiseaux venus d'Europe centrale et orientale via le Proche et Moyen-Orient. Mais là encore, ce ne sont que des conjectures qui restent à confirmer comme le recommandent de nombreux scientifiques qui commencent à trouver suspect cette diabolisation des migrateurs.