Un grand roman de Jérôme Ferrari où plane l'ombre de Larbi Ben M'hidi. Romancier et agrégé de philosophie, l'auteur a enseigné quatre ans au lycée international d'Alger. Il a mis à profit ce séjour pour écrire son roman, Où j'ai laissé mon âme, qui vient de paraître. Ce récit qui traite de la période tumultueuse de la révolution algérienne, se singularise par un point de vue original, dénué de nostalgie et de pathos. Il traite de la tragique disparition du dirigeant algérien, Larbi Ben M'hidi qui devient, dans le roman, Tahar Hadj Nasser. Le narrateur de l'histoire, le lieutenant Horace Andreani, est un baroudeur qui a retrouvé le capitaine André Gorce à Alger, après avoir, tous deux, échappé à l'enfer de Dien Bien Phu. La rencontre se fait à la villa de Saint-Eugène où l'armée française pratique la torture à l'échelle industrielle. Andreani, qui n'a aucun d'état d'âme, assume son passé de tortionnaire et son engagement avec l'OAS et pousse le cynisme jusqu'à revenir sur les lieux du crime en jouant au touriste à Alger. Il essaye de comprendre, à travers ses souvenirs, pourquoi son capitaine était réticent au recours à la torture et comment on peut traiter ses ennemis avec humanité, avant de basculer, vers la fin, dans l'horreur la plus abjecte. Il essaye de reconstituer le parcours du capitaine. Déporté et torturé à Buchenwald, prisonnier des Vietminh, ces épisodes ont peut être contribué à prémunir le capitaine contre les dérives de sa fonction. Ce questionnement, porté tout au long du récit, va quand même trouver son dénouement au moment de l'arrestation du chef de la résistance algérienne Taher Hadj Nacer, responsable de la zone d'alger. Dès sa présentation à la presse, le leader algérien va exercer sur le capitaine Gorce une fascination qui dépasse l'entendement. Le capitaine va chercher par tous les moyens à se rapprocher du révolutionnaire charismatique en multipliant les visites à sa cellule. Ils auront de brefs échanges et le capitaine ne comprend pas l'humilité et le détachement de Si Tahar qui va lui affirmer : «La vérité, elle est plus modeste, capitaine. La vérité c'est que c'est moi qui suis fini, seulement moi, et ça n'a aucune importance parce que je ne compte pas». La révolution continue à travers des milliers de résistants, c'est le sens des paroles prémonitoires. Le colonel, qui dirige les opérations, ordonne à son capitaine de remettre le révolutionnaire au lieutenant Andréani qui va l'éliminer avec une implacable froideur. Le capitaine va culpabiliser d'avoir laissé ce crime s'accomplir et, pour mieux se punir, va basculer dans l'horreur. Le lecteur reste sur sa faim car le roman reste peu disert sur les échanges entre Si Tahar et le capitaine. Mais il faut reconnaître que Jérôme Ferrari a produit là une œuvre d'une grande valeur littéraire. - «Où j'ai laissé mon âme» roman de Jérôme Ferrari, Ed. Actes Sud, Paris 2010.