Ils sont partout en milieu urbain, rural et dans les banlieues. Ce ne sont plus seulement ceux parqués dans les bidonvilles, mais il y a aussi les habitants des cités des classes moyennes. Cadres supérieurs, moyens, architectes, ingénieurs, médecins, cadres d'exécution, simples travailleurs, tous sont victimes des départs volontaires induits par la compression des effectifs ou la dissolution des entreprises. Ces dernières années, leur nombre a augmenté. Ils avaient commencé à faire la manche dans la discrétion auprès d'abord des proches. Au fil des mois, ils ont étendu leur rayon d'action dans la mendicité aux amis, aux voisins et à tous ceux qui ont pour eux un regard de sympathie, ceux qui les avaient connus du temps où ils étaient cadres gestionnaires roulant carrosse. Aujourd'hui, ils forment l'image d'une région que l'on qualifiait durant les années 1980 jusqu'au début des années 1990 de la capitale du fer et de l'acier, important pôle de pétrochimie, de construction et de l'habitat. Tous sont mis sur l'orbite pauvreté et désespèrent d'en sortir. A chaque événement religieux comme le Ramadhan et l'Aïd, ils s'enferment ou rasent les murs. Ils voient leurs enfants dépérir, le ventre tenaillé par la faim ou nourris seulement d'un verre de lait à la lumière d'une chandelle, l'électricité ayant été depuis longtemps coupé. Tout autour de cette catégorie de citoyens devenus pauvre, gravitent, de fondrière en fondrière, les satellites de la misère : des baraques où s'entassent par centaines des paysans venus des régions limitrophes en rupture de terres trop sèches. Derniére adresse : les dépotoires La pauvreté à Annaba, ce sont aussi ces hommes et ces femmes qui n'éprouvent plus de gêne à fréquenter le dépotoir de chaque marché. Chacun semble avoir ses habitudes. De par les importantes quantités de fruits et légumes rabougris ou pourris qui y sont jetées, le dépotoir du marché Souk Ellil est particulièrement prisé. On les trouve également sur la place du Champ de mars (cité FLN), un quartier hier résidentiel devenu une tumeur maligne au beau milieu du centre-ville de la commune chef-lieu de wilaya. Le wali, son chef de daïra, le P/APW et le P/APC n'y habitent plus. Particulièrement ces deux derniers des enfants de la ville connaissant mieux que quiconque ce que fut ce lieu à l'époque coloniale avec « ses chants de mars ». Aujourd'hui c'est un immense dépotoir à ciel ouvert fréquenté par les pauvres, les drogués et les délinquants. Des odeurs pestilentielles s'en dégagent. Seuls le directeur de l'exécutif de la wilaya et les élus de la commune ne les sentent pas. S'il décourage les passants à fréquenter le voisinage, ce dépotoir joue le rôle de ruche, à la différence qu'on n'y collecte pas du miel mais des denrées alimentaires (viandes, fromages, légumes secs, fruits et légumes) gâtées. « Mon mari est décédé. J'ai quatre enfants à nourrir. Je préfère m'abaisser dans le tas d'ordure des fruits et légumes pour récupérer se qui pourrait l'être que de tendre la main. La mendicité ne paie plus, car il y a trop de faux mendiants et de faux pauvres. Quant à l'assistance sociale vaut mieux ne pas en parler. Elle profite à ceux qui n'en ont pas besoin », considère Mme Yamina, la quarantaine largement dépassée. Si dans les différentes communes, les enfants de la rue sont de plus en plus nombreux, ils sont des dizaines à se rendre à l'immense dépotoir de Berka Zerga. De 6 à 18 ans, en guenilles, le teint toujours blafard, masqué d'une couche de crasse, les pieds nus, ces enfants semblent être nés en ce lieu. Ils sont devenus des spécialistes de la fouille et de l'identification des camions en provenance des quartiers huppés. La pauvreté, c'est aussi l'exploitation de l'homme par l'homme. Que ce soit à Oued Zied, à El Hadjar, à Meboudja ou à Berrahal, il est impossible de ne pas voir en fin d'après-midi des enfants de 13 à 14 ans sortir de ce qui semble être des taupières. Ils sont employés par des limonadiers, des tapissiers, des menuisiers, des cimentiers... tous activant dans la clandestinité. On les retrouve aussi dans l'agriculture, notamment lors des campagnes de culture industrielle (tomate,tabac). En été, ce sont les salles des fêtes qui les emploient en contrepartie d'un montant très dérisoire et des restes du festins, ils triment durant plusieurs heures. Les magasins d'habillement les sollicitent également à 200 DA par jour pour un commerce à l'étalage à même la voie publique. Coiffeuses, couturières (pour les plus chanceuses), femme de ménage, nurses, filles de joie..., pour une « pincée » de dinars. Celles de l'assistance ont le choix : finir dans un cabaret ou faire les trottoirs du côté de l'autoroute, à Rizzi Amor ou dans un hôtel chic. Les SDF de Sidi Belaid Il n'y a pas que les sans domicile fixe (SDF) de Sidi Belaïd qui vivent quotidiennement une vie « danka ». Le centre de regroupement des SDF de Sidi Belaïd à la vieille ville Annaba est tout sauf un lieu destiné à soulager un tant soit peu la