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Monétique : Le virage raté des cartes bancaires
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Publié dans El Watan le 11 - 10 - 2010

A partir du 31 mars 2011, toute transaction dépassant les 500 000 DA devra (ou devrait ?) être effectuée par chèque, et ce, en application du décret d'application de la loi 05-01 du 6 février 2005 relative à la «prévention et à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme».
Le texte n'est donc pas nouveau. En 2005, un premier décret du gouvernement Ouyahia imposait déjà le paiement par chèque pour toute opération supérieure à 50 000 (et non 500 000) DA… avant d'être abrogé par son successeur Belkhadem.
La date de mise en application de la loi ainsi que le seuil des montants autorisés constituent un quasi-aveu d'impuissance des pouvoirs publics face à la toute-puissance du «cash» (et de l'in informel) dans le commerce intérieur; En clair, même au-delà de mars 2011, un commerçant pourra toujours imposer à son client un paiement en espèces pour un achat d'une valeur de 49 millions de centimes. Cette domination du « fiduciaire » dans la masse monétaire reflète le faible développement du système interbancaire de paiement algérien.
Au vu de l'omniprésence des espèces, que ce soit pour l'achat d'un billet d'avion, d'un réfrigérateur, voire d'un appartement, cette nouvelle mesure nous invite à nous interroger sur son impact réel sur les modes de paiement en Algérie. La seconde question porte sur les raisons de l'échec du lancement des cartes bancaires dans notre pays.
Un mode de paiement peu populaire
Si le chèque est largement utilisé dans les transactions entre sociétés, il est quasiment absent du «retail» (commerce de détail). Pour le commerçant algérien, l'inconvénient majeur du chèque demeure sa falsification réelle ou supposée. La conséquence est une frilosité du commerçant qui le refuse en général. La création du concept de «chèque certifié» (à supposer que la certification ne soit pas falsifiée) ne règle que partiellement le problème. Un deuxième inconvénient pour le bénéficiaire du chèque est le risque du chèque sans provision. Le cas de Sonelgaz, qui reçoit chaque année des centaines de millions de dinars en chèques sans provision illustre ce problème.
Certaines banques prélèvent même des frais supplémentaires au commerçant victime du chèque sans provision : une double peine en quelque sorte. Un chèque peut également être volé, rejeté pour rature, pour signature non conforme, encaissé tardivement etc... Enfin, les chèques présentent des coûts de fabrication et de traitement pour les banques. Pourtant, malgré ces inconvénients indéniables du chèque, l'usage des cartes de paiement (CiB) ne semble être activement encouragé ni par les banques ni par les pouvoirs publics; Chez nos voisins marocains, le nombre de cartes bancaires en circulation atteint les 6,3 millions de cartes (juillet 2010) et 2 millions de cartes distribuées (juin 2010) pour la Tunisie. L'Algérie atteint péniblement les 1 millions d'usagers selon la SATIM. Pourquoi un tel retard?
Evasion fiscale et absence d'une culture de service
La première raison de ce retard est bien entendu l'ampleur du commerce informel et donc de l'évasion fiscale. Ainsi, 80% de transactions commerciales en Algérie se feraient sans facturation et, 70 à 80% de ces mêmes transactions utiliseraient le «cash» comme moyen de paiement. Il est utile de rappeler que la TVA intérieure représente en moyenne 40% des recettes fiscales nettes des pays développés. Le manque à gagner pour le fisc algérien est énorme. Aussi, l'absence de circuits de distribution structurés (ex : chaînes de supermarchés), partenaires traditionnels des cartes de paiement, retarde la prolifération des cartes bancaires de paiement. A titre d'exemple, et malgré les effets d'annonce, la filiale grande distribution de Cevital ne compte que 3 supermarchés à ce jour : Rouiba, Garidi et le très récent Bab Ezzouar.
