Il a fallu 28 ans pour que le gouvernement algérien décide de se doter d'une loi de règlement budgétaire, la seule capable de contrôler les dépenses décidées chaque année par la loi de finances et la loi de finances complémentaire. La dernière loi de règlement budgétaire remonte à 1982. Pendant toute cette période, l'argent public était dépensé sans qu'une évaluation précise soit faite de son utilisation. Le gouvernement et le Parlement savaient bien qu'ils violaient ouvertement la Constitution. L'article 160 de la loi fondamentale du pays stipule dans son article 160 que «le gouvernement rend compte, à chaque chambre du Parlement, de l'utilisation des crédits budgétaires qu'elle lui a votés pour chaque exercice budgétaire. L'exercice est clos en ce qui concerne le Parlement par le vote par chacune des chambres, d'une loi portant règlement budgétaire pour l'exercice considéré.» Le gouvernement, qui a multiplié la production de loi de finances complémentaire, un signe de non-maîtrise de la prévision budgétaire, a complètement ignoré cette obligation constitutionnelle de «rendre compte» aux «représentants» du peuple. L'Exécutif n'a même pas cherché à sauver les apparences. A quand une expertise ? Mardi dernier, le Conseil des ministres a approuvé le projet de loi portant règlement budgétaire de l'exercice 2008. Aucune explication n'a été donnée sur les raisons d'avoir choisi uniquement l'exercice 2008. Pourquoi pas celui de 2009 ou celui de 2004 ?! «Une instance ad hoc a été installée au niveau du ministère des Finances pour l'élaboration des lois de règlement du budget depuis 1982. Les lois de règlement budgétaire des exercices 2006 et 2007 ont déjà été élaborées», a déclaré la semaine écoulée Karim Djoudi, ministre des Finances. Alors pourquoi les lois de 2006 et 2007, déjà «élaborées», n'ont pas été présentées en Conseil des ministres ? La Cour des comptes, qui est, semble-t-il, réactivée, a donné son «appréciation» sur le projet de loi de règlement budgétaire de 2008. «En recette, l'exercice budgétaire de l'année 2008 a réalisé 104% des objectifs arrêtés grâce à une excellente collecte de la fiscalité ordinaire. En dépenses, le budget a connu une exécution de 80%, du fait des délais enregistrés dans la maturation de certains projets d'équipements», est-il relevé dans le communiqué du Conseil des ministres. Cette première évaluation positive faite par le gouvernement et avalisée par la présidence de la République donne déjà un aperçu sur ce que sera la suite des «débats». Le dossier qui sera soumis au Parlement comporte aussi un récapitulatif des exercices budgétaires sur la période de 1980 à 2007. Le ministère des Finances a réussi donc cette prouesse de «ramasser» en quelques pages les dépenses, des milliers de milliards de dinars, de 27 ans ! S'il est vrai qu'il y a une volonté de rattraper du retard, cela ne sera recevable et crédible que si les pouvoirs publics fournissent, dans la transparence totale, la loi de règlement budgétaire de chaque exercice, de chaque année, une à une. Des textes à faire analyser en détail par des experts indépendants qui pourront être sollicités par les parlementaires qui ne sont pas suffisamment outillés pour passer en revue des résultats comptables et détecter d'éventuels trous. La Politique de l'autruche C'est le seul moyen de contrôler assez efficacement les affectations budgétaires ordonnées par les lois de finances. Comme il s'agit d'argent public, le contribuable a droit d'avoir accès à la lecture de ces textes. Et rien n'empêche le Parlement, représentation nationale, d'inviter le public aux débats relatifs au contrôle des dépenses, de publier les minutes sur Internet et d'associer les magistrats de la Cour des comptes à toutes les procédures. Le Parlement, qui a encore des prérogatives qu'il refuse d'utiliser, a le droit d'engager des commissions d'enquête en cas de failles ou de dépenses injustifiées. «Chacune des deux chambres du Parlement peut, dans le cadre de ses prérogatives, instituer à tout moment des commissions d'enquête sur des affaires d'intérêt général», est-il stipulé dans l'article 161 de la Constitution. Le président de l'APN, Abdelaziz Ziari, fait semblant de ne pas avoir vu cette disposition qui ne peut être bloquée par aucun mécanisme juridique ni aucune appréciation politique à supposer que la Constitution soit au-dessus de tous. Or, Abdelaziz Ziari, qui agit comme s'il était un membre de l'Exécutif et qui semble avoir «une idée» bien précise sur la notion «d'intérêt général», a refusé la mise sur pied d'une commission parlementaire sur la corruption. «L'APN ne peut pas mettre en place une commission parlementaire d'enquête sur la corruption, car la lutte contre ce phénomène n'est pas la mission d'une Assemblée nationale. La commission d'enquête sur la corruption est quelque chose de très sérieux», a-t-il déclaré il y a une semaine à la radio. L'Assemblée nationale est-elle «sérieuse» ? Cette Assemblée a accepté que le gouvernement ne présente pas de bilans pendant des années et a fermé les yeux sur le fait que ce même gouvernement se soustrait à l'obligation de présenter sa politique générale devant les députés. L'audition présidentielle des ministres ne peut pas combler cette carence surtout que ces auditions se sont transformées en simples séances d'autoglorification. Aussi, il y a des craintes que les débats sur la loi de règlement budgétaire soit expédiés alors que l'enjeu tant économique que politique est de taille : comment tracer, contrôler et vérifier l'utilisation de 286 milliards de dollars retenus pour les programmes publics de développement réalisables sur cinq ans ? Aucun bilan détaillé et ouvert n'a été établi par les autorités sur les plans de relance et de consolidation de la croissance appliqués entre 2000 et 2007. La gestion du fonds de régulation des recettes, estimé à 40 milliards de dollars, est, elle, un autre problème. Si une partie de ce fonds, qui prend en charge le différentiel entre le prix réel du baril de pétrole et le prix fixé dans la loi de finances, est absorbée par le financement du déficit budgétaire de l'Etat, l'autre partie a une destination encore inconnue.