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Développement humain : La grande confusion
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Publié dans El Watan le 04 - 10 - 2010

Le capital humain constitue la source essentielle et intarissable d'un développement diversifié et durable. Nous avons là une des rares propositions qui fait l'unanimité. Il n'y a pas un analyste ou un politicien qui remette en cause publiquement cette hypothèse, tant validée. Mais l'opérationnalisation de cette représentation pose, parfois, problème aux dirigeants. Comment créer un capital humain de qualité mondiale dans un contexte de globalisation et surtout de grande mobilité internationale de la matière grise ? Comment gérer les employés du savoir pour prospérer et améliorer sans cesse sa compétitivité ? Nous sommes là au cœur de la problématique des évolutions qualitatives sociales. Nous allons évoquer quelques pistes et ébaucher quelques alternatives.
Les origines de la confusion
L'importance de la qualité du capital humain est si évidente et si banale que beaucoup de conseillers et d'analystes évitent de la rappeler. Ce faisant, souvent ils induisent involontairement en erreur les décideurs politiques. Prenons deux exemples pour illustrer ce point de vue que nous prenons très au sérieux. Beaucoup de nos économistes qui ont analysé l'expérience coréenne concluent que sa réussite est surtout due à sa stratégie de substitution aux importations, dans un premier temps, et par la suite à ses efforts d'exportation. Les politiques de crédits, de taux de change et le reste ont été orientées pour faciliter le repavement des dettes extérieures des entreprises et par la suite conquérir des marchés étrangers. Beaucoup de décideurs concluraient hâtivement qu'il serait facile donc de mimer cette stratégie.
L'économiste qui prodigue ces analyses peut bien être au courant que la qualité des universités coréennes, leurs villages technologiques, leurs centres de recherche et développement, la relation université entreprise, leur système éducatif sont la source essentielle de leur puissance économique. Le message transmis est vide de sens et source d'erreur pour les responsables. Pour ces derniers, ces détails non mentionnés par les experts ne pèsent pas lourds face aux stratégies macroéconomiques. Un second exemple concerne la Chine. Nos analystes ne cessent de nous transmettre une image déformée ou au mieux tronquée de l'économie chinoise. A les écouter, la source de la réussite chinoise réside dans ses coûts salariaux assez bas et un environnement des affaires qui attire les IDE productifs.
Encore une fois, on néglige le capital humain dans ces réflexions. On oublie que depuis les années quatre-vingt, la Chine a créé des centaines d'universités, d'instituts, de centre de recherches et développement jumelés avec les meilleures institutions mondiales. Elle consacre plus de 2% de son PIB à améliorer la qualité de son enseignement supérieur et sa recherche scientifique, si bien que les analystes pronostiquent que dans 25 ans 30% des meilleures universités mondiales seront chinoises. Après qualification des ressources humaines, la décentralisation économique chinoise (plans de développement régionaux et communaux) commence à porter ses fruits. Il y a une abondance d'exemples. Les pays de l'Est qui ont réalisé les meilleures transitions avaient privilégié le développement qualitatif humain dans leur ordonnancement des étapes de la transition.
Mais les analystes évoquent rarement ces décisions qui ont radicalement transformé le paysage de ces pays. Elles constituent l'essence de la réussite des nations. Et pourtant lorsqu'on analyse ou on conseille les décideurs, on oublie souvent de leur dire que «le facteur clé de succès numéro un des réussites des modèles de croissance demeure le développement qualitatif des ressources humaines : toutes les politiques macroéconomiques échouent sans cette condition».
Ces péchés par omission ont des conséquences dramatiques sur les choix des pays en voie de développement. Parfois, les décideurs sont emmenés à privilégier des pistes peu fructueuses. L'Algérie et l'Egypte investissent une fraction importante de leur revenu national dans l'éducation. Mais l'aspect qualitatif est occulté. On opte pour un enseignement supérieur de masse, mais de piètre qualité. Dans un contexte de compétition mondiale, la qualité prime. Il vaudrait mieux bien former 10 ingénieurs qui innovent, créent des entreprises, exportent que 100 peu compétents qui deviendront des cas sociaux destinés surtout au chômage. Il faut privilégier la qualité.