La troisième raison est le faible taux de bancarisation, estimé à 35% en Algérie… alors même qu'Algérie Poste (services financiers) compterait 09 millions de comptes courants, très inégalement répartis sur ses 3400 agences. Contrairement aux cartes de paiement (CIB), les cartes de retrait sont fortement dépendantes de l'installation de DAB (distributeurs de billets), eux-mêmes dépendants du réseau d'agences. La quatrième raison est liée à l'opération de distribution des cartes bancaires.
En effet, sur les 6 millions de cartes de retrait imprimées à ce jour – en grande majorité pour le compte d'Algérie Poste - seulement 44% auraient été retirées. Algérie Poste aurait fait imprimer 4, 5 millions de cartes de retrait non sollicitées. Or, la distribution en courrier recommandé de 4,5 millions de cartes nécessite une logistique, des Systèmes d'information et un réseau de distribution postal performants… ainsi que des adresses fiables. Enfin, la banque est d'abord un métier de service et de proximité du client. Le lancement de tout nouveau produit implique un accompagnement quasi-didactique des usagers au niveau des agences (bancaires ou CCP) pour « éduquer » l'usager et faciliter l'acceptation de ce nouveau produit. Or, la majorité des banques algériennes n'ont pas encore opéré le changement culturel qui fait de la relation-client la pierre angulaire de leurs opérations. La satisfaction-client (mesurée par des enquêtes indépendantes) sera critique dans un secteur appelé à une concurrence accrue.
La charrue avant les bœufs…
La création de tout système interbancaire de paiement électronique est un projet complexe qui comporte schématiquement deux volets: un volet technologique et un volet marketing (sur la base d'une étude de marché). Le volet technologique implique des investissements importants en réseaux IT/Télécoms, la mise en place de plateformes et protocoles permettant de traiter et sécuriser les opérations, ainsi que des équipements tels que les serveurs, les DAB ou les TPE. Ces investissements sont ensuite amortis grâce à un trafic important sur ces réseaux interbancaires permis par une masse critique d'usagers (consommateurs) et de points de vente (commerçants) membres du réseau. Ce volet semble avoir été maîtrisé par la Satim.
En revanche, l'étude de marché préalable, elle, semble avoir été absente du projet Satil à en juger par le faible taux d'activation des cartes imprimées. Ce deuxième volet concerne la collecte et l'analyse de données sur les attitudes et les comportements du consommateur algérien vis-à-vis des modes de paiement et de modes de consommation. Il aurait permis à la Satim et ses banques-actionnaires d'identifier et de quantifier les segments le plus réceptifs à ce nouveau produit bancaire, d'identifier le profil-type de l'usager et du commerçant avant la mise en place du réseau.
Des opportunités illimitées pour l'économie algérienne
La promotion des cartes de paiement (et non de retrait) est pourtant stratégique. Pour les banques, la prolifération des CIB permettrait des économies de plusieurs dizaines de millions de dinars : d'abord d'ouvrir moins de caisses (économies de personnel), de réduire les volumes et coûts de traitement de chèques, réduire les temps d'attente au guichet … et surtout d'utiliser leur personnel d'agence (souvent des universitaires) pour des services à plus forte valeur ajoutée (assurances, crédits, opérations de portefeuille..) que pour de simples opérations de caisse. Les cartes de paiement permettent également aux banques de développer des systèmes de « scoring » plus performants. Enfin, un système bancaire fiduciarisé permettrait de réduire les risques de cambriolage (trop fréquents dans les agences Algérie Poste) ainsi que les coûts de convoyage.
Pour l'Etat algérien, les CIB permettraient d'isoler progressivement le commerce informel hors du système bancaire ainsi qu'une meilleure traçabilité des transactions; Elles permettraient également des gains de productivité en réduisant l'absentéisme : tous les jours, des millions de salariés algériens perdent des heures devant les guichets des banques, de Sonelgaz, Algérie Telecom ou CCP pour des opérations ordinaires qui pourraient être réalisées à distance grâce aux TIC. Tout algérien muni d'un téléphone portable et d'une carte bancaire devrait en 2010 être en mesure de payer ses factures courantes (eau, électricité etc..) 24h/24h, à distance…et sans l'intervention d'un opérateur.
