Si le petit Larousse illustré définit le verbe penser comme une faculté de concevoir des notions, des opinions par l'activité de l'intelligence, par réflexion, en fonction d'une fin déterminée, la liberté de penser fait donc partie incontournable des libertés fondamentales protégées tant au niveaux constitutionnel que du droit international des droits de l'homme. Elle ne peut recevoir d'autres limites que celles légales et nécessaires pour le maintien de l'ordre public. Distinguer la liberté de penser et la liberté de pensée nous renseigne que la première consiste donc en le droit d'exprimer sa pensée, de lui donner la publicité et de chercher à faire partager sa pensée par les autres (on pense donc pour tous). La liberté de penser comme possibilité est donnée, la liberté de pensée, de penser tout haut est une conquête. La liberté de penser a-t-elle pour caractéristique essentielle de pouvoir, si on le veut, penser n'importe quoi ? Elle serait absolue. Penser exige donc une activité intellectuelle par idées générales, et de ce fait elle implique le devoir de penser pour tous. C'est la mission essentielle qui échoit aux chercheurs universitaires en particulier. En quoi consiste essentiellement la liberté de penser ? La liberté de s'orienter vers la vérité ? La liberté d'affirmer au risque de se tromper ? La remise en cause, en cas d'erreur, dans ces cas là est une vertu de la liberté de pensée avec son corollaire, l'obligation de respect. La liberté de penser n'est donc que la liberté d'agir dans un espace culturel et scientifique libéré de toute contrainte, tout en ayant à l'esprit l'intérêt suprême recherché à travers ses actes qui ne doivent pas porter atteinte à la légitimité du produit scientifique obtenu (comme l'affirme D. Bonald). Ne pas oublier que l'essence de la pensée c'est la liberté et donc la liberté de dire. Serait-ce une pensée de celui qui échappe à la crédulité de l'opinion par une conversion : il se détourne du sensible et se tourne vers l'intelligible ? (voir Platon Le soleil la ligne la caverne ). Là réside notre raison d'être en tant qu'acteurs actifs dans la société scientifique. La liberté de pensée est quelque chose de plus rare qu'il n'y paraisse. Elle est pourtant une composante incontournable de la créativité. Il y a toujours eu des personnes qui ont pensé les premières à certaines choses innovantes. Ce peut être chacun d'entre nous. La liberté de penser permet en conséquence un cheminement souple mais rigoureux, lucide et sensible, libre des dogmes, sans pour autant passer à côté de la richesse de l'esprit quelle véhicule. Certainement avons-nous chacun des raisons pertinentes qui appellent réflexion et remise en cause. Nous avançons tous grâce à ces remises en cause qui ne sont possibles que lorsque nous sommes libres des dogmes autant que des modes. La richesse de la pensée naît de la liberté et de la communication (Thierry Tournebise). I. Le droit à la liberté de penser et ses limites en droit international La Déclaration universelle des droits de l'homme, que la communauté internationale a célébré le demi-siècle de son adoption par la conscience collective de la communauté internationale dans son ensemble le 10 décembre 2008, consolide le droit de toute personne à la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 18). Ce droit implique le droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées (scientifiques en ce qui nous concerne) par quelque moyen d'expression que ce soit (article 19 commun à la Déclaration et au Pacte international de 1966 relatif aux droit civils et politiques, ratifié par notre pays depuis 1989 et publié au JO en 1997). Cette approche de définition est consacrée par exemple par l'article 9.2 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Conformément à l'article 52.3 de la Charte (portée des droits garantis), la liberté énoncée ici ne peut recevoir d'autres limites que celles prévues par la CDH). La communauté internationale a toutefois soumis l'exercice de ces libertés à la nécessité, voire une obligation juridique, de comportement de devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales, qui peut être soumis à des restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires, à savoir : a) - au respect des droits ou de la réputation d'autrui ; b)- à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publique. II. La liberté de penser comme principe constitutionnel Allant dans la logique de cette approche, et conformément au principe de la hiérarchie des normes en droit (confirmée par l'article 132 de la Constitution algérienne de 1996), tous les citoyens sont égaux devant la loi, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d'opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale (article 29 de la Constitution algérienne du 28 novembre 1996). La liberté de penser dans la recherche scientifique, en particulier, doit être entendue comme une obligation qui incombe aux institutions de la République qui ont constitutionnellement pour finalité d'assurer l'égalité en droits et devoirs de tous les citoyens et citoyennes en supprimant les obstacles qui entravent l'épanouissement de la personne humaine et empêchent la participation effective de tous à la vie politique, économique, sociale et culturelle (article 32 de la Constitution algérienne). Ces libertés, qualifiées de fondamentales par le constituant