Durant ces vingt années, la rédaction d'El Watan a vécu quelques histoires insolites, même croustillantes mettant en cause le plus souvent des hommes politiques et autres personnalités publiques. Il nous arrive souvent de nous remémorer ces histoires et nous gausser de la stupidité de certains hauts responsables. En voici quelques-unes. Le marchandage Lors de l'incarcération des six confrères dans ce qui est communément appelé l'affaire de Ksar El Hirane, la rédaction d'El Watan a enregistré un élan de solidarité extraordinaire de la part des citoyennes et des citoyens de toutes conditions. Le journal a récolté des dizaines de milliers de signatures dans une pétition, demandant la libération immédiate de tous les détenus. La mobilisation a été très forte, y compris sur le plan international. Après quelques jours, la rédaction a reçu la visite d'une «personnalité proche du pouvoir». Certains confrères croyaient qu'il s'agissait d'un geste de solidarité avec le journal. Il était en fait un «émissaire» chargé de négocier la fin de la pétition en échange de la libération de certains des détenus. Il lui sera demandé gentiment de quitter les lieux. Huit jours après, les six journalistes d'El Watan seront libérés. L'émissaire en question a fait carrière dans la diplomatie. Bien entendu, il se reconnaîtra. Le ministre et Internet Dès la mise en service d'internet en Algérie, El Watan s'est rapidement abonné auprès du Cerist, pour acquérir cet extraordinaire outil d'information et de communication. Au cours d'une visite d'un des membres du gouvernement de Mokdad Sifi, Omar Belhouchet, le directeur du journal, fera part à son hôte de cette nouvelle acquisition. Soudain, le ministre s'agite et regarde par-dessus son épaule. Il demande si des journalistes d'autres organes de presse sont présents et s'ils ont entendu l'exposé de Belhouchet. Ce dernier lui demande le motif de son inquiétude . La réponse du ministre : il pensait que le journal avait installé un système de piratage d'internet, selon son opinion, ce service ne pouvant pas exister encore en Algérie. Le ministre s'est ensuite aperçu qu'il avait commis une grosse bourde grâce aux explications qui lui ont été fournies, El Watan ne faisait jamais dans l'illégalité. Le ministre en question deviendra notre farouche adversaire. Lui aussi terminera sa carrière dans la diplomatie. Décidément ! La loubia d'El Mauro Durant les premières années d'El Watan, nous avions souvent la nostalgie de la rue Tanger et surtout de la loubia d'El Mauro, piquante et accompagnée d'une assiette de sardines. Le local était exigu et l'on devait attendre plusieurs minutes avant de trouver une place. Un jour un des nombreux consommateurs de loubia remarque la présence de Omar Belhouchet. Il s'en étonne et en fait part à son entourage. «Le directeur d'El Watan chez El Mauro ! c'est la misère ou quoi ?», s'est il exclamé. C'est vrai que le plat ne coûtait pas cher du tout. Durant cette période, le journal était, par contre, en plein ascension . Belaïd Abdeslam et l'imprimerie d'El Watan Avant sa nomination en tant que chef du gouvernement du temps du HCE, Bélaïd Abdesslam avait reçu chez lui des journalistes et membres fondateurs d'El Watan, dans son appartement de Hydra. L'accueil était chaleureux. Gâteaux et café turc préparés par Abdesslam «himself». Ils les avait à la bonne ces gars d'El Watan. Sauf qu'une fois en poste, il adoptera une autre attitude. Les écrits du journal ne lui plaisent pas, il classe El Watan dans le camps des «laïco-assimilationnistes». Dans l'affaire de Ksar El Hirane, Abdesslam pèsera de tout son poids pour que le journal El Watan disparaisse définitivement des étals et les journalistes détenus soient sévèrement châtiés. Sa haine à l'égard du journal était poussée à l'extrême. Lors d'un Conseil de gouvernement, Bélaïd Abdesslam avait juré que tant qu'il sera chef de gouvernement, il empêchera par tous les moyens qu'El Watan puisse acquérir une imprimerie. C'est un ancien ministre, présent à ce conseil, qui nous a raconté cette anecdote quelques années plus tard. El Watan dispose aujourd'hui de cinq imprimeries à l'est au centre et à l'ouest du pays. Un confrère bourré Notre confrère et ami X s'est offert un jour une cuite de tous les diables. Après une soirée bien arrosée (X a dû ingurgiter plusieurs hectolitres de vin), il se réveillera le lendemain, en fin d'après- midi, avec une terrible gueule de bois. X fera un effort surhumain pour rejoindre la rédaction, puisqu'il fera le trajet à pied. Une trotte de trois ou quatre kilomètres. En cours de route, il remarque que le journal El Watan n'était pas disponible sur les étals des kiosques Il arrive au journal tout content : «Hé ! les amis, El Watan s'est vendu comme des petits pains, avec quel sujet avons-nous ouvert la une ?» Le responsable de la rédaction le regarde d'un œil torve et lui répond : «Tête de c…, le journal a été suspendu de tirage.» D'ailleurs, nous n'avons jamais compris les raisons de cette suspension. L'armée tente une censure musclée Les relations entre l'institution militaire et El Watan n'ont toujours pas été au beau fixe. Elles ont été souvent tendues, notamment après la publication par le journal du fameux rapport des généraux, mettant en cause le général Beloucif (aujourd'hui décédé), ou encore après l'assassinat du président Mohamed Boudiaf. Un jour, la rédaction du journal décide de préparer un dossier sur le service national. La grande muette devait avoir des oreilles indiscrètes ou carrément une taupe à l'intérieur du journal. Le chauffeur, ammi Saïd (paix à son âme), qui acheminait les pages composées vers l'imprimerie d'Hussein Dey en début de soirée, sera intercepté par deux véhicules banalisés. Trois gaillards s'avancent vers lui et lui demandent de leur remettre les pages qu'il pourra récupérer à l'imprimerie, lui a- t-on dit. Passé le moment de frayeur, ammi Saïd rejoindra l'imprimerie où il retrouvera les pages du journal un peu froissées. La tentative de censure était vraiment musclée. Rapidement identifiée, la taupe de la muette a vite fait de quitter le journal. Avec un peu plus de concentration, on pourra se remémorer plusieurs faits et événements truculents ou qui sortent de l'ordinaire. Hélas, après vingt ans, la mémoire commence à nous faire défaut.