Le directeur général du Domaine national revient dans cet entretien sur la politique foncière nationale en matière d'investissement ainsi que sur la nouvelle disposition introduite dans le projet de loi de finances pour 2006 portant le retour au gré à gré dans l'attribution de certaines assiettes foncières destinées aux projets d'investissement. Le foncier est présenté comme l'une des contraintes majeures à l'acte d'investir en Algérie. Qu'en pensez-vous ? Effectivement, sur la place publique, beaucoup de gens disent que le foncier constitue aujourd'hui un facteur de blocage. Mais avant de se prononcer sur un tel constat, je crois qu'il est utile de rappeler tout ce qui a été fait par l'Etat en matière d'offre foncière pour le secteur économique. Je vous donne deux ou trois chiffres à ce sujet. L'Etat a mis, à partir de son propre portefeuille foncier, 12 000 ha organisant 70 zones industrielles au niveau national. Ensuite et dans le cadre du dispositif des réserves foncières communales, l'Etat a puisé également dans son portefeuille pour mettre à disposition à peu près 450 zones d'activités au niveau national, quelque chose comme 8000 ha. Cela fait donc 20 000 ha qui ont été déjà mis à la disposition de l'investissement depuis pratiquement 30 ans. Si on rapporte ces 20 000 ha à la superficie totale du foncier urbanisable, on se retrouve avec un ratio très important, parfois même supérieur à celui de certains pays industrialisés. Ces disponibilités foncières ne sont pas malheureusement utilisées à pleine capacité. Moins de 50% des terrains sont soit exploités soit sous-exploités. L'état des zones industrielles et des zones d'activités laisse totalement à désirer parce qu'elles sont pratiquement à l'abandon. C'est à ce titre d'ailleurs que le gouvernement a décidé, dans le cadre du programme du soutien à la relance économique, de mettre 5 milliards de dinars, comme première tranche, destinés à la réhabilitation des zones industrielles et zones d'activités. S'agissant maintenant de la rareté du foncier dont font état nombre d'opérateurs économiques, il faut savoir que l'Etat ne peut pas à lui seul alimenter un marché foncier, il y a les privés. Rien n'interdit aux investisseurs potentiels de se tourner vers les propriétaires privés pour mobiliser des assiettes foncières. L'Etat possède encore des terrains, notamment à l'intérieur du pays. Mais dans les grandes agglomérations, la propriété de l'Etat s'est tellement amincie que nous avons parfois des problèmes y compris pour l'attribution des assiettes pour des programmes publics. Nous avons été obligés parfois d'acquérir des terrains auprès des privés pour la réalisation des équipements publics. A combien la réserve foncière nationale est-elle estimée ? On ne peut avoir une estimation exacte. Le territoire national est composé de 230 millions d'hectares dont 80% de terres sahariennes, 12% de terrains de parcours, 4% de terrains forestiers et 2,5% de terres agricoles. Comme vous le constatez, il ne reste pas grand-chose pour les terres urbanisables qui représentent moins de 1% du territoire national, soit moins de 2 millions d'hectares. Cela dit, dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire, les plans d'aménagement du territoire et les instruments d'urbanisme peuvent, au fur et à mesure, changer un petit peu la consistance des terrains urbanisables. L'Etat peut faire des programmes d'investissement pour mettre en valeur de nouvelles terres pour l'agriculture et puiser dans les terres d'agglomérations pour faire des zones d'activités. L'offre foncière nationale pour l'investissement se concentre-t-elle uniquement dans les zones industrielles et zones d'activités ? On ne peut pas dire qu'il n'y a plus d'offres foncières en dehors des zones industrielles et zones d'activités. L'Etat a encore des disponibilités foncières. Seulement, puisque nous sommes aujourd'hui en économie de marché, l'Etat doit s'y conformer également dans ce domaine aussi. Les terrains mis à la disposition de l'investissement doivent se faire selon les règles du marché. C'est fini la cession des terrains au dinar symbolique. C'est pour cela d'ailleurs que le principe cardinal de la loi domaniale depuis 1990 est de mettre aux enchères