Ainsi donc, des juges algériens ont choisi la voie de la forfaiture et de l'ignominie : juger, au nom des croyances intimes de la majorité, les croyances intimes de la minorité, déclarant cette même minorité non seulement délictuelle, mais antinationale, et cela dans un déni ahurissant de la loi première du pays : la Constitution qui, dans sa lettre comme dans son esprit, assure sans aucune ambigüité la liberté totale de conscience ! Ces mêmes magistrats ont pu agir ainsi sans être désavoués par leur ministre de tutelle ni, en dernier recours, par le premier gardien de la Constitution, le président de la République algérienne.Cela n'est pas étonnant, car cela n'est pas nouveau, mais cette constatation ne constitue pas une raison suffisante pour ne pas s'en indigner de toutes ses forces. Il est vrai que la Constitution algérienne est loin d'être parfaite, que les différents pouvoirs étatiques ont pris l'habitude de la modifier et de la fouler aux pieds au gré de leurs intérêts du moment, mais tout pays qui se résigne à considérer que sa Constitution, même imparfaite, ne vaut guère plus que le papier sur laquelle elle est imprimée accepte un risque important, celui de sortir volontairement - et ce n'est pas une exagération - de la communauté des pays dits civilisés. La civilisation, au moins sur le plan juridique, commence au moment exact où la majorité d'un pays donné s'oblige à respecter les droits de la minorité parce qu'elle base cette obligation sur un texte légal au-dessus de tous les autres textes légaux, la Constitution, sacralisant le contrat minimal de coexistence entre tous les citoyens de ce pays.Ce n'est donc qu'un texte, mais quel texte ! Sans cette obligation de respect scrupuleux de la loi juridique suprême, ce pays retombe dans une autre «loi», bien connue malheureusement des pays arabes - et musulmans en général -, celle de l'arbitraire, de l'injustice, de l'intolérance. De la jungle, pour tout dire… Il y a peu d'arguments à opposer à ceux qui choisissent délibérément de «juger» selon les vents du moment en enfreignant sans vergogne ces commandements absolus du métier de magistrat que l'on pourrait résumer d'une manière simple, sinon simpliste : la loi, la simple loi, tu respecteras plus que ta vie ; la justice, la simple justice, tu rendras en conscience sans tenir compte de la pression des puissants et des fanatismes. La seule chose à faire, c'est clamer haut et fort, perpétuellement, sans jamais se laisser intimider par les anciens et les nouveaux inquisiteurs qui sévissent actuellement en Algérie : honte à vous, messieurs les magistrats, qui bafouez le texte fondamental que vous êtes censés défendre contre toute atteinte ; honte à vous, hommes et femmes politiques et religieux de tout bord, qui laissez se produire une telle indignité, par crainte ou par opportunisme ; honte à nous, citoyens qui acceptons dans le silence et la lâcheté que l'Algérie libre et indépendante soit avilie dans son honneur et sa grandeur et rejoigne peu à peu, dans notre regard et dans celui des autres, le groupe méprisé et méprisable des pays les plus intolérants de la planète. A l'ère des satellites et d'internet, que croyez-vous, en effet, que pense le reste du monde de ces manquements scandaleux en Algérie à l'un des droits les plus élémentaires de tout être humain : la liberté de conscience en général et religieuse en particulier ? Et puis, assez de cette scandaleuse impudence qui voudrait que nous puissions réclamer à cors et à cris chez les autres ce que nous refusons tout net chez nous : si l'on veut être respecté dans ses croyances et ses convictions à l'étranger, le minimum est d'abord de s'astreindre à respecter les différentes croyances et convictions minoritaires dans son propre pays !