Tissus d'inepties», «propos irresponsables», «méconnaissance totale de l'histoire»… Quand l'ancien président Chadli Bendjedid se met en mode ethnolinguiste, revisite à sa convenance idéologique l'histoire plusieurs fois millénaire de son peuple, de son pays, vaut mieux en rire que s'en f…! Dans une interview accordée en 2009 à la revue japonaise The Journal Sophia Asian Studies (n°27), le président Bendjedid (1979-1992) se livre à un exercice à la limite de l'autoflagellation… identitaire: «L'amazighité ? Une sorte de tradition, de langue appartenant à quelques tribus remontant aux civilisations et cultures préislamiques (…) A ceux qui se revendiquent amazighs, je leur répond avec fierté : l'Islam nous a arabisés.» La langue amazigh, quant à elle, est «éculée, dépassée par le temps, incapable de se développer».Le docteur Kamel Bouaâmara, linguiste, enseignant de tamazight à l'université de Béjaïa, est ulcéré par les déclarations incendiaires de l'ancien président de la République : «C'est dégoûtant ! C'est le mot, surtout quand de tels propos émanent d'une personne qui a présidé aux destinées de ce pays pendant plus d'une décennie, et qui dénotent d'une ignorance totale de la composition sociologique de son peuple. Une langue «morte» signifie au sens propre qu'elle est parlée par zéro individu, or là on est en présence de millions de personnes qui parlent et pratiquent couramment cette langue et ce, à travers toute l'Afrique du Nord.» L'interview a fait le buzz sur Internet. Les propos de l'ancien président font scandale, y compris dans certains milieux réputés proches du pouvoir. Youcef Merahi, secrétaire général du Haut-Commissariat à l'amazighité, se dit «choqué» par la violence de certaines déclarations: «Quand l'ancien président de la République définit l'amazighité comme «une sorte de tradition, de langue, etc.», pour moi ce n'est plus du mépris, mais de la hogra.» «S'il s'était seulement contenté de présenter l'amazighité comme un ensemble de traditions, langue, on aurait peut être compris qu'il ait essayé de réfléchir et que dans son esprit il n'y avait pas une espèce de rejet, de dilettantisme intellectuel. Maintenant, on a tellement dit sur les amazighs : on a les rattachés à toutes les régions du monde ; on a dit qu'on était des yéménites, des moyen-orientaux, qu'on étaient asiatiques, même rattachés aux teutons germaniques, Chadli, comme beaucoup d'autres, a malheureusement oublié de nous rattacher à l'Afrique du Nord.» Tamazight, langue morte ou langue vivante ? M. Merahi ne se pose plus la question : «Jamais tamazight n'a été aussi vivante, dynamique, audacieuse. J'en veux pour preuve toutes les thèses de magistère, de doctorat qui sont soutenues chaque année. Plus de 400 licenciés en tamazight sortent chaque année des universités, et ce n'est certainement grâce à Chadli.» Des déclarations «irresponsables», d'une extrême «légèreté», juge pour sa part l'ancien délégué des archs Bélaïd Abrika, qui ne se dit pas surpris pour autant. La référence à la matrice arabo-islamique fait partie du bréviaire du «système» algérien. «L'idéologie du système en place, le discours dominant a toujours enfermé la dimension amazigh dans un carcan arabo-islamique. Rien n'a changé. C'est le discours du Mouvement national qui se perpétue à nos jours», dit-il. Bélaïd Abrika ne ménage l'ancien président de la République : «Il n'est pas seulement à côté de l'histoire, il est à contre-courant de l'histoire. Car l'Afrique du Nord est amazigh, personne ne peut le dénier aujourd'hui. La diversité et la pluralité sont une donne incontestable. Tamazight occupe une place importante, même s'il ne s'agit pas encore de celle qui lui revient de droit, mais que Chadli sache que les amazighs n'ont pas été arabisés par l'Islam. L'Islam n'a pas vocation à arabiser, c'est une religion. Qu'il sache qu'il y a une diversité culturelle, le multilinguisme, en Algérie, est une réalité et que l'arabe classique qu'il prône est une langue étrangère pour nous, les Algériens, les arabophones y compris.» Ancien détenu du Printemps berbère d'avril 1980, le député Ali Brahim qualifie de «tissu d'inepties» les déclarations de Chadli Bendjedid : «On n'en est plus à ce débat, tamazight est une langue nationale quoi qu'en dise Monsieur Chadli. Elle avance à grands pas au Maroc et finira par s'imposera au dictateur libyen (…). Lorsque Chadli déclare que les Amazighs ne sont que quelques tribus en voie de disparition, c'est un discours qui tranche totalement avec ce qu'il avait dit en 1980 – «nous sommes des amazigh arabisés par l'Islam».Il faut croire qu'entre temps, Chadli s'est découvert des racines identitaires autres.» Le député de Bouira refuse néanmoins de hurler avec les loups ; Chadli n'est qu'un pare-feu : «Chadli a été actionné pour susciter un faux débat sur des questions relativement tranchées par l'histoire et par le droit. J'ai l'impression que le système veut nous faire réagir sur tamazight pour meubler une scène politique totalement verrouillée et empêcher qu'un débat ait lieu sur les vrais problèmes du pays qui sont la corruption, les questions de développement, l'absence de démocratie. Car la vraie question d'aujourd'hui est de savoir comment se débarrasser du zaïmisme qui mine le mouvement démocratique pour créer une alternative pour le triomphe des libertés démocratiques. » Fin de citation.