S'améliorer, que faire ?
Les pays qui occultent l'amélioration qualitative du capital humain se condamnent à des échecs programmés. On peut continuer à créer des édifices, acheter des équipements et continuer à faire l'amalgame entre la matière grise et le béton, rien n'y fait. On se condamne à l'échec. Lors de la présentation du dernier plan de soutien à la croissance, totalisant, 286 milliards de dollars, la presse nationale, publique et privée, a largement commenté que 45% des dépenses seront consacrées au développement humain. On fait toujours la confusion entre matière grise et béton. Très peu de dispositions concernent l'amélioration qualitative des cerveaux algériens. La construction de nouvelles infrastructures n'a rien à voir avec le développement qualitatif des cerveaux humains. Il ne faut pas être un génie pour prévoir que notre position compétitive mondiale ira en se dégradant, tout en construisant plus d'infrastructures pédagogiques et en continuant à dégrader notre enseignement et notre capacité de recherche et développement. Et pourtant ! Nous avons les ressources pour y remédier.
Dès lors qu'on estime que c'est la qualité des cerveaux d'une nation qui constitue l'essence de sa puissance et que la sociologie politique du pays est propice au développement d'une des élites intellectuelles, il ne fait aucun doute que les décideurs politiques vont mobiliser le maximum de ressources pour rehausser leur niveau. Deux pistes sont à privilégier dans ce qui constitue être le management des employés du savoir :
1. La valorisation économique et sociale
2. Le positionnement international.
Le vécu ordinaire de l'élite scientifique d'un pays est révélateur de la place qui leur est réservée par la sociologie politique du pays. Leur quotidien est généralement source de représentation inspirée des arts et de la culture du pays. Que valorise- t-on socialement dans le pays ? Quels sont les vecteurs de succès ? Et en fait, c'est quoi un succès au sein d'une formation économique et sociale ? Les théories des comportements humains les plus évoluées expliquent que les être humains dérivent leurs objectifs et attitudes en fonction des modes de fonctionnement de leur environnement. Ce qui implique que dans un pays où l'élite scientifique est peu considérée et sous-payée, la population abandonne la science, la recherche et la technologie au profit d'activités plus lucratives et plus commodes. Le pays perdrait alors lentement mais sûrement la bataille de la mondialisation.
Le second élément a trait à la compétition mondiale pour attirer les cerveaux. La matière grise est une denrée qui s'internationalise de plus en plus. Certes, contrairement aux marchandises, la matière grise donne au pays natal une plus value de commodité. Une différence de salaire de 50% n'induirait pas un ingénieur coréen à opter pour la Grande- Bretagne. Mais un écart de 500% le motivera grandement à changer de pays. En ce sens, les salaires des élites algériennes sont dans la zone rouge. Un professeur chercheur universitaire est rémunéré à peu près 800 euros en Algérie, 1400 en Mauritanie et entre 2500 Et 3500 en Tunisie et au Maroc. Même avec les améliorations prévues après 2011, nous serons loin d'être compétitifs. Il faut donc s'attendre à une détérioration de notre classement universitaire mondial. Mais la rémunération n'est qu'un volet. Sans un management professionnel de notre système de formation, les hausses de salaire produiront des améliorations dérisoires. Mais le management des institutions de formation est une autre dimension complexe de l'équation du développement du capital humain.
Conclusion :
Lorsque les experts débattent des questions économiques, ils n'ont pas besoin de se rappeler les hypothèses les plus évidentes de leurs modèles. Ils les ont en filigrane. Mais beaucoup commettent l'erreur de considérer que ces certitudes sont évidentes pour les décideurs politiques. Leurs recommandations ne les rappellent pas. Ainsi, lorsqu'on injecte des dizaines de milliards de dollars par an pour moderniser les infrastructures, alors que les cerveaux accusent de sérieux retards, c'est parce que les analystes n'ont peut-être pas insisté suffisamment sur la primauté de l'intelligence humaine sur les infrastructures et les usines. La dépense publique ne constitue pas une réforme. Hiérarchiser les priorités permet de les rappeler et les traduire concrètement par des décisions opérationnelles.


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