publiques tout terrain destiné à la vente. Comment expliquez-vous alors l'introduction d'une disposition dans le projet de loi de finances pour 2006 prévoyant un retour au principe du gré à gré dans l'attribution de certaines assiettes foncières destinées à l'investissement ? En fait, il n'y a pas eu de retour en arrière. Si vous lisez l'article 51 de la loi de finances de 1998, le gré à gré n'est pas du tout exclu. Dans cet article, il est effectivement dit que les terrains relevant du domaine privé de l'Etat peuvent être cédés ou concédés aux enchères publiques, mais dans un deuxième alinéa, il est dit, qu'à titre exceptionnel, la cession ou la concession de terrains peuvent être consenties de gré à gré au profit d'investissements bénéficiant d'avantages prévus par la loi et le règlement en vigueur. Nous avons eu quelques difficultés à mettre en œuvre ce principe. Le gré à gré était limité uniquement pour des investissements qui bénéficient des avantages de l'ANDI. Or ce n'est pas notre objectif. Aujourd'hui, nous avons une très forte demande qui porte sur des terrains situés dans des communes à promouvoir, à l'intérieur du pays. Pour plusieurs projets d'investissement (station-service, clinique, relais de télécommunication, projet de distribution, hôtel...) nous étions bloqués car pour pouvoir bénéficier des avantages de l'ANDI, il est exigé un certain niveau d'investissement. On s'est retrouvé donc dans une situation paradoxale. Nous avons continué à céder de gré à gré pour le programme d'habitat et de construction. Les projets d'habitat ne sont pas concernés par les dispositions d'investissement, ils sont régis par d'autres dispositions. Par ailleurs, au cours de l'année 2000, face à une très forte pression de terrain, nous avons autorisé, par décision du ministre des Finances, les cessions de gré à gré pour les projets industriels seulement. Il est vrai que lorsqu'on lit la nouvelle disposition introduite dans le projet de loi de finances pour 2006, on a l'impression que c'est un retour au gré à gré, mais ce n'est nullement le cas. Les mêmes principes sont reconduits. Nous avons cependant prévu une seule chose : la location du terrain. Il y a une très forte demande émanant d'investisseurs nationaux et étrangers qui souhaitent ni acquérir ni avoir une concession, mais seulement une location. Ceci est une bonne chose pour nous dans la mesure où le terrain reste la propriété de l'Etat et cela permettra également de le réutiliser pour d'autres projets une fois que la location arrive à terme. La nouvelle disposition de loi renvoie par ailleurs à un décret qui va instaurer une nouvelle approche. Il s'agit d'exclure systématiquement le gré à gré pratiquement dans toutes les wilayas du nord du pays où la pression sur le foncier est la plus forte et ce, y compris même pour les projets industriels et les projets de promotions immobilières. Ne bénéficieront du gré à gré dans ces wilayas que les projets de l'habitat, à l'instar du logement social participatif et du logement social locatif, ainsi que les grands projets gouvernementaux examinés par le Conseil national des investissements. Nous voulons, au titre de la nouvelle disposition, faire bénéficier du gré à gré les wilayas à promouvoir ; et même dans ces wilayas, le dispositif que nous proposons exclut du gré à gré les communes chef-lieu de wilaya et de daïra. En fait, nous allons exclure d'une manière plus stricte près de 50% des communes nationales. En quoi les enchères publiques constituent-elles un facteur de blocage tel que mentionné dans la nouvelle disposition du projet de loi de finances pour 2006 ? Prenez l'exemple d'un investisseur qui veut investir dans la construction d'un hôtel à Naâma. Dans l'état actuel des choses, il doit passer par les enchères publiques. Or matériellement, on ne peut pas organiser une séance d'enchères publiques parce qu'il n'y a pas de demande. Si vous l'organisez, vous allez vous retrouver avec un seul enchérisseur. Qu'en est-il de la récupération des terrains oisifs des entreprises publiques ? Là aussi il y a énormément de disponibilités. Il y a d'abord les actifs que nous avons récupérés des entreprises publiques dissoutes. Nous avons à peu près 350 ha d'actifs issus