Grâce aux éditions Bouchène, nous découvrons un ouvrage fort passionnant sur l'histoire de Constantine et en même temps fort précieux parce que jusqu'à présent inaccessible aux lecteurs algériens. C'est Histoire de Constantine sous la domination turque (1517-1837), d'Eugène Vayssettes, un livre jamais encore réédité depuis 1869. Ouardia Siari Tangour, historienne, qui a rédigé une excellente préface, nous apprend que l'auteur est un enseignant français qui s'est installé en 1847 en Algérie, et plus particulièrement dans la cité de Constantine. Arabisant, passionné d'histoire, Vayssettes a servi d'interprète et de traducteur des archives officielles. Il était bien introduit dans les grandes familles constantinoises lettrées, il a eu accès à une importante masse d'archives privées en dehors de ce qu'il connaissait des archives publiques. Et c'est ainsi qu'il a tenté avec beaucoup d'honnêteté et de précision de reconstituer la chronologie de la vie beylicale de Constantine pendant la période ottomane. L'arrivée des Turcs à Constantine Les Turcs sont arrivés à Constantine pour succéder à la dynastie hafsids de Tunis à une date qui est encore controversée - soit au début ou à la fin du XVIe siècle. On ne sait pas quand exactement l'ordre ottoman s'est installé à Constantine de manière stable en raison d'une longue période d'instabilité politique et économique marquée par des épidémies de famine et de peste, de longues périodes de sécheresse. Vayssettes écrit en page 68 : « En 1602-1603, la peste fait de nouveau ravage à Constantine. A ce fléau succèdent neuf années de sécheresse extrême qui amènent la disette et la famine dans le pays. » Cette instabilité a entraîné des révoltes dans toute la région de l'Est constantinois. En 1637, c'est la conflagration générale contre les Turcs. Cette révolte est partie du Sud algérien et a gagné Constantine et toute sa province. Avec beaucoup de difficultés, les Ottomans parviennent à rétablir l'ordre et à installer durablement leur domination. Au XVIIIe siècle, la stabilité retrouvée, les choses allaient beaucoup mieux. La province de Constantine aura des deys entreprenants qui mettront en valeur les grandes terres agricoles et l'élevage. Constantine exportait à l'époque de très grandes quantités de blé (c'était le grenier de l'Algérie), mais aussi du cuir, des peaux de lions et de panthères ! Constantine payait ainsi de lourds impôts au dey d'Alger - le pouvoir central - en lui donnant d'importantes quantités de bétail, de dattes, de beurre, d'olives, de parfums, de corail, de burnous de laine et de chéchias. C'était le siècle d'or de Constantine, l'apogée du pouvoir local. Salah Bey, qui a pris le pouvoir en 1771 et a régné pendant 20 ans, y a embelli sa ville qui s'est dotée de somptueux édifices, de médersas, de mosquées comme la prestigieuse mosquée de Sidi El Kittani. Salah Bey a aussi refait le fameux pont d'El Kantaras et a introduit le système des « norias » pour l'irrigation qui a permis la culture du riz. Le bey de Constantine parlait couramment l'italien, son chirurgien personnel était Napolitain. Les juifs de Constantine étaient bien traités par Salah Bey qui leur a donné de larges terrains de construction. L'enseignement dans les médersas était moderne (grammaire, jurisprudence, sciences) et les professeurs bien rétribués. Les étudiants étaient pris en charge et touchaient de bonnes bourses. Décadence Au début du XIXe siècle, Constantine est entrée dans un cycle de décadence, à cause de rivalités internes et externes : révolutions de palais parfois cruelles, tentatives des puissances européennes d'affaiblir le pouvoir ottoman. M'hamed Tchakeur Bey (1814) a régné pendant quatre ans par la terreur et la cruauté. Le dernier bey, El Hadj Ahmed Bey, s'est rendu en 1848 à Biskra après avoir tenté de résister aux Français.