Un large usage des CIB offrirait également une plus grande fiabilité des données sur la consommation intérieure; En effet, des cartes de paiement largement utilisées permettraient la constitution de statistiques sur la consommation et la distribution en Algérie, plus fiables ; elles permettraient également de stimuler la création d'une industrie du savoir (SSII, ingénieurs logiciels, consultants..) qui servirait les secteurs bancaire et du commerce enligne. La prolifération des CIB ouvrirait enfin la voie pour le développement du commerce enligne en Algérie.
Entre stérilité des lois et absence de dispositif incitatif
Promouvoir le chèque et la simple carte de retrait à l'ère des réseaux IP est une erreur. L'usage du chèque est d'ailleurs en net déclin au niveau mondial. L'inconvénient majeur de la loi 05-01 sus citée est donc son manque de pragmatisme. En réalité, la prolifération des cartes de paiement (CIB) dépend de l'existence de relations « gagnant-gagnant » dans le triangle commerçants- usagers-banques. Or à ce jour, l'action des banques de réseau pour encourager l'usage des cartes de paiement est plutôt timide. Cette action devra être menée sur deux fronts parallèles: celui des usagers et celui des commerçants.
L'esprit de cette action est simple : «Comment rendre l'usage des cartes de paiement plus attrayant que l'usage des espèces pour les transactions courantes ». Pour les usagers, un dispositif incitatif doit être mis en place à travers des abonnements réduits (voire la gratuité pendant 12 mois); Les frais, commissions et tarifs bancaires actuels sont prohibitifs. A titre de comparaison, la banque centrale indienne (RBI) est intervenue en 2009 pour interdire toute commission sur les consultations de soldes ainsi que les retraits d'espèces dans tous les DAB en Inde et ce, quelque soit la banque utilisée. Les divers frais et commissions prélevées par les banques algériennes sont à comparer avec leur faible financement de l'économie. Le ratio « encours bancaires/PIB » algérien est parmi les plus faibles au monde.
L'action des banques doit impérativement être accompagnée par une campagne de sensibilisation et surtout une assistance en agences bancaires et CCP des usagers méfiants ou réfractaires (personnes âgées, analphabètes etc.). Pour les commerçants, il s'agit autant d'encourager l'installation des TPE dans leurs points de vente que de dissuader –par divers frais, commissions ou pénalités – les dépôts d'espèces importants; cette dernière mesure a été introduite par les gouvernements indien et Pakistanais en 2007 et commence à porter ses fruits.
Cette action doit également permettre aux commerçants qui acceptent les CiB de rester «compétitifs» par rapport aux commerçants qui n'acceptent que les espèces, sans facturer de TVA. Les mesures incitatives à explorer sont la réduction des commissions interbancaires, l'installation gratuite des TPE, la gratuité des abonnements pendant 1 à 2 ans. Ces mesures doivent être ciblées envers les supermarchés, pharmacies, les agences de voyages, les agences commerciales de Sonelgaz, Algérie Telecom et d'une manière générale tout réseau de distribution relativement structuré.
Algérie Poste, plus grand émetteur de cartes bancaires, doit opérer sa «mue» et ne plus fonctionner comme une «administration». Une segmentation de sa clientèle et une diversification de ses services permettront d'éviter l'erreur de l'impression en masse des cartes de retrait. Son plan d'investissement a concerné essentiellement la modernisation de ses équipements, systèmes d'information (informatique) et logistique de distribution postale. Or, dans toute entreprise de service, les investissements doivent d'abord concerner l'homme (qualité du recrutement, formation, évaluation qualitative de la performance, communication interne, promotion interne, motivation etc..).
D'une manière générale, une plus grande intégration des TIC dans les systèmes de paiement « retail » est impérative.
Ces conditions réunies, nous devrions pouvoir assister chez le consommateur algérien – à moyen terme- à une plus large utilisation des paiements électroniques au détriment du chèque et des espèces. Une baisse soutenue de la fiscalité pétrolière imposera aux pouvoirs publics d'accélérer ce processus.


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