Les absents ont forcément toujours tort 1) D'abord, une démocratie participative avortée face à un code municipal obsolète, là où le citoyen devait remplir la fonction de protagoniste et de vigile par sa forte participation à la gestion des affaires de la cité. Certaines municipalités évoluaient tels des fiefs où le seul privilège concédé aux citoyens se réduisait à la délivrance des pièces d'état civil, et cela en dépit des dispositions de la loi qui mettait tant d'espoir dans cette collectivité territoriale de base : «L ‘assemblée populaire communale constitue le cadre d'expression de la démocratie locale. Elle est l'assise de la décentralisation et le lieu de participation du citoyen à la gestion des affaires publiques.» Art /84 de la loi n° 90-08 du 7 avril 1990 portant code de la commune. Toujours dans le but de prévenir et de lutter contre le phénomène de la corruption, la Convention des Nations unies contre la corruption recommande à juste titre «l'adoption de procédures ou de règlements permettant aux usagers d'obtenir, s'il y a lieu, des informations sur l'organisation, le fonctionnement et les processus décisionnels de l'administration publique»,et aussi et surtout «d'accroître la transparence des processus de décision et de promouvoir la participation du public à ces processus» (10) Cet ostracisme dont fait l'objet le citoyen depuis toujours a fini par instaurer un climat où la vérité ne pouvait se deviner que par le truchement de conjectures, ce qui a forcément accru le risque de basculer dans des pratiques diffamatoires et calomnieuses. 2) Une réglementation des marchés publics inefficiente, qui n'incitait guère à la probité et ne pouvait donc constituer un facteur déterminant dans ces «mécanismes préventifs» susceptibles de juguler la corruption. Bien au contraire ce sont certaines dispositions trop permissives qui ont inexorablement induit tous ces dérèglements et pratiques délictueuses. 3) L'absence d'une structure étatique souveraine, indépendante, crédible et offensive et qui serait chargée de combattre ce fléau. En juillet 1996, Le président Liamine Zéroual met sur pied L'Observatoire national de surveillance et de prévention de la corruption (L'ONSPC), une montagne qui a accouché d'une souris. En l'an 2000 cette structure superflue et inutilement budgétivore sera dissoute en laissant un vide sidéral qui sera comblé en 2006 par le projet de l'Organe national de prévention et de lutte contre la corruption. Jusqu'à maintenant, tout le monde a les yeux braqués sur la naissance effective de cet ectoplasme qui ne cesse de changer de sigle sans jamais passer à l'acte. 4) Une Cour des comptes pétrifiée et un appareil législatif trop accommodant.Pour la première, virtuellement opérationnelle depuis 1976, réajustée en 1989 puis en 1996 avec des prérogatives assez importantes seulement en théorie, sa mise en hibernation a énormément contribué à la propagation de toutes ces dérives. On se propose finalement de la réanimer. Pour le second, son piètre engagement sur la scène politique du pays ne semble guère illustrer l'étendue incommensurable de ses pouvoirs. 5) Une loi sur l'information inadaptée et qu'on s'apprête avec condescendance à réviser pour la rendre plus conforme aux impératifs du siècle, car comme l'avait souligné le secrétaire d'Etat à l'Information, Azzedine Mihoubi, sa révision «n'est plus un choix, mais une exigence» 6) La question récurrente de l'autosaisine des institutions : Le citoyen algérien a du mal à comprendre comment la corruption a pu atteindre ce degré de pestilence en présence d'un édifice institutionnel qui quadrille l'ensemble du territoire, fort de toutes les prérogatives qui le somment d'intervenir et de s'autosaisir immédiatement chaque fois qu'il aurait à connaître des faits passibles de poursuites judiciaires. Mustapha Bouchachi, président de la LADDH avait fait part de son grand étonnement en ce qui concerne un appareil judiciaire dépourvu de cette indépendance qui lui confère le droit d'intervenir en matière de corruption avérée, sans se sentir astreint à en référer à d'autres sphères que la loi. (11) Beaucoup de journalistes, à la lumière de leurs foisonnantes expériences, aboutissent tous aux mêmes conclusions. «Si les scandales financiers sont devenus légion, la justice, par contre, ne se manifeste pas comme