des entreprises dites non autonomes. Celles-ci sont gérées directement par nous puisque c'est l'administration des domaines qui suit leur liquidation. Il s'agit ici d'un portefeuille foncier constitué de terrains bâtis et non bâtis. Il y a également 350 ha qui sont issus des EPE dissoutes gérées par le ministère de la Participation. Ce sont donc près de 7000 ha qui sont susceptibles d'être mis sur le marché. Nous travaillons actuellement avec le MPPI sur un projet de décret pour voir concrètement les modalités de leur mise sur le marché. Il est fort probable que nous allons les mettre à la disposition de la société de gestion du foncier et les 48 sociétés de gestion immobilière réparties à l'échelle nationale. En fonction de l'implantation, l'Etat va transférer ces actifs aux sociétés de gestion immobilière qui les mettront, par le bais du guichet unique ANDI, à la disposition des investisseurs et ce, soit sous forme de location, soit sous forme de concession aux enchères publiques ou de gré à gré. Parallèlement à ces actifs dits résiduels, il y a ce que nous appelons les actifs dormants. Ce sont des terrains détenus par les EPE en activité mais qui ne sont pas utilisés au mieux de leur capacité. L'article 85 de la loi de finances de 2005 avait prévu des modalités de reprise par l'Etat de ces terrains. Là aussi, nous avons prévu dans le même décret sur lequel nous travaillons avec le MPPI une procédure de traitement. Beaucoup parmi ces entreprises détiennent des actifs sans titre de propriété. D'autres ont parfois des titres mais disposent d'un endettement vis-à-vis du Trésor public et d'autres n'ont pas d'endettement mais disposent de terrains non utilisés. Nous allons traiter au cas par cas. Nous nous attendons aussi tirer 300, 400, voire 500 ha dans un proche avenir. Les entreprises seront-elles indemnisées en contrepartie des terrains récupérés ? Bien évidement. Mais comme je l'ai souligné auparavant, il y a des entreprises qui n'ont pas de titre de propriété. Autrement dit les biens appartiennent à l'Etat et de ce fait, on va les reprendre sans contrepartie. Nous avons 4500 dossiers d'entreprises déposés au niveau des services des domaines qui demandent à régulariser les actifs dont elles ont bénéficié. Près de 55% de ces dossiers sont déjà régularisés. Deuxièmement, pour les entreprises qui ont des terrains en toute propriété mais endettées, nous allons récupérer leurs terrains en contrepartie de l'effacement de leur dette. Troisièmement, s'agissant des entreprises qui ne rentrent pas dans les deux premières catégories, l'Etat sera obligé de les payer en valeur vénale. Les prix des terrains connaissent une envolée spectaculaire ces dernières années. Comment arrivez-vous à déterminer la valeur vénale d'un terrain ? Depuis l'abrogation de l'ordonnance 74-26 et jusqu'à 1990, les terrains étaient vendus selon un barème administré. C'étaient des prix très bas qui ne reflétaient pas ceux du marché. Mais depuis 1990, nous essayons de nous rapprocher un peu plus des prix du marché à travers la mise en place d'instruments qui nous permettent d'observer le marché foncier au niveau local. Nous avons à ce titre un observatoire que nous mettons à jour tous les six mois au niveau de toutes les wilayas et les communes du pays qui nous aide à avoir une connaissance approximative de la valeur vénale d'un terrain. Le foncier est le domaine où le nombre de contentieux et de litiges reste de loin le plus élevé. Comment le traitement de ces litiges se fait-il à votre niveau ? Nous avons essayé de trouver des solutions. Le maquis juridique qui existait jusqu'à 1990 contenait des dispositions transitoires qui ont essayé d'assainir la situation. C'est vrai qu'aujourd'hui, il y a énormément de lotissements qui ont été créés en dehors de la légalité. I l y a eu malheureusement beaucoup de glissements qui ont fait qu'aujourd'hui on se retrouve avec un nombre important de contentieux. Pour une partie de ces contentieux, nous avons les moyens juridiques de les régler mais pour d'autres, on n'en a pas. Nous sommes en train de travailler notamment avec le ministère de l'Intérieur pour préparer des dispositifs ad hoc qui nous permettent de prendre en charge les contentieux en suspens.