Le romancier turc Orhan Pamuk, 53 ans, traduit en plus d'une vingtaine de langues et qui a reçu le 22 octobre dernier le prestigieux prix de la Paix des libraires allemands, sera jugé le 16 décembre prochain à Istanbul pour avoir affirmé en février dans un magazine suisse : « Un million d'Arméniens et 30 000 Kurdes ont été tués sur ces terres, mais personne d'autre que moi n'ose le dire. » Il est accusé d'« insulte délibérée à l'identité turque » et risque six mois à trois ans de prison. Par ailleurs, Kemal Kerincsiz, membre d'une association de juristes nationalistes en Turquie, a déposé plainte contre l'écrivain pour avoir déclaré au quotidien allemand Die Welt que l'armée turque pouvait être un obstacle aux progrès de la démocratie. « Je ne vois pas l'IPK (Parti de la justice et du développement, au pouvoir) comme une menace pour la démocratie turque. Malheureusement, la principale menace est l'armée qui nuit parfois au développement de la démocratie », a affirmé Pamuk au journal allemand. Le plaignant a demandé au ministère public de juger Pamuc pour « atteinte ouverte à l'image de l'armée ». S'il est reconnu coupable, l'écrivain encourt une peine de six mois à deux ans d'emprisonnement. Les autorités ont ordonné la saisie et la destruction des romans de Pamuk. Considéré comme l'un des plus grands auteurs turcs vivants, Pamuk a écrit son premier roman en 1982, Cevdet Bey et ses +fils, suivi en 1985 par son roman historique Le château blanc puis Le livre noir, l'un des romans les plus lus en Turquie, qui décrit la recherche effrénée d'une femme par un homme pendant une semaine dans une Istanbul enneigée, boueuse et ambiguë. Il a également publié Mon nom est rouge, subtile réflexion sur la confrontation entre Orient et Occident dans l'empire ottoman à la fin du XVIe siècle, et Neige. Les poursuites intentées contre l'écrivain pourraient « contrecarrer le projet de la Turquie d'adhérer à l'Union européenne (UE) », a averti jeudi dernier le président du Bundestag (Chambre basse du Parlement allemand), Norbert Lammert. L'affaire constituerait « un test » pour la Turquie et l'UE, qui doit faire respecter ses principes par ce pays candidat, a estimé également l'écrivain britannique Salman Rushdie, qui rappelle, dans une opinion publiée dans le journal français Libération, que l'article 301-1 du code pénal turc au nom duquel Pamuk doit être jugé stipule que « quiconque porte explicitement atteinte à l'identité turque, à la République ou à la grande Assemblée nationale de Turquie, s'expose à une peine d'emprisonnement allant de six mois à trois ans... Dans le cas où l'insulte est proférée par un citoyen turc en pays étranger, la pénalité est augmentée d'un tiers ». Le célèbre romancier turc est néanmoins un fervent défenseur de adhésion de la Turquie à l'UE. « Malgré toutes les critiques contre la Turquie, je suis pour une pleine adhésion à l'Union européenne », avait-il déclaré début octobre.