Dans une programmation assez convenue sinon mièvre, le cinéma africain a offert quelques pépites. De notre envoyé à Namur Aune heure de train de Bruxelles, Namur, le Festival international du film francophone, qui depuis un quart de siècle, traîne sa carcasse de laboratoire, de pistes narratives, d'ateliers, d'aides à la création et de rencontres qui se font et se défont. Au beau milieu de tout cela, des gens, néophytes, cinéphiles, professionnels et critiques de cinéma qui avalent tout sur leur passage. Qui dit francophonie parle d'une forte prépondérance de cinématographies qui seront malheureusement écartées de la programmation des salles en France, excepté des cas particuliers comme Amours imaginaires de Xavier Dolan ou Un homme qui crie du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun (Prix du jury au Festival de Cannes 2010). Mais ce ne sera pas le cas du cinéma québécois (comme Jo, pour Jonathan, subtil film sur le désir fraternel), du cinéma africain qui regorge de pépites aussi bien dans le format court (magnifique Nola du franco-tchadien Askia Traoré) que dans celui du long (Larmes de l'immigration du Sénégalais Alassane Diego ou Notre étrangère de Sarah Bouyain). Pas plus que du cinéma maghrébin qui, avec ses courts métrages stupéfiants (Khouya et Garagouz des Algériens Yanis Koussim et Abdenour Zahzah) et ses longs au regard acéré (La Mosquée du Marocain Daoud Aoulad-Syad ou Vivre ici du Tunisien Mohamed Zran), offre cette particularité de bousculer les clichés trop souvent véhiculés sur une géographie soi-disant exotique. Deux têtes d'affiches se sont éparpillées dans les esprits clairvoyants des spectateurs namurois, deux films, deux comédies légèrement dramatisées par des relents artificiels et qui ne pouvaient que heurter la sensibilité à fleur de peau du romantique à tête de choux. Le Français Guillaume Canet revenait avec son troisième long-métrage après le calamiteux Mon Idole (2003) et le correct mais dénué de personnalité, Ne le dis à personne (2006). Avec Les Petits mouchoirs, c'est l'euphorie juvénile qui balaie tout sur son passage. Bande-son nickel (Creedence Clearwater Revival, Four Tops, The Band…), distribution impeccable (Magimel, Cluzet, Lellouche, Cotillard…), technique magistrale (Canet est un excellent faiseur d'images), bref la perfection pointe son bout du nez. Malheureusement, tout ce brassage de thématiques dures à cuire, mais mille fois rabattues, ne pouvait camoufler l'embourbement. Melting-pot de scènes à faire issues d'un cahier de charges aussi intéressant qu'un panoramique sur une plage abandonnée, Les Petits mouchoirs ressemble à une copie d'étudiant correct, sans fioritures et valant une note convenable. La personnalité, le grain de folie, les réflexions démesurées ou toute autre forme d'interprétation en sont malheureusement absents. Canet plaît mais ne convainc pas. Second film tant attendu et représentatif – il faut le souligner – d'un cinéma québécois qui dénature toutes les tendances foldingues en insufflant à la pellicule une sobriété exemplaire, Les Amours imaginaires de Xavier Dolan est un solide pétard mouillé. Cinéaste atypique qui, au Festival de Cannes 2009, rafla avec J'ai tué ma mère, 3 des 4 prix à la Quinzaine des réalisateurs, Dolan, du haut de ses 20 ans, provoqua un raz-de-marée médiatique et suscita bon nombre de jalousies. Ce qui peut déranger dans ce second film, c'est l'âpreté avec laquelle l'auteur filme les corps de ses tourtereaux de l'image. Les visages, le regard et les gestuelles sont paradoxalement présentés sous des formes bancales, sans qu'il n'y ait réellement une esthétisation des intentions. Dolan, avec beaucoup d'ingéniosité, installe ses personnages dans des cadres d'où ils ne pourront plus jamais tenter quoi que ce soit. Ils sont prisonniers, ne peuvent respirer et de par la parcimonie du cinéaste, sont coupables de leurs propres défaites. Pour résumer grossièrement, lorsqu'une séquence vire à l'adrénaline, Dolan ne peut résister à la tentation du remplissage et tartine finalement des tonnes de clichés, références et citations, le tout mâtiné d'une bonne confiture musicale. Il y a beaucoup de trouvailles