N'avez-vous pas cette impression de le voir un peu trop à la télé, notre ministre de la Santé ? C'est à croire qu'il aurait une «connaissance» de poids au boulevard des Martyrs pour s'attacher les services d'une caméra mobile qui le suit comme une ombre à chaque fois qu'il effectue une visite inopinée dans une quelconque structure sanitaire pour y mettre de l'ordre, sachant que de toute façon il y a toujours quelque part un ordre à rétablir… On plaisante bien sûr, mais les boutades dans notre pays ne sont, hélas, jamais le produit d'une imagination fertile qui ne colle pas à la réalité. La preuve : alors qu'une instruction ferme aurait été donnée pour limiter au strict minimum, voire à l'essentiel de l'essentiel, la couverture médiatique au JT de 20h des membres du gouvernement, Ould Abbès se permet le luxe non seulement d'avoir régulièrement sa part d'images, mais d'être filmé même quand il pique ses colères en public. Son «coup de gueule» en direct enregistré au début de cette semaine pour admonester une responsable d'un établissement médical, s'il a dû choquer de nombreux téléspectateurs non habitués à ce genre de spectacle, conforte une fois de plus l'idée du jeu malsain pratiqué par l'Unique qui ne va malheureusement pas dans le sens de la recherche de la vérité via une information complète et objective. Que s'est-il réellement passé pour que le représentant de l'Etat s'emporte de la sorte et surtout réprimande aussi violemment une fonctionnaire de la santé, visiblement déstabilisée par cette réaction que la caméra a fait apparaître, sans aucune forme de procès, comme coupable d'un crime de lèse-majesté, dont on ne connaîtra peut-être jamais la nature ? Jugée, condamnée et livrée en pâture aux téléspectateurs dans un face-à-face médiatique servi sur un plateau d'argent à l'autorité gouvernementale, voilà la nouvelle méthode d'expression en vogue sur la chaîne nationale, qui pense sûrement que l'information grand public passe nécessairement par le petit détail qui fait scandale. Sauf que lorsque ce détail ne sert que d'écran de fumée à la problématique de la communication télévisuelle, cela devient trop sérieux pour rester indifférent. Et si cette bonne dame, dont personne ne met en doute la respectabilité ni les compétences professionnelles, était au contraire victime d'une pulsion coléreuse douteuse de la part d'un officiel qui sait saisir l'instant fatidique pour manipuler l'acte communicationnel dans le but évident de soigner l'image d'un ministre qui travaille et qui donc ne fait pas des actions sur le terrain juste pour la gloriole ? Pour le savoir, il aurait fallu que la caméra de l'Unique fasse correctement son job en s'adressant à la partie adverse, autrement dit en sollicitant l'avis de celle qui n'aura été finalement qu'un élément de décor pour une mise en scène grotesque et qui respire un air déjà vu de manipulation. En choisissant sa cible pour émouvoir le public et tenter de rehausser la personnalité d'un membre du gouvernement qui a l'obligation de la retenue médiatique, à plus forte raison quand il s'agit du petit écran, la Télévision algérienne démontre au grand jour que l'objectivité dans la diffusion de l'info est loin d'être son credo. Cette histoire de remontrance ministérielle, livrée en direct au milieu d'un JT qui ne fait jamais de vague, illustre parfaitement le soupçon de tendance à la désinformation qui s'installe petit à petit et qui risque de faire beaucoup de dégâts à la crédibilité de la boîte s'il n'est pas maîtrisé à temps. Au demeurant, avec toujours Ould Abbès, on a eu droit, dans la même semaine, à un cinglant revers de la position du gouvernement concernant les revendications salariales des médecins et du personnel de la santé. Pour le ministre, ces revendications, qui avaient fait l'objet il n'y a pas longtemps de grèves et de bastonnades, sont aujourd'hui tout à fait légitimes, puisque les revalorisations de salaires sont étudiées au plus haut niveau de l'Etat. Chargé de porter la bonne parole à un corps médical qui a subi les pires vexations de la part des pouvoirs publics, Ould Abbès n'a pas fait dans la nuance pour déjuger un gouvernement qui tenait un discours diamétralement opposé face à la détermination des médecins qui réclamaient un peu plus de considération. Si une issue favorable pointe aujourd'hui, elle ne peut être que le résultat d'une très longue mobilisation, mais dans l'absolu, on serait curieux de savoir comment Ouyahia, en tant que chef de l'Exécutif, comptera apprécier cette nouvelle sortie de son ministre ? Là encore, on ne préjuge de rien, sachant à l'avance que l'Unique ne fera jamais l'effort d'aller compléter l'information en prenant le soin élémentaire de diversifier ses sources. Cela dit, il faut quand même savoir que ce ne sont pas les bons journalistes qui manquent à l'Unique. C'est plutôt le système en place qui rend inopérantes leurs compétences.