algérien, constituent le patrimoine commun de tous les Algériens et Algériennes, qu'ils ont le devoir de transmettre de génération en génération pour conserver son intégrité et son inviolabilité (Article 32§2 de la Constitution algérienne). Partant du principe constitutionnel que la liberté de conscience et la liberté d'opinion sont inviolables (article 36 de la Constitution), ceci implique illico presto que les infractions commises à l'encontre des droits et libertés ainsi que les atteintes physiques ou morales à l'intégrité de l'être humain sont réprimées par la loi (article 35 de la Constitution). Conséquente à ce droit de penser, la liberté de création intellectuelle, artistique et scientifique est garantie par la loi fondamentale de notre pays (article 38). Toute mise sous séquestre de toute publication, enregistrement ou tout autre moyen de communication et d'information ne pourra constitutionnellement se faire qu'en vertu d'un mandat judiciaire dans un Etat démocratique de droit respectueux de la séparation des pouvoirs. Si la liberté d'expression, au sens penser librement, est garantie juridiquement (article 41 de la Constitution), l'un des enjeux modernes du respect de la liberté de penser réside, tant au niveau international que national, dans la montée de l'intolérance sous toutes ses formes. III. De la relation d'interaction entre liberté de penser et droit à la recherche Conformément aux dispositions de l'article 38 de la loi du 4 avril 1999, le décret exécutif n° 03-279 du 23 du 23 août 2003, fixant les missions et les règles particulières d'organisation et de fonctionnement de l'université. JO n° 51 du 24 août 2003), l'université est un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière (art. 2). Dans le cadre des missions de service public de l'enseignement supérieur, l'université assure des missions de formation supérieure et des missions de recherche scientifique et de développement technologique (art. 4). Dans le domaine de la formation supérieure les missions fondamentales de l'université sont notamment : • la formation des cadres nécessaires au développement économique, social et culturel du pays ; • l'initiation des étudiants aux méthodes de la recherche et la promotion de la formation par et pour la recherche ; • la contribution à la production et à la diffusion généralisée du savoir et des connaissances, à leur acquisition et leur développement ; • la participation à la formation continue (art. 5). Dans le domaine de la recherche scientifique et du développement technologique les missions fondamentales de l'université sont notamment : • la contribution à l'effort national de recherche scientifique et de développement technologique ; • la promotion et la diffusion de la culture nationale ; • la participation au renforcement du potentiel scientifique national ; • la valorisation des résultats de la recherche et la diffusion de l'information scientifique et technique ; • la participation au sein de la communauté scientifique et culturelle internationale à l'échange des connaissances et à leur enrichissement (art. 6). La liberté de penser dans le domaine qui nous concerne (la recherche scientifique) vise essentiellement à mettre en valeur la richesse de l'esprit, seul capital sans cesse en constance remise en cause par débat contradictoire incontournable. Sans liberté de penser, notre raison d'être sera indubitablement remise en cause pour enrichissement sans cause, alors que le sens de notre environnement scientifique appelle indubitablement à innover et mieux adapter et changer en même temps dans l'intérêt de la finalité attendue et partageable. Notre rencontre, qui se situe dans l'objet qui vise à poser un certain nombre de questions sur notre rôle attendu par la communauté, est prometteuse à plus d'un titre. Sur le plan de l'éthique, nous somme interpellés plus que jamais sur le sens à donner à nos actes et notre rôle en tant qu'acteurs au cœur de la cible de la recherche attendue par la communauté tant nationale qu'internationale, à travers les relations horizontales et verticales qui nous lient aux autre centres de rayonnement du savoir, à l'ère de la mondialisation. Sur le plan de la déontologie, nous devons impérativement nous questionner sur la validité de nos actes et comportement face aux autres composantes de la communauté universitaire (personnel administratif et notamment les étudiants). Cette rétroprojection nous guidera sans aucun doute vers des rives propres et protégées de tout tsunami de comportement négatif coupable. Sur le plans de la préservation de notre milieu (notre espace vital) naturel de vie et d'activité permanente, la préservation de l'université des maux et autres dérives contagieuses contribuera certainement à mieux former les générations capables de penser librement dans l'intérêt de la communauté et de l'humanité dans sa globalité, sans discrimination qualifiable aucune (ni positive ni négative, tout simplement active). Si la liberté de penser est loin d'être celle qui consiste à dire n'importe quoi et n'importe où, cela signifie à notre sens l'obligation de réserve lorsque nos écrits, nos pensées ou propos peuvent remettre en cause la raison d'être de l'universitaire, qui est et demeure la consécration des valeurs humaines universelles pour le bien-être de chacun et de tous. Si l'une des missions fondamentales de l'université est la