Lue et relue dans les plus prestigieuses universités du monde, l'œuvre de Mohamed Arkoun demeure tout de même quasiment introuvable en Algérie. Dans notre pays, nombreux sont aussi, notamment parmi les étudiants en sciences islamiques, ceux qui ne connaissent presque rien de cet intellectuel qui a révolutionné le champ des études islamiques en fondant l'islamologie appliquée. Cette discipline, inscrite dans la droite ligne de la critique de Kant, de Bachelar et de Michel Foucault, a remis en cause la lecture dogmatique de certaines conceptions de l'Islam. Le travail de critique que Mohamed Arkoun a imposé à tous les systèmes de production de sens de la pensée islamique a ouvert des pistes de réflexions novatrices. Dans ce sillage, les travaux de Mohamed Arkoun ont été acclamés dans toutes les grandes universités du monde, de la Sorbonne à Princeton. Ces livres ont traversé l'Europe et le monde. Ils sont disponibles en Belgique, en Italie, en Hollande, en Angleterre et même en Indonésie. Mais de tous ces livres et de tous ces travaux, que peut-on trouver en Algérie ? Eh bien, presque rien. Aussi cruel que cela puisse paraître, il est vraiment rare de trouver un livre de Mohamed Arkoun dans les librairies et bibliothèques de son pays ! Pire encore, il n'a pratiquement rien édité de son vivant dans son pays. Et pourtant, ce génie a produit depuis le début de la deuxième moitié du XXe siècle. Et quelle production ! De L'Islam : religion et société, jusqu'à Pour une critique de la raison islamique en passant par Combats pour l'humanisme en contextes islamiques, pratiquement tous les livres de Mohamed Arkoun, traduits dans une multitude de langues, ont été des best-sellers. Toutefois, en Algérie, l'accueil de cette œuvre fut si timide et si violent, surtout, qu'elle passa quasiment inaperçue. Contesté pour sa pensée rebelle et ses prises de position à l'encontre des tenants de la doctrine malékite, les différentes maisons d'édition publiques des années 1970 et 1980 en Algérie ont été carrément obligées d'interdire la diffusion de son œuvre. Sinon comment expliquer que l'Office des publications universitaires (OPU) n'a publié que deux petits ouvrages de ce penseur, en 30 ans ! Et il fallait encore attendre les années 1980 pour voir l'OPU publier un traité d'Arkoun sur l'Islam et les sciences humaines. Un livre d'à peine 250 pages qui ne constitue nullement un point culminant de la pensée du défunt intellectuel. Quant au deuxième livre, il s'agit de La Pensée arabe, il a été édité à la fin des années 1980. Deux livres en une décennie ! On ne peut pas dire que nos autorités tenaient vraiment à ce que les livres de ce chercheur soient connus et lus en Algérie. Le troisième livre qui a pu voir le jour en Algérie a été édité par l'ENAL en 1993. Il s'agissait d'un essai intitulé : Penser l'Islam aujourd'hui. Depuis, aucun de ces livres n'a pu être publié en Algérie. Et Arkoun n'a refait surface sur la scène culturelle nationale que grâce à une maison d'édition indépendante, Barzakh Edition, qui a réédité dans les années 2000 son ouvrage capital : Humanisme et Islam. Combats et propositions.