misère des quarante pensionnaires qui y sont hébergées. Ils sont là depuis des années. Malgré les pressions et les risques potentiels d'effondrement de cette bâtisse construite il y a plusieurs siècles, ces pensionnaires résistent. Ils sont restés comme pour défier ceux qui les ont parqués en ce lieu pour mieux les oublier. Peut-être pour ne pas voir leur pauvreté, leur misère, leur déchéance humaine. On se rappelle d'eux à l'occasion d'une fête religieuse ou d'une cérémonie officielle. Avant de mourir de différentes maladies en majorité pulmonaires ou à transmission hydrique, plusieurs de ces pensionnaires ont eu le temps de voir la toiture disparaître, les tuiles emportées par le vent, jamais remplacées. Au centre de Belaïd, le danger de mort est réel, le drame peut survenir à tout instant. « On n'y peut rien. Nous n'avons pas où aller. Nous avons beau alerter tous ceux parmi les bienfaiteurs qui nous rendent visitent, en vain. A elle seule l'association El Ihcen ne peut pas être d'un grand secours », ont affirmé les pensionnaires de ce centre. La bâtisse est une ancienne école primaire datant du début de la période coloniale. Les menus travaux, engagés par la commune pour « raccommoder » ce qui peut l'être, ont été vains. Les multiples opérations de replâtrage et de bricolage n'ont eu d'autres effets que de créer d'autres problèmes d'étanchéité. Au froid de l'hiver et l'humidité suffocante de l'été s'ajoutent les maladies à transmission hydrique et autre. Beaucoup de pensionnaires tous âges et sexes confondus s'en plaignent régulièrement. Il y a quelques années certains malades ont laissé leur vie et c'est dans le strict anonymat d'une ambulance de la Protection civile qu'on les a enterrés. D'où cette appellation sinistre de « mouroir » que les voisins attribuent à ce centre de Sidi Belaïd à chaque fois que quelqu'un s'y intéresse. « Ah ! vous voulez parler du mouroir de Sidi Belaïd. Là où des vieilles personnes SDF s'éteignent doucement dans l'indifférence générale », répondent les voisins avec un regard coupable. Un regard parfois très significatif de cette impuissance à voir quotidiennement des êtres humains vivre dans des conditions pire que celles des animaux domestiques. Particulièrement en ce début du Ramadhan qui permet à beaucoup de se rappeler que les SDF de Sidi Belaïd existent. Ils ont besoin d'aide et également d'un geste, regard ou parole de soutien. « Parfois, nous avons l'impression d'être des pestiférés dans une société arabo-musulmane qui nous ignore et tente de se faire bonne conscience en se rappelant de nous durant le Ramadhan et autres fêtes religieuses. Il n'y a pas que l'aspect matériel auquel nous aspirons. Il y aussi cette chaleur humaine à travers un geste ou une bonne parole pour nous faire oublier notre sollicitude et aussi les longues nuits de veille à écouter les voisins vivant en famille et à les envier. » Dans le comportement des uns et des autres, l'on ne retrouve pas la grande générosité, la bonté et surtout la disponibilité de tout instant à apporter aide et assistance aux plus démunis qui caractérisaient le saint que fut Sidi Belaïd. Dirdi la généreuse Ce qui a fait dire à plusieurs pensionnaires du centre, qu'on les a mis là dans un taudis faisant fonction de centre en attendant de les jeter à la mer, car considérés comme des gêneurs. « Une réaction des autorités locales est nécessaire pour mettre un terme aux risques qu'encourent les 40 SDF hébergés au centre de Sidi Belaïd. L'état actuel de la toiture représente un danger certain pour eux. Une fois la toiture réparée, ce centre aura une plus grande capacité d'accueil qui passerait à 150, mais il n' y a pas que la toiture », a indiqué Mme Dirdi, présidente de l'association. Cette mère de famille bénévole parle des pensionnaires du centre de Sidi Belaïd comme de ses propres enfants. Femme de caractère, elle lutte au quotidien pour attendrir et sensibiliser tous ceux et celles qui peuvent apporter un plus pour soulager la misère des autres. « Ils sont beaucoup dans mon association à travailler jour et nuit pour les SDF, les familles démunies et celles dans le besoin. Nous n'avons aucun mérite et estimons que nous ne faisons pas assez pour eux », a t-elle ajouté. C'est ce combat de tout instant qui lui a permis de décrocher l'autorisation pour la mise en place d'un restaurant spécial Ramadhan. Il est destiné à servir des repas chauds sur le site même durant tout ce mois sacré de jeûne et de piété. « Si nous arrivons à trouver les aides financières nécessaires, nous étendrons notre activité sur toute l'année. Les bénévoles sont nombreux. Il s'agit d'un acte béni sur lequel insiste notre religion. Notre intention n'est pas d'imiter les fameux restos du cœur d'ailleurs mais de créer le trait d'union entre d'une part les bienfaiteurs et ceux dans le besoin. Et de l'autre, se positionner en interlocuteur crédible et fiable auprès des autorités locales et nationales », a indiqué un autre membre de cette association.