culturelles dans Les Amours Imaginaires, de nombreuses pistes narratives en forme de clin d'œil qui font songer au cinéma de Gilles Carles ou bien de Godard (Bande à part). Mais, Dolan ne parvint jamais à créer ce liant qui lui aurait permis de franchir l'étape du filmage rigolo. Car les artefacts dont pullulent ce film n'est en réalité qu'une solide retranscription d'un p'tit gars, cinéphile de son état, redoutablement cultivé et fin manipulateur. Des univers étonnants Côté Maghreb, il y avait du lourd. Dans la compétition internationale de courts-métrages, qui brillait par son lot de films innovants et dotés d'une réflexion ahurissante, se trouvait le toujours puissant Khouya de Yanis Koussim. Auréolé de son prix mérité au dernier festival de Locarno (prix Cinéma et Jeunesse), et avant les prochaines Journées cinématographiques de Carthage, Koussim revient en grande forme. Tout comme le réalisateur/producteur Mounes Khammar qui présentait Le Dernier passager dans la section Regards du présent. Deux films, deux univers différents et deux approches iconoclastes. Toujours dans la même section, Garagouz de Abdenour Zahzah étonne d'emblée par ce plan d'ouverture, où le réalisateur et critique de cinéma réussit à installer une durée qui ne peut qu'intriguer. Un cadre, une maison et l'aube des damnés qui refait surface. Un homme d'un âge moyen appelle son fils à le rejoindre dans sa camionnette. Celui-ci obéit. Toute cette mise en scène qui fleurit la modernité ne peut que forcer le spectateur à hisser sa curiosité à travers un chemin sinueux. Car, et nous le découvrirons tardivement, le cinéma de Zahzah est un monde où la fantaisie est mitraillée par les paroles délicates des âmes égarées. Garagouz traîne inlassablement son ombre d'œuvre intelligente qui façonne le regard du spectateur sans le manipuler. Cette radicalité présente souvent un aspect positif, car les sens doivent faire des concessions pour pénétrer en terrain inconnu. Malheureusement, Zahzah ne poursuit pas dans cette quête expérimentale et souligne ses intentions par un trop plein d'émotion caractérisée par des tâches artificielles (musique des bons sentiments qui peuvent paraître redondante). Il ne faut en aucun cas s'attarder sur cette légère déception et voir impérativement ce film qui offre au réalisateur d'autres possibilités que nous suivrons avec impatience. Pendant que Lyès Salem juge la compétition internationale de longs-métrages et parraine le très important atelier «De l'écrit à l'écran» (géré par Aurélien Bodineaux, Stéphanie Durand-Barracand et Tahar Chikhaoui et dont Yacine Benelhadj est le lauréat algérien), trois films maghrébins sortent du lot. Vivre ici, docu tunisien de Mohamed Zran est un bel objet qui présente une face élégante (une épicerie devient le vecteur sociologique de toute une population) mais un côté parfois redondant. En 120 minutes, Zran tire sur toutes les ficelles et montre sans discontinuité une comédie humaine qui émeut occasionnellement. Le problème réside surtout dans cette utilisation d'artefacts qui parfois déréalisent les propos de base de Zran. Mais il est certain que nous avons là un regard juste et il faut impérativement soutenir Mohamed Zran. Côté Maroc, Pégase de Mohamed Mouftakir ne convainc pas tant. Ses trop nombreuses pistes narratives, alourdies par une psychologie de bazar, essoufflent le spectateur. Il est difficile de comprendre comment ce film a raflé pratiquement tous les prix du dernier Festival de Tanger. Très éloigné de ce calvaire, Daoud Aoulad-Syad revient avec une suite de son avant-dernier film, En attendant Pasolini. Dans La Mosquée, il renoue avec un cinéma libre, inventif et respirant la simplicité. Cette histoire d'un pauvre paysan souhaitant reprendre son terrain où fut construite une mosquée pour un tournage de cinéma, est aussi hilarante qu'effrayante. Sans forcer son discours, sans sombrer dans le pathos, sans convoquer les tics et tocs des films politiques, Daoud créée un univers comico-tragique en caressant les visages de ses acteurs d'un brin de soleil. Magnifique ! A Namur, le cinéma maghrébin a montré quelques unes des formidables potentialités qu'il renferme.