preuve ou instrument de salubrité publique. Elle est systématiquement mise en veilleuse dès qu'il s'agit d'affirmer ou d'infirmer une accusation portée à l'adresse des représentants de l'Etat.» (12) La situation devenant tellement incontrôlable et terriblement saugrenue s'agissant de l'audace et l'impunité de certains clubs criminels qui utilisaient leurs hautes fonctions au sein de l'Etat, cette mission de neutraliser cette oligarchie maffieuse et qui paraissait au citoyen lambda si aisée car dévolue en temps ordinaire à des structures conventionnelles incombait désormais à d'autres sphères moins pusillanimes. «Beaucoup d'observateurs expliquent aussi l'apparition du DRS comme le principal fer de lance de la lutte contre la corruption par l'inefficacité du système judiciaire algérien. Pour étayer leur argumentaire, ces derniers rappellent que la justice s'est rarement autosaisie d'une grande affaire de corruption. Cela même quand celle-ci saute aux yeux.»(13) 7) Antagonismes entre devoir de dénoncer et crainte de représailles : Dans le cadre de la protection des personnes qui communiquent des informations, la Convention de l'Union Africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption (art.9) exhorte les Etats «à adopter des mesures afin de s'assurer que les citoyens puissent signaler les cas de corruption, sans craindre éventuellement des représailles». Quant à la Convention des Nations unies contre la corruption (art. 33), elle exhorte les pays à prendre les mesures appropriées pour «assurer la protection contre tout traitement injustifié de toute personne qui signale aux autorités compétentes, de bonne foi et sur la base de soupçons raisonnables, tous faits concernant les infractions établies conformément à la présente Convention.» Tel est le nœud gordien : bonne foi et soupçons raisonnables, si la Convention n'a rien imaginé de plus consistant ou d'irréfragable à mettre entre les mains des dénonciateurs, cela démontre que dans la plupart des cas c'est tout ce que nous possédons pour signaler ces turpitudes. Et c'est à l'Etat de faire le reste. Il serait faux de- prétendre que le journaliste ignore les consignes éthiques et déontologiques qui régissent ce métier séculaire et notamment : respecter la vie privée des personnes et leur droit à l'image. Veiller à publier uniquement les informations vérifiées, éviter la calomnie, la diffamation et les accusations sans fondement. S'interdire de diffuser des rumeurs ou d'altérer l'information. S'efforcer de relater les faits en les situant dans leur contexte ... (14) «Exactitude, exactitude, exactitude !», c'est la devise que Joseph Pulitzer avait affichée en lettres géantes sur chaque bureau, dans son journal The New York World. voilà plus d'un siècle. Depuis toujours et dans le monde entier, on s'est tenu dans la mesure du possible à respecter l'honneur d'autrui car les contrevenants étaient conscients des poursuites pénales que ces actes pouvaient susciter. En plus des nombreuses démissions et carences évoquées précédemment, sont venues d'autres dispositions juridiques (code pénal, art.144 et loi 06/01 du 20/02/2006 relative à la prévention et la lutte contre la corruption (art.46) et qui certes ne manqueront probablement pas de protéger des personnes innocentes qui se comptent sur le bout des doigts, mais qui ont surtout involontairement contribué à pérenniser une forme d'impunité. La pénalisation du délit de presse est devenue l'une des plus importantes entraves de l'exercice du métier de journaliste, une forme de paravent provisoire et de blanc-seing, c'est du moins ce que ressentent beaucoup de personnes qui n'ont pu éviter le glaive de la justice que grâce à ce stratagème juridique. En 1999, le président de la République était stupéfait de l'inqualifiable désintéressement des gens pour la chose publique, «ces citoyens qui ne réagissent pas, n'informent pas, ne dénoncent pas ... seraient-ils aveugles ces yeux du peuple, ces cœurs fermés et qui font comme si la gangrène qui dévore le pays n'est qu'une petite fièvre qui passerait avec une tisane». (15) Lorsque le vin est tiré, il faut le boire. On ne peut pas encourager le peuple, la société civile, y compris la presse, à faire front contre ce fléau et s'empresser de canaliser ces croisades patriotiques et citoyennes, ces vindictes légitimes. (21)