contribution à l'effort national de recherche scientifique et de développement technologique, nous devons réfléchir aux voies et moyens qui permettent d'engager mieux et valablement notre potentiel scientifique dans le sens de l'orientation vers le développement scientifique et technologique, seule voie salvatrice pour confirmer notre existence active dans et à travers la richesse de l'esprit et de l'intelligence humaine. Cette orientation est dictée par la nécessité, voire l'obligation de résultats, attendue pour répondre aux défis qui ne cessent de se reproduire sur les menaces qui guettent l'existence même de toute vie sur la planète, trop agressée par les crimes de l'humain contre sa propre survie. Les épizooties en développement reproductif, à l'instar des maladies conséquentes au VIH/sida, Creutzfeldt Jacob, Parkinson, cancer, ou la vache folle, fièvre aphteuse, jusqu'à la grippe aviaire, par Ibola interposé, sont autant de défis qui attendent la communauté des chercheurs pour qu'elle réponde aux attentes qui menacent la vie. Ces menaces ne font qu'amplifier les dérives de l'humain qui ne respecte plus aucune référence morale ni éthique. La promotion et la diffusion de la culture de la tolérance sont la seule motivation, à notre sens, qui doit orienter la pensée et les modes de penser de notre communauté universitaire. Le parachèvement de cette démarche mènera sans aucun doute vers des destinations scientifiques mieux à répondre aux défis de la concurrence, aujourd'hui déloyale et inéquitable, qui gouvernent les relations entre le Nord et le Sud, essentiellement dans le domaine de la recherche créative. La participation au renforcement du potentiel scientifique national est un autre volet lié au droit de penser de l'universitaire, en général et du chercheur, en particulier. Sans ce renforcement par partenariat interposé, aucune chance n'est attendue pour comprendre le sens du développement et de l'avancée technologique, scientifique, au sens large du terme, que nous envions aux autres institutions universitaires que nous qualifions de développées et de technologiquement correctes en temps réel. Penser librement pour la recherche et pour le développement durable est une obligation qui nous incombe en tant qu'acteurs actifs de la communauté universitaire. La valorisation des résultats de la recherche et la diffusion de l'information scientifique et technique consistent à exploiter librement sa pensée dans et pour le bien-être de la communauté nationale dans son ensemble dans le respect de l'éthique et de la déontologie que nous devons impérativement et indubitablement mettre en œuvre, en nous remettant en question chaque fois que le besoin et l'intérêt da la communauté l'exigent. La participation au sein de la communauté scientifique et culturelle internationale à l'échange des connaissances et à leur enrichissement contribuera, si nous arrivons à nous préparer à la confrontation et à l'échange pacifique des idées et des pensées, à mettre en marche un réseau interactif d'échange et de partenariat mutuellement bénéfique, tout en gardant la richesse de l'esprit et de la diversité culturelle, en tant que fonds et patrimoine commun de l'humanité dans une perspective du développement durable. La pensée libre et la liberté de penser dans la recherche scientifique sont et demeurent guidées par des principes de déontologie et d'éthique universitaire, seuls valeurs humaines respectables de l'être et de son environnement. En guise de premiers éléments de conclusion A travers ces premiers éléments de réflexion, liés aux droits et obligations qui incombent à la communauté universitaire à l'ère du village planétaire et d'avancée unilatérales de l'unicité de pensées dangereuses pour le développement social et la richesse de la diversité culturelle, nous constatons que : • le respect des franchises universitaires, qui doit être préservé des aléas de conjoncture et autres situations d'urgence, ne doit pas céder à la tentation de diaboliser toute pensée éclairée et positivement correcte pour le bien-fondée du droit à libérer la recherche des entraves bureaucratiques et autres interdits infondés juridiquement parlant ; • la liberté de penser à laquelle nous appelons est celle qui contribuera sans aucun doute à opérer l'arrimage de notre institution aux nouvelles donnes internationales dans un programme de recherche (scientifique, technologique, humaine, économique et culturelle) pour ]a perspective 2010, attendue depuis la réforme de la loi d'orientation de l'enseignement supérieur depuis l'année dernière (2008). Cet arrimage aux nouvelles perspectives mondiales aura pour but la réception de nouvelles technologies de recherche présentes aujourd'hui dans les systèmes d'enseignement supérieur du monde avec l'émergence de nouvelles méthodes de relations pédagogiques multidimensionnelles par NTIC interposées et l'avènement de know-how et de société de l'informatique qui vient de voir l'intégration des pays du tiers-monde récemment en Tunisie. Cet article est une mise à jour de la Communication présentée aux journées d'étude sur « L'éthique, la déontologie et les franchises universitaires », organisées à l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou les 13 et 14 décembre 2005 L'auteur est Professeur de droit international- Faculté de droit, université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou