La pertinence de la disposition du projet de loi de finances 2006, portant possibilité de cession de gré à gré des terrains domaniaux, est loin de faire l'unanimité parmi les organisations patronales et l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA). Alors que le patronat réclame plus de facilitation pour l'accès au foncier industriel, la centrale syndicale affiche, quant à elle, une défiance accrue à l'égard du principe du gré à gré comme mode de cession des terrains domaniaux. Telle que proposée à travers le projet de loi de finances 2006, la disposition charriant la possibilité du gré à gré pour la cession des terrains relevant du domaine privé de l'Etat s'inscrit dans l'optique de mieux répondre aux besoins des investisseurs quant à l'accès au foncier industriel. A cet effet, il est stipulé dans ledit projet de loi que " des terrains relevant du domaine privé de l'Etat peuvent être loués, concédés ou cédés, de gré à gré ou aux enchères publiques au profit d'entreprises et établissements publics ou de personnes physiques ou morales de droit privé ". Autorisant le mode de gré à gré aux côtés de la procédure de la vente aux enchères, cette nouvelle disposition est motivée par l'argument selon lequel " la mise en œuvre du principe de cession aux enchères publiques des terrains domaniaux destinés à l'investissement a rencontré un certain nombre de difficultés liées notamment au caractère systématique du principe qui, dans certaines situations, s'assimile à un véritable obstacle à l'investissement productif ". Aussi est-il expliqué en ce sens : " L'amendement proposé vise à atténuer le caractère systématique des enchères publiques en prévoyant la possibilité de cession de gré à gré, le décret d'application précisant les champs respectifs des modes de cession aux enchères publiques ou de gré à gré ". Ainsi énoncé dans le texte du projet de loi des finances 2006, le principe du gré à gré suscite déjà un débat contradictoire au sein de la sphère économique nationale. En attendant de savoir quel sort lui sera réservé par les députés, lors des débats sur la loi de finances à l'Assemblée populaire nationale (APN), cette nouvelle disposition est ainsi rejetée dans le fond et dans la forme par la centrale syndicale, tandis que du côté du patronat, les avis sont plutôt divergents. Interrogé sur la pertinence de cette mesure, le chargé des affaires économiques à l'UGTA, Mohamed-Lakhdar Badreddine, nous affirmera que lors des auditions de la commission des finances et du budget de l'APN sur le projet de loi de finances 2006, " nous avons affiché officiellement notre opposition au principe de cession des terrains domaniaux par le mode du gré à gré ". Sans trop s'étaler sur la question, notre interlocuteur se contentera de lancer qu'à l'inverse des avis d'appels d'offre, " le mode de gré à gré constitue un danger de par son manque de transparence, car il induit certains risques de bradage des terrains domaniaux ". Si, du côté de l'UGTA, la préoccupation essentielle est ainsi de veiller à préserver les biens de la collectivité nationale, du côté du patronat, l'enjeu est en revanche tout autre, à savoir que l'Etat doit tout faire pour offrir aux investisseurs des facilitations optimales en matière d'accès au foncier. Soulignant que le foncier constitue un élément de base pour l'investissement productif, le président de la Confédération nationale du patronat algérien (CNPA), M. Naït Abdelaziz, estimera ainsi qu'aussi bien à travers le mode de gré à gré qu'à travers les procédures de ventes aux enchères, " l'organisation proposée actuellement pour l'accès au foncier exclut systématiquement les promoteurs de projets de petites et moyennes entreprises (PME) ". " S'agissant de la procédure de vente aux enchères, nous la rejetons, a-t-il signifié, dans le fond et dans la forme, car elle avantage les plus nantis, en créant la spéculation et le renchérissement des prix des terrains, ce qui ne va pas sans démotiver les promoteurs des petits et moyens projets d'investissement ". Quant à la procédure de gré à gré, " elle comporte, a-t-il enchaîné, à la fois un avantage, en permettant une rapidité des transactions, et un inconvénient qui est le manque de transparence et donc des risques de spéculation ". Et de conclure : " Nous pensons que le gré à gré n'est pas la solution idoine pour encourager l'investissement. fourchettes des prix Les formules actuelles de cession de terrain gagneraient à ce que l'on fixe des fourchettes de prix raisonnables selon les zones d'implantation, car la finalité est de favoriser l'investissement et l'emploi et non d'appliquer des prix commerciaux qui n'encouragent que les plus riches. " Dans des pays où l'on veut relancer l'investissement, il arrive même que l'on cède des terrains à des prix symboliques ", a-t-il ajouté. Affichant sa crainte de voir amendée par les députés la disposition de la loi de finances relative au gré à gré, le président de la Confédération algérienne du patronat (CAP), Boualem Merakèche, soulignera pour sa part que la procédure de vente aux enchère des terrains domaniaux constitue une source de blocage pour l'investissement. "Nous avons entendu dire, a-t-il noté, que la mesure du gré à gré risque d'être rejetée, mais nous espérons que ce ne sera pas le cas, car c'est l'une des rares dispositions introduites dans cette loi de finances en faveur de l'investissement ". Et de plaider : " Nous sommes favorables au mode de gré à gré, à condition qu'il soit organisé et intégré dans le cadre d'une politique de relance de l'investissement ". Pour ce faire, a-t-il soutenu, " l'Etat doit tracer le prix du mètre carré et réserver des assiettes aux investisseurs, de sorte à ce que le gré à gré soit assujetti à des règles, car il s'agit d'investissement et, à cet effet, l'Etat doit définir le périmètre d'implantation des projets et déclarer des zones comme étant réservées à l'investissement ". " Avec la procédure d'avis d'appel d'offres, relèvera-t-il, beaucoup de projets sont restés bloqués, car l'investisseur se voit désigné un terrain, mais par la suite, il ne pourra jamais l'acquérir du fait du surenchérissement sur le prix à travers l'enchère publique ". " C'est ce qui s'est passé, a-t-il affirmé, dans de nombreux cas à l'intérieur du pays, alors qu'au Centre, n'en parlons même pas ". "Le gré à gré, estimera en définitive notre interlocuteur, devra aider dans la facilitation de l'accès au foncier mais, avant tout, il faut que soit fixé un barème de prix des assiettes de terrain de sorte à ce que l'investisseur puisse prévoir les coûts de son projet ". Dans le même ordre d'idées, le président du Forum des chefs d'entreprise (FCE), Omar Ramdane, estimera pour sa part que " le gré à gré est une mesure positive pour améliorer l'accès au foncier industriel, en permettant d'éviter les lenteurs des transactions en ce domaine". Il soutiendra cependant que cette procédure doit être accompagnée d'un mécanisme de recours pour les cas où des promoteurs seraient éconduits sans motif apparent. Suscitant en somme espoirs et appréhensions, la disposition portant procédure de gré à gré pour la cession des terrains domaniaux révèle ainsi toute la complexité de la problématique de gestion du foncier industriel et les risques encourus de voir le favoritisme, la corruption et toutes formes de spéculation influer au final sur l'action recherchée, à savoir l'investissement productif.